Eugène Terre'Blanche n'était pas un pilier de l'apartheid disparu en 1994. Celui qui a été tué samedi par deux de ses employés dans sa ferme pour, semble-t-il, une question de salaires impayés, était connu pour être un partisan de la suprématie blanche, et il n'a pas changé malgré l'exercice du pouvoir par la majorité noire. Mais il a dû perdre ses illusions de changement, car même la société sud-africaine a changé puisque celui qui vient de mourir n'a plus de troupes comme on le dit. La preuve, seules vingt personnes l'attendaient en 2005 à sa sortie de prison où il avait été détenu pendant cinq années pour avoir tué un vigile noir. Et lui-même a pris la direction de sa ferme pour ne plus en sortir. La fin d'un parcours fait de haine et de violence. C'est cette même violence qui risque de ressurgir puisque le mouvement d'Eugène Terre'Blanche parle de vengeance. André Visagie, Secrétaire général du Mouvement de Résistance Afrikaner (AWB) qui refuse de croire à une banale histoire de sous, a souligné que son mouvement se réunirait le 1er mai pour décider de son action future. « Nous allons agir et choisir des modes d'action spécifiques. Nous les déciderons lors de notre conférence », a-t-il déclaré, visiblement sous la pression de membres de son mouvement réclamant, juste après cet assassinat, « une action violente immédiate ». Anticipant lui aussi sur un tel discours de haine susceptible d'ouvrir la voie à la violence, ou encore parce qu'il est convaincu que les plaies du passé demeurent béantes, le président sud-africain, Jacob Zuma, a commencé par appeler au calme, et mis en garde contre toute provocation qui alimenterait « la haine raciale », et cela après avoir condamné le meurtre « dans les termes les plus durs qui soient ». En peu de mots, le président Jacob Zuma a tout dit de la réalité sud-africaine où, rappellent certains analystes, les fractures raciales se manifestent régulièrement. Ce que confirment quelque peu les termes du communiqué du chef de l'Etat. « Alimenter la haine » et non pas la susciter, a-t-il souligné. Le chef de la Ligue de la jeunesse du parti au pouvoir, Julius Malema, vient de reprendre une chanson des années de lutte dont le refrain appelle à « tuer les boers » (les fermiers afrikaners, ndlr). Le petit parti Freedom Front, qui représente les fermiers blancs au sein du gouvernement de M. Zuma, a évoqué dans la nuit une « situation explosive ». Deux tribunaux sud-africains ont interdit récemment l'usage de cette chanson, qui a suscité la colère des partis d'opposition et d'organisations, qui assurent qu'elle incite à la violence contre les Blancs. Mais en face, devrait-on souligner, les sympathisants de Terre'Blanche vivent de leur passé, en portant des uniformes kaki dont le sigle rappelle l'emblème nazi. Ils sont violemment opposés à la démocratie multiraciale sud-africaine et font campagne pour un Etat « boer » autonome. Les seuls certainement à y croire, mais ils demeurent dangereux. Ce serait œil pour œil, et la voie ouverte pour toutes les incertitudes. Comment réagira la société sud-africaine face à ce risque de dérapage ?