Tout le monde sait et dit que le pétrole est une ressource épuisable et que l'agriculture demeure l'une des solutions à même de combler ce déficit qui se profile déjà à l'horizon, mais, comble de désespoir, personne ne fait rien pour matérialiser cette sentence sur le terrain. Certes, des programmes d'aides aux fellahs sont initiés par le ministère de l'Agriculture, des moyens humains et matériels sont mis à la disposition des instituts de recherche, des promotions de techniciens et d'ingénieurs sortent chaque année des différents instituts et écoles du pays. Mais tout cela pour presque rien, car nul besoin d'être agronome de formation pour remarquer tout de suite la grande pagaille qui règne dans ce secteur dit pourtant stratégique. Il suffit en effet de faire un tour dans des exploitations agricoles, à l'est, à l'ouest ou au centre du pays pour constater de visu ce qui ne va pas. En mettant les pieds dans une ferme, on a l'impression qu'on est toujours au siècle dernier, tant les méthodes et le matériel utilisés pour produire sont obsolètes. S'il est vrai que pour certaines spéculations, comme la pomme de terre, la pastèque, le piment, le poivron... les résultats se passent de commentaires, il n'en demeure pas moins que pour les autres, notamment les céréales et le lait, il y a beaucoup à dire et à écrire. Le blé dur, voilà un produit de large consommation, mais dont la bonne conduite de sa culture reste hors de portée du premier fellah venu. A croire qu'il y a une volonté manifeste de laisser nos agriculteurs se débrouiller seuls : labourer et semer quand ils peuvent, sans le moindre apport de fertilisants, récolter, si récolte il y a, sans avoir au préalable pris la précaution de débarrasser la culture de ses mauvaises herbes, et livrer la faible production (10 à 20 quintaux par hectare) à un organisme qui n'a même pas les moyens d'engranger tout le grain d'une relative bonne récolte. Le lait, cette autre denrée alimentaire de large consommation, reste lui aussi difficile à produire en quantité et en qualité. La preuve, au moins le tiers de la consommation nationale nous vient encore de l'étranger, et le nombre de personnes atteintes par la fièvre de Malte, la brucellose chez les ovins et les bovins ne cesse d'augmenter. Et la liste est encore longue des spéculations que le commun des agriculteurs ne maîtrise pas encore. Mais c'est incontestablement dans les exploitations agricoles collectives (EAC) que le ridicule a atteint son paroxysme. En 1988, année de l'avènement de ces exploitations suite à la restructuration des anciens domaines autogérés, beaucoup croyaient naïvement que, débarrassées des pesanteurs bureaucratiques et d'une tutelle omniprésente, ces EAC allaient enfin pouvoir créer de la richesse et des emplois, mais c'est exactement le contraire qui s'est produit. Devenus subitement maîtres à bord, eux qui n'étaient que des ouvriers agricoles pour la plupart, les membres de ces EAC ne mettront pas beaucoup de temps pour déclencher les hostilités, entre eux d'abord, puis avec leur banque, leurs clients et autres prestataires de services. En quelques années, la situation est devenue tellement délétère dans les EAC que leurs membres ont décidé, à l'unanimité, et presque aux quatre coins du pays, de se partager les terres, les bâtiments, les bêtes et le matériel des exploitations, transformant du coup les grands domaines d'antan en fermettes familiales traditionnelles. Et ce n'est pas tout ! Certains, devant le laxisme des pouvoirs publics durant la décennie rouge, ont tout bonnement loué leur ferme avant d'aller se la couler douce ailleurs. D'autres, alléchés par le gain facile, ont accepté de signer un désistement moyennant un ou deux lots de terrain qu'ils ont revendus au prix fort. D'autres encore, de peur ou par malchance, sont restés sur les lieux à cultiver leur lopin de terre et garder quelques têtes de bétail, donnant l'impression à qui voudrait aller leur rendre visite qu'ils ont renoué avec l'agriculture des années 1800. L'agriculture algérienne est-elle condamnée à rester archaïque, n'arrivant jamais à subvenir aux besoins d'une population en constante croissance ? Tout porte à le croire, sauf bien sûr si les pouvoirs publics, dans un sursaut salutaire pour tout le monde, décident un jour de s'occuper sérieusement de l'agriculture, le seul secteur qui peut faire éviter les affres de la famine aux générations futures, appelées à vivre sans pétrole. D'aucuns se demandent alors par où commencer. Les initiés rétorqueront que l'essentiel est justement de commencer car, dans toute entreprise de longue haleine, quand on commence en y mettant le prix et le savoir-faire, on finira tôt ou tard par voir ses efforts récompensés. Les agronomes de terrain préconisent d'abord et avant tout de rendre effectif le slogan, vieux mais toujours d'actualité, « la terre à celui qui la travaille », parce que Dieu sait combien d'hectares de bonne terre sont gardés jalousement par de faux fellahs qui ne s'en servent que pour leur agrément. Les mêmes agronomes préconisent aussi la création de fermes géantes spécialisées, qui en céréaliculture, qui en production laitière, etc. Et le plus tôt sera le mieux, parce que personne ne sait de quoi sera fait demain, et à quel prix sera vendu le pétrole dans les années à venir. Au fait, et si l'Etat décidait d'utiliser les réserves de change dans la modernisation de l'agriculture ? Cela rapporterait sûrement mieux, surtout à long terme, que les quelques dividendes générés par ces dépôts massifs dans les banques étrangères. En tout cas, qu'on l'admette ou pas, l'avenir de l'Algérie est dans l'agriculture. Oublier cette lapalissade, c'est assurément pratiquer la politique de l'autruche. A. B. : Zootechnicien/Journaliste