– Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie et prévoit concrètement la nouvelle taxe appelée DAPS ? Confrontée depuis 2014 à l'érosion de ses réserves de change, à l'épuisement du Fonds de régulation des recettes (FRR), à l'endettement intérieur et à la hausse de ses déficits, l'Algérie a multiplié les mesures pour rééquilibrer sa balance commerciale. Mais, malheureusement, elle trouve encore de sérieuses difficultés à maîtriser ses importations malgré les différentes mesures restrictives instaurées par le gouvernement pour contrôler les opérations de commerce extérieur, et les chiffres de 2018 le prouvent bien. Dernière mesure en date, l'institution d'un droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS) applicable aux marchandises importées ; son application est venue pour corriger une situation chaotique causée par la mise en place, dès le début de l'année 2018, de la fameuse liste d'interdiction à l'importation des 877 produits, et la remplacer pour libérer l'activité import. Je vous rappelle que l'interdiction d'importer par les canaux légaux infligée à une liste de produits différents a ouvert la voie à l'informel, au «trabendo» ; plusieurs commerces ont fermé boutique ou changé d'activité, des entreprises sont à l'arrêt faute d'intrants, touchées par cette suspension, causant bien sûr une flambée des prix, des pénuries de produits ; bref, une situation alarmante d'une époque qu'on croyait révolue. Le gouvernement était donc obligé à mettre en place un autre mécanisme de régulation, à savoir le DAPS qui concerne 1095 produits soumis à une taxe allant de 30 à 200%, ce qui va normalement permettre la relance et la réouverture économiques de cette activité aux opérateurs importation. Cette mesure introduite dans la loi de finances complémentaire de l'année 2018 vise à protéger et encourager la production nationale, réduire la facture des importations et aussi décourager certains importateurs qui, souvent, gonflent leurs factures. – Comment expliquez-vous l'application de cette taxe quelques mois après la levée de l'interdiction à l'importation des produits soumis à la suspension provisoire à l'importation ? L'absence de vision et de concertation avec les différents acteurs et la gestion administrative de notre économie donne souvent naissance à des décisions et lois confuses dont les entreprises et les consommateurs sont les premiers à payer le prix des mauvais choix des décideurs. Depuis l'apparition des déficits commerciaux record suite à la chute des prix du pétrole, la politique du gouvernement s'est limitée à agir exclusivement sur la facture des importations, pensant trouver là des réponses à la crise. Pour cela, les autorités économiques ont testé successivement différents instruments de lutte contre l'emballement des importations, en l'espace de 4 ans, pour finalement n'atteindre aucun des objectifs tracés. Une série d'échecs avec un amateurisme flagrant. A mon avis, l'Algérie doit se doter d'instruments modernes de défense commerciale suivant des règles reconnues par les différentes organisations internationales, tout en respectant les accords de libre-échange conclus avec nos différents partenaires. Par contre, je me pose la question concernant le timing choisi pour l'application du DAPS, avec ses fameux taux et conséquences, à la veille d'un rendez-vous politique important, à savoir la présidentielle, sachant que son application va engendrer une augmentation significative des prix de beaucoup de produits, alors qu'en général tous les pays repoussent la mise en place de tout dispositif qui mettrait à mal le pouvoir d'achat du citoyen à l'après-élection. Alors, est-ce une erreur tactique ou l'absence de lucidité ? – Selon vous, quel impact aura cette taxe sur les opérateurs d'importation ? Il faut savoir que les incertitudes qui entourent l'évolution des prix du pétrole constituent l'un des facteurs de risque les plus élevés. Les prévisions des prix des hydrocarbures se basent sur un marché irrationnel, d'une très faible et instable volatilité à court terme, et plus difficile à déterminer à moyen et long termes, ce qui rend difficile et incertain l'avenir de l'activité import dans notre pays qui dépend exclusivement de cette ressource. Pour cela, très souvent, et à travers mes interventions et rencontres, j'encourage nos nombreux importateurs, qui ont acquis un capital savoir-faire considérable, avec des relais certains à l'international, des réseaux de distribution en Algérie et disposant souvent de capitaux frais, à s'orienter vers la production et l'exportation en profitant de leur connaissance du terrain. Cela dit, il est clair que les dernières mesures de régulation via le DAPS vont pousser les importateurs à revoir leur copie et trouver la ou les parade(s) pour protéger leur business, les milliers d'emplois et leurs parts de marché, surtout en l'absence de concertation sérieuse constatée par nos opérateurs importateurs, qui souvent sont peinés de voir des décisions prises par les pouvoirs publics sans qu'ils y soient associés. A rappeler que la liste des 1095 produits soumise au DAPS représente une facture de moins d'un milliard de dollars, ce qui me pousse à dire que l'objectif de réduire la facture des importations ne sera pas atteint, et même si c'était le cas, il serait insignifiant, alors qu'il fallait explorer d'autres pistes et d'autres postes lourds comme l'industrie d'assemblage, qui bénéficie de largesses et qui consomme des milliards en devises fortes, voire aussi dans le domaine du parapharmaceutique, du consommable pour laboratoires (beaucoup de gaspillage), l'électronique, l'électro-domestique et autres secteurs à explorer sérieusement. En parlant de l'impact de cette taxe sur nos opérateurs, à signaler déjà et depuis quelques jours, suite à la mauvaise interprétation de l'application de cette imposition au niveau des ports, des désagréments pour les importateurs, causant des surcoûts et des retards considérables dans la réception des marchandises. – Qu'en est-il pour les prix sur le marché local et le pouvoir d'achat du citoyen algérien ? Vous savez, les pays interviennent très souvent dans les opérations d'importation au moyen d'instruments de protection «directs ou indirects», et ce, avec des objectifs variés, les plus courants visent à réguler et à contrôler la facture des importations, à protéger la production locale et à réduire le déficit commercial. Même les pays leaders de la doctrine libérale ont recours à certaines formes de protectionnisme, invoquant une concurrence déloyale, des pratiques de dumping ou autres argumentaires. Mais souvent, ces pratiques de régulation ou de protectionnisme prennent avant tout en considération la protection du pouvoir d'achat du citoyen ; or l'application du DAPS avec des taux aussi élevés sur des produits qui parfois couvrent 70% de la demande du marché local comme la viande bovine importée va forcément engendrer un effet d'entraînement à la hausse des prix des différentes viandes. Je pense honnêtement que cette mesure, telle qu'elle est appliquée, va créer un désordre important à court terme, dans un marché qui sort totalement du contrôle de l'Etat, provoquant une flambée des prix des produits importés et aussi des produits fabriqués localement, qui touchera, automatiquement, comme je l'ai déjà souligné, le pouvoir d'achat des citoyens déjà bien atteint. Les taux élevés de ces taxes vont pousser certains importateurs à trouver d'autres pistes pour justement acheter le produit à moindre coût afin de pouvoir se placer sur notre marché, ou du moins protéger leurs parts de marché. Mais très souvent, ce choix se fera au détriment de la qualité du produit, avec des conséquences dramatiques sur la santé du consommateur, surtout en l'absence de système de contrôle rigoureux. Je profite au passage pour signaler la nécessite de mettre en place des barrières non tarifaires basées sur une politique nationale de qualité avec des normes étudiées pour filtrer les différents produits importés non conformes aux règles sanitaires et d'hygiène qui, très souvent, échappent à tout contrôle, afin donc de protéger le consommateur et réguler au final la facture des importations. Aussi est-il temps d'organiser le secteur du commerce extérieur, de l'inscrire dans une autre démarche plus technique et sur le long terme. Pour cela, il est temps également d'envisager d'autres formes de protectionnisme actionnées de façon intelligente et ciblées par familles de produits ou par secteurs d'activités en concertation avec les différents acteurs. Mais ce protectionnisme ne pourra avoir un effet positif sans penser réellement à libérer l'économie algérienne de sa dépendance aux hydrocarbures, sachant que la diversification de l'économie algérienne, nécessaire au développement du pays, peine à s'affirmer. En dépit des investissements effectués, la croissance hors hydrocarbures n'est toujours pas au rendez-vous. L'économie nationale, malheureusement, continue d'évoluer autour d'un centre de gravité qui est le pétrole, ressource non renouvelable. C'est un fait, et cela n'a pas changé parce que le pays n'arrive toujours pas à s'engager dans l'édification d'une véritable économie de substitution aux hydrocarbures. Les politiques économiques se ressemblent et aucune d'entre elles n'a réussi à donner de la consistance à la production nationale et aux exportations hors hydrocarbures. Pourtant, il faudra bien y aller un jour… avant qu'il ne soit trop tard !