La paupérisation gagne du terrain dans les localités rurales de la wilaya de Bouira. Les agriculteurs abandonnent leur activité en l'absence des aides publiques. Située à l'extrême sud de Bouira, Dirah, la plus ancienne commune de la wilaya, n'offre plus son visage d'antan. Aux limites de la grande steppe, avec ses étendues fertiles à perte de vue, la localité trouve des difficultés à redorer son blason. Du grenier qu'elle était à l'époque, il ne reste que des vestiges. Les centaines d'hectares de terres agricoles restent désormais en friche. Lors d'une tournée que nous avons effectuée à Dirah, nous avons bien tenté de comprendre ce dilemme. Sur toute la longueur du chemin (plus de 50 km) qui y mène, nous n'avions pas pu résister au charme qui se dégageait des vastes champs verdoyants qu'on trouve sur toute l'étendue de la RN8. Le chemin qui traverse les plaines d'El Hachimia et de Sour El Ghozlane, ne manque pas de nous réserver des surprises. A la sortie de la ville de l'ex-Auzia (SEG), les monts escarpés nous séparant de Dirah annoncent déjà la rudesse des conditions de vie. Ce terrain chargé d'histoire a été le bastion de nombreuses luttes. A l'époque romaine déjà, et plus récemment lors de la guerre de Libération nationale, la région de Dirah était la plaque tournante à travers laquelle traversent toutes les révoltes. Les séquelles sont toujours là. Au chef-lieu de la commune, rien ne semble impressionner outre mesure dans cette localité qui ne paie pas de mine. Une petite tournée dans les ruelles de ce chef-lieu municipal nous donnera un avant-goût du marasme vécu quotidiennement par la population. Un peu plus loin, sur l'esplanade d'une cafétéria peuplée de badauds, le propriétaire nous dira : « Les apparences sont trompeuses. Vous voyez, tous ces gens sont, pour la plupart, des chômeurs. » Un jeune attablé juste à côté de nous, s'interpose comme pour apporter des précisions : « Je suis âgé de 29 ans, je ne connaîs pas d'autre travail que celui de saisonnier qu'on trouve lors des saisons de récolte chez les fellahs. Ces dernières années, avec l'amenuisement de l'activité agricole dans la région, nous chômons. » C'est dire combien les choses évoluent très mal de ce côté de la wilaya, où aucune activité économique n'est visible. Personne n'est visiblement tenté de venir y investir, nous diront les citoyens de cette commune. Pourtant, la localité regorge bien de richesses. N'a-t-elle pas été la première région du pays où l'on a découvert du pétrole ? Oui, affirme-t-on, puisque c'est durant la fin des années 1940 que le premier gisement de pétrole a été découvert dans la zone de Oued Gueterini. Ailleurs, et mine de rien, les zones pétrolifères découvertes récemment ont connu l'opulence après quelques années seulement d'exploitation. En tout cas, ce n'est pas le cas de Dirah. Par ici, cette richesse naturelle qui pouvait bien être le fait de la providence, ne servira même pas à créer quelques postes d'emploi. L'endroit offre le même décor des années du colonialisme. « Rien n'a changé depuis. Notre commune vit au même rythme et la population continue à vivre dans le dénuement », nous dira par ailleurs, Âmmi Ahmed, un octogénaire dont les traits tirés du visage témoignent des dures années vécues dans l'indigence. Détresse dans les villages Un travailleur à l'APC nous dira que « par ici, les responsables ont toujours peur d'aller au devant des problèmes de leurs administrés. Ils se contentent de recevoir des ordres pour les appliquer ». Le même constat a été fait au niveau de la subdivision agricole sise à quelques pas de là. A ce niveau, la première personne rencontrée annonce l'absence des responsables comme pour éviter toute confrontation. « Ils sont en mission », dira-t-il. Direction, Ouled Ahmed, un village situé à quelques encablures seulement au nord de chef-lieu de Dirah. Ce village, entièrement habité par des agriculteurs, est situé au milieu de ce qui devait être, jadis, des champs où on trouvait de tout. Les membres de la famille Badaoui, ayant investi dans l'aviculture, nous accueillent et nous font visiter les lieux. Les hangars destinés aux poules pondeuses et au poulet de chair, en grand nombre, annoncent une fluorescence de cette activité au niveau de cette localité. Mais, grande était notre surprise quand nous apprenons que ce n'est là que des hangars vides. Leurs propriétaires ayant, pour certains, bénéficié de crédits bancaires, peinent à rembourser. « La plupart des agriculteurs croulent sous les dettes, et les services de l'Etat ne trouvent pas mieux que de nous harceler », dira M. Badaoui Toufik, aviculteur et représentant des fellahs de la région de Dirah. Selon lui, les fellahs de cette localité ne peuvent plus compter sur l'agriculture pour nourrir leurs enfants. Une misère qui s'ajoute au manque de commodités les plus élémentaires à ce niveau. Ni route aménagée, ni éclairage public, ni eau dans les robinets et/ou de réseau d'assainissement, ce village est laissé aux oubliettes. Selon des témoignages recueillis sur place, « les écoliers, en l'absence de ramassage scolaire, bravent chaque jour le danger de se faire écraser par un chauffard », nous diront nos interlocuteurs qui ajoutent que « des accidents ont déjà eu lieu sur cette route, mais toutes nos doléances allant dans le sens de la réalisation d'une passerelle n'ont pas abouti ». Ainsi, la misère devient le maître mot dans cette contrée perdue dont les citoyens ne trouvent aucun soutien de la part de ceux qui président à leurs destinées. Un peu au sud, nous allons dans une petite ferme presque abandonnée. Le propriétaire, M. Nouri, qui regrette le fait de ne pouvoir faire face aux dépenses nécessaires pour l'entretien de sa ferme, dira que « les services de la banque m'ont saigné à blanc. Depuis que j'ai contracté un prêt dans le cadre du dispositif Ansej, pour monter un élevage de vaches laitières, je ne me retrouve plus », avant d'ajouter que « la situation s'est terriblement empirée ces derniers temps, car au moment où ceux ayant eu des crédits beaucoup plus conséquents ont bénéficié de l'effacement des dettes, la banque s'arroge le droit de geler tous mes avoirs et retirer chaque sou qui tombe dans mon compte ». Il dira même que la somme des 50 millions de centimes destinée à l'auto construction dont il a bénéficié auprès de la CNL (Caisse nationale du logement) a été happé par les services de la banque. Cela en plus des recettes qu'il reçoit en contrepartie de la vente du lait. « C'est la faillite ! », dira-t-il, avant d'ajouter que « rien n'est fait pour développer l'agriculture dans cette région, et les déclarations des responsables ne sont que des mensonges. La réalité du terrain est tout autre », tranchera-t-il.