Ce n'est pas une projection ordinaire ni une avant-première. Même si le premier rôle est tenu par un ministre de la République, Brice Hortefeux, chargé à l'époque de l'Immigration et de l'Identité nationale. Sur un écran de télévision, le public de la XVIIe chambre correctionnelle de Paris visionne un court passage, passé depuis à l'ASTo grâce à internet. Nous sommes le 5 septembre 2009, à l'université d'été de l'UMP. Brice Hortefeux plaisante au sujet d'un jeune homme, Amine, apparemment d'origine maghrébine, dont la voix rieuse d'une inconnue nous apprend qu'il « est catholique, mange du cochon et boit de la bière ». « Ah, mais ça va pas du tout, il ne correspond pas au prototype », commente le ministre de l'Intérieur. Une autre voix enjouée : « C'est notre petit Arabe. » Le ministre : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. » Tollé général. Ces propos valent au ministre d'échouer devant le tribunal vendredi dernier. Il a évité de se présenter devant la 17e chambre correctionnelle. Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) l'attaquait pour « injures raciales » après sa blague douteuse. La vidéo de la scène, publiée par Le Monde a été vue 1 244 000 fois, et le ministre s'est empêtré dans ses explications en assurant qu'il parlait du nombre de photos, puis des Auvergnats, avec une gêne croissante. Deux sociologues du CNRS, choisis par le Mrap, ont disséqué des propos controversés. Pour Vincent Geisser, le discours du ministre oppose des Français purs et « des Français moins purs, qui doivent prouver qu'ils mangent du cochon. Aux arguments de Brice Hortefeux, qui avait prétendu pendant un temps que ses propos concernaient les Auvergnats — et non les Arabes — on rétorque que c'est tout aussi grave. On passe de l'idée de minorité visible à celle de minorité nuisible ». L'avocat, Henri Braun, a choisi l'humour dans sa plaidoirie que « M. Hortefeux soit raciste résulte de l'évidence même. Il y a pour lui une essence de l'Arabe, qui ne changera pas, comme on a son bon juif ». Et de se dire qu'il « n'est pas hostile à, pourquoi pas, une peine de prison ferme qui pourrait être aménagée avec, par exemple, un bracelet électronique » parce qu'il faut « une tolérance zéro avec les délinquants ministériels ». Le procureur François Cordier a émis un doute sur le caractère public de l'échange. Selon lui, il n'est pas établi que le ministre — cité à comparaître pour « injure publique et raciale » — avait connaissance qu'il était filmé et enregistré par une caméra. Les faits pourraient alors être requalifiés en « injure raciale », une infraction qui relève de la contravention et non plus du délit. « On est dans le cliché, les idées reçues, le paternalisme », reconnaît le procureur. La première phrase attaquée (« il ne correspond pas au prototype ») est « une opinion choquante, éminemment critiquable, mais qui ne dépasse peut-être pas l'opinion admissible ». La seconde (« quand il y en a un… ») est en revanche « un propos outrageant, méprisant », et« le délit d'injure raciale » lui semble bel et bien constitué. Aussi, pour le procureur, l'injure raciste n'est pas caractérisée et les propos n'ont pas été tenus en public et l'intéressé ne savait pas que ses propos étaient enregistrés. Le tribunal, qui a mis sa décision en délibéré au 4 juin, est d'avis que les propos poursuivis n'étaient pas publics.