Les éditions Koukou viennent de mettre sur le marché un ouvrage collectif consacré aux événements du printemps berbère, intitulé Avril 80, qui présente l'intérêt, outre de donner la parole aux principaux acteurs du 20 avril 1980, de regrouper les témoignages de trois importants décideurs, placés en première ligne à l'époque des faits. Il s'agit de Hamid Sidi Saïd, ancien wali de Tizi Ouzou, Abdelhak Bererhi, ancien ministre l'Enseignement supérieur, et El Hadi Khediri, directeur de la Sûreté nationale de 1977 à 1987. Le détail mérite d'être souligné dans la mesure où c'est, sans doute, la première fois en 30 années que des officiels directement impliqués dans la « gestion » de ces événements acceptent de sortir de l'ombre, d'apporter leurs versions des faits et, surtout, de prendre le risque de s'exposer à la critique. Aussi, quelle que soit la nature des réactions que suscitera ce livre, qui constitue désormais un passage obligé pour tous les chercheurs qui entreprendront de travailler sur le printemps berbère, celles-ci ne pourront qu'enrichir le débat sur un épisode mouvementé de notre histoire récente que le pouvoir a tout fait pour l'occulter. Le mérite de cet ouvrage, coordonné par le journaliste Arezki Aït Larbi – qui se trouve être lui-même un acteur de ces événements – est qu'il permet, par ailleurs, de mieux comprendre le fonctionnement de la mécanique répressive aveugle de l'Etat à l'époque des faits et le poids des forces conservatrices qui tenaient alors les rênes du pouvoir. Un pouvoir que les tenants du parti et de la pensée uniques étaient prêts à conserver quitte, pour cela, à « raser » toute une région. Les écrits d'El Hadi Khediri et de Abdelhak Bererhi sont intéressants en ce sens qu'ils se rejoignent sur le fait que des cercles au pouvoir ont tout entrepris pour pousser la situation au pourrissement dès le début, cela afin, sans doute, d'amener l'armée à intervenir. El Hadi Khediri, Abdelhak Bererhi et Hamid Sidi Saïd révèlent ainsi que la décision de déloger, le 20 avril 1980 à 5h, par la manière forte, les établissements publics occupés par les manifestants à Tizi Ouzou avait reçu l'aval des hautes autorités du pays sans avoir tenté, au préalable, de résoudre la crise par le dialogue et la concertation. Par ailleurs, précisent-ils, l'ordre de recourir à la répression avait été pris à l'insu d'une grande partie des membres de la cellule de crise mise en place par le gouvernement et dans laquelle ils siégeaient, en compagnie des patrons de la sécurité militaire, de la gendarmerie, du chef du gouvernement, du secrétaire général de l'UGTA, du coordonnateur du FLN et du ministre du Travail. A ce propos, Abdelhak Bererhi et El Hadi Khediri tout autant que Hamid Sidi Saïd témoignent qu'ils ont entrepris tout ce qui était en leur pouvoir, chacun au niveau qui était le sien, pour éviter l'irréparable. C'est-à-dire éviter qu'il ait mort d'homme. Si, fort heureusement, pendant ces événements il n'y a pas eu de victime, M. Khediri reconnaît toutefois que la torture a été pratiquée à grande échelle en Kabylie. « Parmi les points noirs de toute ma carrière, la question de la torture continue d'interpeller ma conscience. Elle a été pratiquée de tout temps, singulièrement durant le printemps berbère et les événements d'octobre 1988. Après les tortures d'avril 1980 dont j'ai été informé bien plus tard, j'ai veillé à en limiter les dégâts », écrit-il notamment.