«Je veux marcher avec mon peuple pour notre dignité», lance l'icône de la Révolution dans une formidable communion entre la génération de Novembre 1954 et les fils de l'indépendance. En marchant derrière celle qui été condamnée à mort pendant la Bataille d'Alger, le peuple renoue avec l'esprit d'indépendance et remet le fleuve détourné dans son cours naturel. Historique. Un tsunami populaire. Une deuxième révolution. «J'ai l'impression de revivre la Révolution», lâche avec une forte émotion Djamila Bouhired, l'héroïne de la guerre d'indépendance, lorsqu'elle entame la descente du boulevard Didouche Mourad pour conduire la marche vers la place Maurice Audin. Elle est accoudée au bras du célèbre avocat Mokrane Aït Larbi et entourée de milliers de personnes – dont la plupart sont jeunes – qui lui ouvrent le grand boulevard pour prendre la tête de la manifestation sous les cris «Non au 5e mandat. Système dégage» et «Nous sommes les enfants de Djamila Bouhired» et «la Révolution est avec nous». Des slogans scandés à gorge déployée mais surtout avec la fierté de manifester aux côtés de l'historique Djamila. «Je veux marcher avec mon peuple pour notre dignité», réplique-t-elle dans une formidable communion entre la génération de Novembre 1954 et les fils de l'indépendance. Les Algériens retrouvent le fil de l'histoire. Un fil coupé depuis la mise en place du régime autoritaire au lendemain de l'indépendance. En marchant derrière celle qui été condamnée à mort pendant la Bataille d'Alger, le peuple renoue avec l'esprit d'indépendance et remet le fleuve détourné dans son cours naturel. Malgré la fatigue et le risque de débordement, Djamila Bouhired refuse de quitter la manifestation. «Je veux rester avec mon peuple, ce peuple digne», insiste-t-elle. Les manifestants ne veulent pas non plus voir partir leur héroïne nationale comme pour faire écho au célèbre slogan de Larbi Ben M'hidi : «Jetez la Révolution dans la rue et le peuple va l'étreindre.» Avant de partir, elle a confié un message aux manifestants : «Ne rien lâcher jusqu'à la victoire finale. C'est une seconde indépendance qui est en marche.» Alger vient de vivre une séquence inédite, l'Algérie a retrouvé son élan révolutionnaire. «Extraordinaire. La plus importante depuis l'indépendance. La soif de liberté s'est massivement et pacifiquement exprimée. Les conséquences seraient terribles, si les décideurs, civils et militaires, venaient à faire semblant de n'avoir rien vu ni entendu. A trop vouloir maintenir le statu quo contre vents et marées, ils auront la chute et la vengeance populaire. L'irresponsabilité ne peut indéfiniment être à sens unique», envoie Djamel Zenati à parti de Béjaia, ville aussi en insurrection comme toutes les autres wilayas et régions du pays. C'est justement la grande question après cette insurrection pacifique et nationale qu'a connue l'Algérie dans ce deuxième vendredi de colère. C'est toute l'Algérie dans toutes ses composantes sociales et générationnelles qui se dresse contre l'absurde 5e mandat, mais surtout qui rejette fortement le système politique. Depuis l'annonce de la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un autre quinquennat, alors qu'il est lourdement handicapé et qu'il n'arrive pas à terminer son quatrième, les Algériens se sont soulevés avec force pour s'y opposer. Reçu comme une suprême humiliation, mais contrairement à ce que s'attendaient les partisans de la «continuité», c'est-à-dire à la résignation, l'annonce a agi comme une onde de choc dans l'esprit national. Brusquement, dans tout le pays jusqu'à ses contrées lointaines, un vent de colère a soufflé et a vite pris la forme d'une révolte générale. Il s'installe alors un climat pré-révolutionnaire. Le rejet du 5e mandat se massifie, se radicalise et soulève tout le pays dans une détermination inébranlable. Difficile de voir les millions d'Algériens rentrer chez eux. Le pouvoir politique est plus que jamais sommé de prendre des décisions fortes à la hauteur de l'aspiration algérienne. Le bon sens politique, l'urgence nationale, le moment historique exigent des réponses. Le pays est dans une course contre la montre. Le temps presse. Il faut agir maintenant. Maintenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika alors que tout le pays s'y oppose, c'est faire courir le risque d'une confrontation violente, qu'aucun Algérien ne souhaite. Dans tout le pays, les manifestants insistent fermement sur le caractère pacifique. Partout, ils appellent à la non-violence et ils l'ont exprimé fortement hier en scandant «l'Algérie n'est pas la Syrie». Aux décideurs de mesurer avec sérieux ce qui se joue dans ces journées historiques. Faire rater au pays cette nouvelle chance de rentrer dans la grande histoire, c'est le condamner à la disparition. Les Algériens qui remplissent inlassablement les boulevards nationaux, c'est pour défendre la dignité algérienne. Ils n'acceptent plus le statut inférieur dans lequel est enfermé un pays aussi riche et aussi dynamique. C'est plus qu'un rêve. C'est un puissant et irrépressible désir de liberté, de démocratie et de progrès qui s'exprime. Il appartient à ceux qui détiennent la décision politique de rendre la parole au peuple souverain. Inutile de ruser, de manœuvrer et de jouer sur l'usure. Retirer la candidature du patient de Genève, c'est le minimum à faire. Il est historiquement nécessaire d'engager le pays sur la voie d'un changement démocratique. Le système en place n'est non seulement à bout de souffle, mais honni. Désormais il appartient au passé. Il faut d'urgence décréter sa fin.