Du 23 février au 2 mars, Ouagadoudou «capitale du cinéma africain» fêtera le cinquantenaire du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Dans le cadre de la célébration de cet événement bisannuel, la capitale burkinabée sera le lieu de découverte de nouveaux films, de rencontre avec les professionnels du cinéma et d'audiovisuel, et d'innovation dont l'objectif est de dynamiser le Fespaco en l'ancrant dans les problématiques et les tendances de l'ère contemporaine. – Le premier Festival remonte à 1969, dans un contexte de décolonisation. Quelles étaient sa motivation première et son ambition, à ses débuts ? Le premier Fespaco, qui remonte à l'année 1969, était organisé à l'initiative d'un groupe de personnes, dont Claude Prieux, directeur du centre franco-voltaïque de l'époque, de cinéphiles et des pionniers du cinéma africain, comme Bassirou Sanogho, Ousmane Sembène et bien d'autres. La question centrale de ce groupe de réflexion concernait la diffusion des films africains. Car le constat avait été fait que les films qui existaient à cette époque étaient diffusés dans le cercle des centres culturels français et donc accessibles à un public restreint, constitué, notamment d'expatriés et de membres de l'élite culturelle africaine. L'enjeu de cette réflexion portait essentiellement sur l'élargissement de la diffusion de ces films à un public africain. C'est par l'organisation de séances de projection dans les quartiers de Ouagadougou que les Burkinabés avaient eu accès aux films africains. C'est ainsi qu'est né le premier Fespaco. Au regard de l'engouement général à l'égard de cette manifestation populaire, une deuxième édition avait été programmée en 1972. Le soutien du gouvernement du Burkina Faso et de la mairie de Ouagadougou a permis l'institutionnalisation du festival. C'est à partir de cette date qu'il fut baptisé «Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou». La première compétition eut lieu en 1972. Le Grand prix du Fespaco, représenté par l'Etalon de Yennenga, fut décerné au cinéaste nigérien, Oumarou Gand, pour son film Le Wazzou polygame. – De quelle manière ce festival qui, au fil des ans, est devenu un événement phare en Afrique, a-t-il évolué ? Ce festival a évolué très rapidement. Il a eu un grand retentissement et a bénéficié de l'engouement des populations africaines. Plusieurs facteurs ont contribué au renforcement de cette dynamique. L'implication de l'Etat burkinabé qui a nationalisé l'exploitation cinématographique et la distribution dans le cadre d'une société mixte. La création d'un fonds logé au Trésor national pour la promotion et le développement de l'activité cinématographique a permis au Burkina Faso de réaliser son premier long métrage, Le sang des parias du cinéaste burhinabé, Mamadou Djim Kola. La création de l'Institut africain d'éducation cinématographique a renforcé cette dynamique. L'engagement et le soutien des réalisateurs africains qui s'étaient investis dans la mission d'éduquer les populations africaines, de les sensibiliser et d'œuvrer à la promotion des identités culturelles africaines, ont été décisifs dans la réussite du Fespaco. – L'ambition du Fespaco est de proposer «des images de l'Afrique, par l'Afrique et pour l'Afrique». Que signifie cette phrase qui s'apparente à un slogan ? Quel sens prend-elle de nos jours, à l'ère de la mondialisation ? Les objectifs fixés par les pionniers du cinéma africain sont toujours d'actualité. L'avènement du numérique a facilité l'accès des Africains à l'outil cinématographique, ce qui leur a permis de faire du cinéma et de proposer du contenu. Mais quelle est la responsabilité des créateurs de nos jours ? Je pense qu'ils doivent être investis d'une mission qui poursuit un double objectif : produire des contenus valorisant nos identités africaines, d'une part ; et d'autre part, permettre à nos cinématographies de s'insérer dans une démarche économique. Car si le cinéma à l'ère des pionniers était utilisé comme une arme contre la décolonisation et pour la promotion de nos identités culturelles et au service de l'éducation de nos populations, de nos jours, le cinéma et l'audiovisuel doivent être au service du développement économique et politique de nos pays. C'est pourquoi la dimension économique sera au cœur des discussions de cette 26e édition du Fespaco – Cinquante années plus tard, comment évaluez-vous le rôle que le Fespaco a, depuis sa création, joué dans le processus de développement et de promotion du cinéma africain à travers l'Afrique, et au-delà de ses frontières ? Tout au long de ces cinquante années, le Fespaco a joué un rôle important dans le processus de développement et de promotion du cinéma africain. Il a permis à plusieurs générations de cinéastes africains de mettre en valeur leurs productions cinématographiques. Il a incité à réfléchir sur les questions relatives aux blocages, à la production et aux contenus des films, aux formations et au marché. Il a contribué à l'élaboration de recommandations et de propositions pour consolider le développement du cinéma et de l'audiovisuel sur le continent africain. C'est grâce au Fespaco qu'il existe, de nos jours, une industrie du cinéma et de l'audiovisuel sur le continent africain. Un grand nombre de cinéastes africains ont participé au Fespaco. Ils ont remporté des prix prestigieux et lorsqu'ils sont retournés dans leurs pays respectifs, ils ont joué un rôle important dans la promotion du cinéma dans leur pays sur le plan politique et législatif, notamment. Le Fespaco a aidé à la prise de conscience des groupes politiques. – Quelles sont les nouveautés que cette 26e édition du Fespaco propose au public ? La préparation du cinquantenaire du Fespaco s'est réalisée dans la concertation. Dès 2017, des professionnels du cinéma d'Afrique et de la diaspora, des journalistes et des partenaires, se sont réunis dans le cadre d'un atelier international. Cette rencontre avait pour objectif de faire un état des lieux, de mettre en lumière les acquis et les difficultés pour se positionner et envisager la suite du Fespaco. Plusieurs nouveautés ont été proposées pour cette 26e édition. La première concerne la sélection de l'aspect esthétique du festival. Cette année, le Fespaco a accordé une attention particulière au film documentaire, car nous avons fait le constat que ce genre occupe une place particulière dans l'industrie du cinéma sur le continent africain. C'est par le biais du documentaire que les cinéastes africains traitent de questions cruciales liées au développement de leurs pays. La troisième innovation concerne le cinéma d'animation. L'utilisation des smartphones a favorisé l'essor de ce genre cinématographique. C'est pourquoi, nous avons décidé de lui donner une visibilité. Nous avons également créé «Les Petits déjeuners» du MICA (Marché international du cinéma et de l'audiovisuel africain», espace de rencontre dédié à des discussions thématiques dont l'objectif est d'accompagner les professionnels du cinéma sur des questions de montage, de dossiers financiers, de recherche de diffuseurs, de contrats… La quatrième innovation concerne le colloque international qui, à l'occasion de la 26e édition, fera une synthèse des cinquante années d'existence du festival. Le thème sera centré sur la Mémoire et l'avenir du cinéma et de l'audiovisuel panafricains. L'Afrique a produit beaucoup de films. Il est important de valoriser ce patrimoine cinématographique, car il peut aider à construire et à promouvoir la mémoire collective. – Quelle sera la part de la participation de l'Algérie à cette 26e édition ? La participation de l'Algérie remonte aux débuts du Fespaco ainsi que le Maroc, la Tunisie et l'Egypte. Car ces 4 pays du Maghreb ont, très tôt, mis en œuvre des politiques cinématographiques visant la promotion du cinéma. La participation algérienne à cette 26e édition se fera à plusieurs niveaux. La présidence du jury de la section long métrage sera assurée par un Algérien, à savoir Ahmed Bedjaoui, un homme de grande culture. L'Algérie sera aussi présente avec deux films. Elle mettra à la disposition du festival la sonorisation pour les cérémonies d'ouverture et de clôture. Sur un plan symbolique, l'Algérie a décerné au Fespaco, le 30 novembre 2018, le Prix international Miriam Makeba de la créativité artistique. Nous saluons l'engagement de l'Algérie dans le développement et la promotion du Fespaco. – Ardiouma Soma est diplômé en communication, cinéma et audiovisuel des universités du Burkina Faso et de Paris I, Panthéon Sorbonne (France). Il a passé l'entière de sa carrière au Fespaco. En 1988, il était chef de service de l'animation cinématographique. Il a œuvré à la création et au développement de la Cinémathèque africaine de Ouagadougou. Entre 2012 et 2014, il a occupé le poste de directeur général du cinéma et de l'audiovisuel. Depuis 2014, il préside le Fespaco.