L'initiative calamiteuse et très mal inspirée du président de l'APC de Khenchela trahit la pitoyable idée que se font les partisans du 5e mandat de l'Etat, des institutions, du pluralisme et de la démocratie. L'élu du FLN, en se positionnant contre la venue dans sa localité de n'importe quel autre candidat à la présidentielle que celui que son entendement a choisi, a agi comme un caïd de quartier dont les faveurs sont à quêter pour quiconque voudrait s'y montrer. Le premier magistrat de la commune de Khenchela a foulé aux pieds le devoir de réserve et de mission publique pour lequel des suffrages l'ont porté pour s'affirmer commis d'une chapelle à l'exclusion de tout autre courant ou parti, dont le droit d'expression et d'action est pourtant consacré par la Constitution. Poussé vraisemblablement par un élan irrépressible de se faire remarquer auprès des mentors, en campagne tambour battant pour faire réélire le Président, l'élu a tenu non seulement à revendiquer son allégeance active, mais à faire la démonstration de sa disponibilité à enfreindre les règles et aller au charbon pour compter demain dans la distribution des dividendes. L'armée des élus du FLN et de l'«Alliance» n'a pas besoin d'être instruite expressément de la démarche à suivre sur le sujet ; les mots d'ordre de campagne, pris en charge par le sommet de l'Etat et ses démembrements, ses organisations de masse, ses médias… ne s'embarrassent point de la neutralité, encore moins de l'éthique, qu'appelle le contexte électoral. Le patron de l'UGTA a bien menacé, devant les caméras de la télévision, que tout syndicaliste qui voterait autre chose que le 5e mandat s'attirera les foudres de la centrale ; le Premier ministre et son gouvernement confondent bien déclaration de politique générale et «bilan et perspectives» de 20 ans de règne de Bouteflika… Pourquoi donc un édile local s'imposerait des limites, qui plus est dans une municipalité du pays profond, un territoire qu'il peut croire conquis, car trop éloigné d'Alger et de son opposition ? La boulette du P/APC de Khenchela n'en est une que parce qu'elle a mis dans l'embarras les autorités, a coûté que le portrait du Président soit arraché et piétiné et a failli embraser la localité. S'il n'est pas interdit de voler, il est interdit de se faire prendre et de rameuter l'opinion. L'élu est depuis hier suspendu de ses fonctions par le wali dans une célérité qui ne peut être qu'instiguée d'en haut, par l'état-major de campagne pour Bouteflika, ressentant désormais le besoin de calmer les ardeurs de ses fantassins locaux pour prévenir d'autres écarts désastreux. La réaction de la population de Khenchela a surpris par son ampleur et a certainement donné à réfléchir aux adeptes de la campagne «rouleau compresseur» pour Bouteflika. Les réseaux sociaux qui ont, certes, tous les défauts du monde, contribuent désormais à débusquer les forfaitures, à en amplifier les résonances et les porter à la sentence de l'opinion. La chose est encore plus vraie en ces temps de polarisation sur l'aventureux 5e mandat. Il n'est plus de territoire «angle mort», ou de moins en moins, où les hommes de main du pouvoir peuvent sévir sans risque d'être dénoncés. Mais il n'y a pas que les réseaux sociaux, il y a surtout cette lame de fond qui porte les citoyens, les jeunes notamment, à signifier bruyamment qu'il y a des abus sur lesquels ils ne se tairont plus, pas seulement sur Facebook, mais aussi dans la rue, pourvu que les causes défendues soient aussi consensuelles que ce front de refus en constitution contre le 5e mandat.