Un habitant sur trois vit aujourd'hui dans un pays en pénurie d'eau. Ce chiffre est effarant mais bien en dessous de la réalité qui nous attend dans vingt ans. Au rythme où vont les choses - explosion démographique, urbanisation galopante, développement de l'agriculture intensive, en 2025, les deux tiers de la planète manqueront de la ressource la plus précieuse qui soit. En clair : il n'y a pas assez d'eau pour remplacer celle que nous consommons. L'Algérie ne fait pas exception à la règle. Avec 600 m3 par habitant et par an, le pays est même largement en dessous du seuil des 1 000 m3 qui séparent les pays en carence d'eau et les mieux lotis. Pire : dans moins de cinq ans, nous atteindrons un seuil de stress hydrique supplémentaire, fixé à 500 m3. A l'occasion du colloque international sur l'eau et l'environnement, qui se tiendra aujourd'hui et demain à Alger (1), El Watan s'est projeté en 2025. Construction de barrages, de stations de dessalement, forages dans la nappe… Toutes les mesures prises par le gouvernement seront-elles suffisantes pour enrayer la catastrophe ? Sera-t-on capable, comme l'espère le ministère des Ressources en eau, de fournir, à cette échéance, de l'eau potable à toute la population et l'eau nécessaire à l'agriculture et à l'industrie ? Le point avec les spécialistes. Pas de barrage efficace sans entretien En 2025, le pays devrait exploiter 69 barrages et s'appuyer sur 6 grands transferts (Mostaganem-Oran, Taksebt-Alger, Tichy-Béjaïa, Béni Haroun vers 6 wilayas de l'Est, In Salah-Tamanrasset, Koudiet/Bouira vers 5 wilayas des Hauts-Plateaux) pour une capacité de 7,2 milliards de mètres cubes. « Ces infrastructures nous permettront de fournir 60% de l'eau potable et industrielle et d'irriguer », précise Abdelmalek Ben Bouaziz, chargé de la communication au ministère des Ressources en eau. « Il n'y pas de souci à se faire : le taux de remplissage des barrages existants, de 40% contre 32% à la même période l'an dernier, est très bon pour un début d'hiver. Ceux de l'Ouest ne sont pleins qu'à 17% et 25%, mais ceux du Centre sont à 50% pleins et ceux de l'Est, à 60%. Nous pouvons tenir jusqu'en octobre ou décembre 2007 même s'il ne pleut pas. » Problème : alors que les 57 barrages du pays (5,7 milliards de mètres cubes de capacité) contiennent des quantités d'eau suffisantes, la population est soumise à des rationnements. A Alger, qui dispose chaque jour de 700 000 m3, les Algérois ne reçoivent pas les 150 litres quotidiens auxquels ils pourraient prétendre. « Les barrages ne sont pas d'une grande utilité si une gestion plus rigoureuse de l'eau n'est pas menée, souligne Mohamed Safar-Zitoun, ingénieur géologue. Aujourd'hui en Algérie, entre le réservoir et le robinet, 30% de l'eau se perdent dans des fuites. » Rachid Taïbi, directeur de l'Agence nationale des ressources hydrauliques, reconnaît : « Le réseau, construit à l'époque coloniale, est victime de sa vétusté, mais nous sommes en train de le rénover à Alger et les réseaux de douze autres villes seront prochainement réhabilités. » Le ministère mise aussi beaucoup sur la gestion déléguée à des entreprises extérieures. « On profite de l'expérience de Suez, de ses techniques et de ses compétences, ajoute Abdelmalek Ben Bouaziz. Actuellement, 3 000 agents algériens sont formés sur le terrain au diagnostic, au prélèvement. » Une fois la question des fuites réglée, reste encore à résoudre le problème de l'érosion. « Construire des barrages, c'est bien, mais personne ne pense à l'entretien. La moitié des barrages existants ont été comblés par les cailloux et la terre charriés par les écoulements. Les plans d'eau doivent être absolument protégés et pour l'instant, ils ne le sont pas. Et leur capacité diminue tous les ans », souligne un ingénieur hydraulicien. Dessaler l'eau de mer en prévoyant le traitement des déchets « Nous avons décidé de mobiliser toutes les ressources en eau grâce aux barrages, explique le directeur de l'Agence nationale des ressources hydrauliques. Malgré cela, l'Algérie aura toujours un déficit en eau. On aura beau limiter les fuites, traiter les eaux usées, ça ne suffira pas non plus. Grâce au dessalement de l'eau de mer, nous serons en mesure, d'ici 2025, de fournir de l'eau pour la consommation et l'agriculture. » La stratégie prévoit même de rendre toute la zone côtière indépendante grâce au traitement de l'eau de mer et d'envoyer le surplus vers les Hauts-Plateaux. Une prévision qui laisse l'ingénieur sceptique. « L'eau ne va jamais spontanément vers le haut. Il faudra la pomper, ça va exiger beaucoup d'énergie et coûter excessivement cher ! » A-t-on trouvé dans le dessalement la solution miracle ? « Non », répondent les écologistes. Car les stations consomment de l'énergie et dégagent des polluants qui ne font qu'aggraver la détérioration de l'atmosphère. Un spécialiste du traitement de l'eau s'interroge : « Les stations de dessalement demandent vraiment beaucoup d'énergie. O.K., l'Algérie en a, mais jusqu'à quand ? A-t-on pensé à la saumure produite par le dessalement ? C'est un déchet comme un autre qu'il faut traiter. » Sans réfuter, Rachid Taïbi nuance : « Pour chaque station, nous devons mener une étude d'impact et il est évident qu'une telle installation perturbe l'environnement immédiat, mais il faut bien comprendre que ses bénéfices sont largement plus importants que les répercussions négatives. » Pour Mohamed Safar-Zitoun, le dessalement est indéniablement une solution viable à long terme. « L'Arabie Saoudite recourt à cette méthode depuis un moment et en Espagne, des expériences montrent que l'on peut alimenter sans problème les zones agricoles avec de l'eau salée. » Prélever dans la nappe à condition de traiter l'eau usée Autre mesure prise par le gouvernement pour compenser le déficit hydrique : les forages. Sur les 2 milliards de mètres cubes présents dans le sous-sol algérien, le pays en exploite actuellement 1,8 milliard au nord et 1,7 milliard au sud alors que, d'après Rachid Taïbi, 5 milliards pourraient être exploités chaque année sans risque. A l'échelle régionale, l'Algérie, la Libye et la Tunisie ont décidé d'exploiter en concertation la nappe du Sahara septentrional. « Le projet avance bien, promet le directeur de l'Agence nationale des ressources hydrauliques. Une première évaluation des ressources a été faite. Des modèles mathématiques ont aussi été élaborés pour évaluer l'impact d'un forage dans le pays où il est réalisé et chez le voisin. Enfin, un réseau de pluviomètres a été mis en place. » Les écologistes s'inquiètent, toutefois, d'une surexploitation des ressources souterraines, déjà très sollicitées. « On ne prélèvera que des petites quantités, de l'ordre de 1m3/seconde, soit 30 millions de m3/an. De plus, les projets prévoient que l'on travaille sur d'autres zones dans le cas où l'on risque d'affecter un champ en particulier. Les réserves de la nappe, de 1 million de km2, dont 650 000 km en Algérie, représentent 40 000 milliards de mètres cubes. Le tout est de ne pas abuser », rassure le directeur. « La nappe est un milieu fragile et il ne faut pas prélever l'eau n'importe comment sinon on risque de bousiller assez rapidement le système oasien », insiste un ingénieur hydraulicien. « Tout au long de l'année, une gestion globale doit être faite sur les quantités prélevées et, surtout, sur le traitement des eaux usées. Et sur ce dernier point, je suis plus inquiet. A Biskra ou à Ouargla, la nappe est déjà dans un état de pollution catastrophique parce que, justement, l'eau prélevée et usée retourne dans la nappe sans être traitée », ajoutera-t-il. Mohamed Safar-Zitoun confirme : « Nous rejetons plusieurs milliards de mètres cubes d'eaux usées. Il faut en récupérer un maximum. Or, on le fait très mal en Algérie. Le fonctionnement de nos stations d'épuration n'est pas suffisant. » Conscient de la ressource que représentent aussi les eaux usées - en particulier pour l'agriculture dans les régions les plus exposées à la sécheresse -, le ministère des Ressources en eau projette de multiplier les stations d'épuration. « D'ici 2010, nous prévoyons de faire passer le volume d'eaux usées épurées de 200 à 600 millions de m3 », rappelle Abdelmalek Ben Bouaziz. A en croire le ministère, l'Algérie est parée au pire. « Dans le pire des scénarios où on enregistrerait un déficit de précipitations, une réduction des écoulements de 14% et une baisse de la nappe de 30%, tous les Algériens auront de l'eau, seul l'Ouest en manquera un peu pour l'agriculture. » A l'échelle du continent, un projet de canal transafricain ambitionne d'utiliser les eaux du fleuve Congo, dont le débit moyen est l'un des plus importants de la planète (42 000 m3/seconde) pour transporter 100 milliards de mètres cubes d'eau douce par an. Sur le terrain, ce canal relierait en tant que voie navigable le fleuve Congo à la région du bassin de Melhrir en Algérie et permettrait, entre autres, de sauver le lac Tchad en lui rendant son niveau de 1960. « Ce fleuve continental étanchera la soif des régions tout au long de son parcours, précise le projet, et permettra une irrigation à grande échelle et un reboisement massif. » Louable mais légèrement utopique compte tenu des conflits dans les pays que le canal prétend traverser. « L'étude de faisabilité est en cours. Bien sûr, cette route n'est pas réalisable demain. Mais on achemine bien le pétrole d'Algérie en Espagne en passant par le Maroc. Des concordes entre différents Etats sont tout à fait envisageables. Le monde change, positive Rachid Taïbi. Qui sait ? Peut-être que d'ici 50 ou 100 ans, on pourra acheminer l'eau du Rhône en Afrique ? » En attendant, d'autres solutions plus modestes pourraient être adoptées. Par exemple, récupérer l'eau contenue dans l'air. « Des expériences en Allemagne et en Mauritanie ont montré que cela était possible, avec des moyens peu coûteux, poursuit-il. Dans les régions steppiques, où il n'existe rien, on pourrait ainsi soulager une partie du bétail et de la population grâce à des installations type chauffe-eau solaire, à l'échelle d'un ménage ou d'un village. » Sous réserve de développer une « culture » de l'eau. « C'est évident : il faut mener un gros travail de sensibilisation auprès de la population, relève-t-il. L'eau n'est pas encore devenue un élément culturel qui influe sur le comportement du citoyen. Certains gestes, comme celui de fermer l'eau quand on se brosse les dents (voir encadré ci-contre), devraient être des automatismes. » Dans les écoles algériennes, un programme a été mis en place avec l'éducation nationale pour éveiller les jeunes générations à la valeur d'une telle ressource. « J'ai bon espoir avec les enfants, résume Rachid Taïbi. Mais je pense que les adultes aussi sont réceptifs. En décembre, tous les Algériens se sont inquiétés de ne pas avoir de pluie et tout le monde a compris la nécessité des mesures de rationnement. » L'Algérie a-t-elle su prendre le problème par le bon bout ? « Incontestablement, commente un spécialiste français de l'eau en Algérie. Le Maroc et la Tunisie ne font pas mieux. En revanche, je pense qu'il y a un vrai problème de stratégie. L'approche des choses est beaucoup trop verticale. On pense à chaque solution de manière indépendante. Par exemple, le forage est envisagé comme une solution à part entière alors qu'il faudrait l'intégrer dans la gestion globale d'un bassin versant. On ne peut pas prélever de l'eau dans une nappe sans se demander comment ensuite la traiter pour qu'elle ne pollue pas. » (1) A l'hôtel Riadh à Sidi Fredj. Les économies d'eau commencent à la maison : Prendre une douche plutôt qu'un bain, c'est diviser au moins par trois sa consommation d'eau. Une douche de 4 à 5 mn consomme 30 à 80 litres d'eau et un bain 150 à 200 l. Surveiller les fuites d'eau évite d'alourdir sa consommation de 20%. Un robinet qui fuit perd jusqu'à 120 l. Fermer le robinet quand l'eau coule sans raison doit être un réflexe. Surtout pendant le brossage des dents ou le rasage, responsable de 12 à 18 l d'eau gaspillés chaque minute. Même chose pour la vaisselle : la rincer sous l'eau courante fait perdre jusqu'à 200 l d'eau. Placer un robinet mitigeur permet d'économiser 10% d'eau par rapport à un robinet mélangeur classique.