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Que doit faire l'Algérie?
TROISIÈME CONTRE-CHOC PETROLIER
Publié dans L'Expression le 24 - 11 - 2008

«Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile.» Thucydide (v. 460 - apr. 395 av. J.-C.)
Un vent de "panique" écrit Jean-Michel Bezat, commence à souffler sur les compagnies nationales des pays producteurs de pétrole. Effrayées par la chute des cours de l´or noir, elles sont prêtes à annuler la plupart des investissements prévus dans les prochains mois. C´est le sentiment qui dominait mi-octobre lors de la réunion, à Pékin, des dirigeants d´une trentaine de sociétés publiques, a expliqué le patron de la China National Offshore Oil Corporation (Cnooc), mardi 18 novembre, lors du Global China Business Meeting organisé à Barcelone (Espagne). Fu Chengyu a ajouté que la plupart d´entre eux s´attendaient à ce que le prix du baril tombe à 40 dollars. Ce sentiment de panique n´a pu que se renforcer depuis. Les prix sont sur une pente qui les rapproche de 40 dollars, leur niveau de 2004. Jeudi, le Light sweet crude pour livraison en décembre a clôturé la séance à 49,62 dollars à New York; le Brent de la mer du Nord a terminé à 47,80 dollars à Londres.
La dégradation de l´économie américaine et les perspectives d´un fort recul de la consommation d´or noir amènent à «une contraction de la demande mondiale en 2008 et 2009 qui est une possibilité réelle pour la première fois depuis vingt-cinq ans», indique le Centre for Global Energy Studies de Londres dans son bulletin mensuel de novembre. Le prix le plus bas pour rendre des projets rentables, comme l´extraction de brut en eau très profonde, est de 60 dollars et monte jusqu´à 90 dollars. Les pétroliers, qui ont calculé leurs cash-flows sur la base d´un baril à 70, 80, voire 100 dollars, vont être à court de liquidités pour mener à bien ces projets, a indiqué M.Fu. Le raffinage va aussi pâtir de la crise: plus de 80% des 160 projets annoncés depuis 2005 risquent d´être annulés en raison de la baisse des marges, vient de calculer le consultant Wood Mackenzie. L´inquiétude de l´Agence internationale de l´énergie (AIE) fait écho à celle des milieux pétroliers. Avocat des pays industrialisés, elle prône des prix modérés qui ne pénalisent pas l´activité économique. «Mais des prix très bas compromettent la réalisation des investissements, notamment dans les pétroles dits "difficiles"», prévient Fatih Birol, chef économiste de l´AIE. «De nombreux projets de développement des énergies alternatives, comme les renouvelables (éolien, solaire...) seront confrontés à des soucis de viabilité économique», précise-t-il.
Gaspillage et gabégie
En 2007, l´investissement dans l´exploration-production (pétrole-gaz) a atteint 390 milliards de dollars (311 milliards d´euros). Un record certes, «mais moins que les 450 milliards de dollars annuels nécessaires dans les dix prochaines années», nuance M.Birol. «Il y a beaucoup de retards, d´annulations d´investissements. Je pense que cela peut déboucher sur une rupture de l´approvisionnement quand la demande repartira en 2010-2011. Les prix pourraient être alors encore plus élevés que l´été dernier», où ils avaient frôlé 150 dollars La solution est dans les mains des compagnies pétrolières des pays producteurs. «Environ 80% de la croissance de la production d´hydrocarbures d´ici à 2030 devra venir d´elles, alors que le rôle des majors internationales diminuera», rappelle M.Birol. Il souligne que c´est moins la hausse de la demande que l´épuisement accéléré des puits en production qui doit inciter ces groupes publics à investir. «Même si la demande restait plate d´ici à 2030, calcule-t-il, il faudrait trouver 45 millions de barils par jour simplement pour compenser le déclin des champs en exploitation.» Quatre fois et demie la production quotidienne de l´Arabie Saoudite!(1)
Ceci est confirmé par l'Opep. Dans son rapport mensuel de novembre, elle a fortement revu à la baisse sa prévision de hausse de la demande de brut en 2008 dans le monde à 0,33% contre 0,64% en octobre. Pour 2009, le cartel prévoit désormais une hausse de la demande de 0,57%, contre 0,87% le mois précédent. Selon les analystes de Barclays Capital, le bout du tunnel est loin d'être atteint par les prix du baril de pétrole. «Le fonds de la baisse sera probablement défini par un déséquilibre. Il faut que cela soit un prix si bas qu'il apparaisse ridicule à la majorité du marché, sans tenir compte de savoir à quel point les perspectives pour le monde sont sombres et moroses.» Que deviennent alors les voeux pieux d'un baril entre 70 et 90$ sachant que les 90$ de 2008 valent à peine les 32$ de 1980 en termes de pouvoir d'achat.
L'exemple du gaspillage est une spécificité de l'Opep. La gabegie des pays du Golfe est bien connue (15tep/hab/an). Un autre pays est bien parti: le Venezuela: «En ces temps où le pétrole vaut de l´or, les Vénézuéliens ont l´essence la moins chère du monde. Ils la paient en effet 0,097 bolivar, soit 2,5 centimes d´euro le litre», raconte La Stampa. Un record qui représente un manque à gagner de 13 milliards de dollars par an. Un plein d´essence coûtant moins cher qu´une cannette de Coca-Cola, les Vénézuéliens ne sont pas incités à faire des économies. Et si 80% des habitants ne peuvent se permettre une voiture particulière, les 20% restants raffolent des 4x4 les plus gourmands. La même gabegie est à signaler en Algérie avec un prix de l'essence bradé et pire pour le gas-oil, ce dernier est vendu 0,12 euro oblige l'Algérie à importer pour plus de 200 millions de dollars, tout cela parce que nos chers députés -garants des intérêts du peuple- refusent toute augmentation. On comprend dans ces conditions le mépris dans lequel les pays rentiers sont tenus par les pays industrialisés. Ce ne sont ni des modèles de gouvernance, ni de tolérance, ni de démocratie...Pourtant chacun sait que le pétrole est bradé, il est irremplaçable. Pour Jean-Marc Jancovici: «On pourrait presque dire que le pétrole est gratuit! Dans notre système économique, on ne compte que le travail humain. Le prix de l'énergie, pour nous, ce n'est que ce qu'on paie à ceux qui extraient, transforment et distribuent une ressource qui était déjà là. Mais on ne paie pas le prix de la constitution de cette ressource. Le contenu énergétique de 1 litre d'essence, c'est le même contenu énergétique que le travail de 10 à 100 personnes sur un jour! Quand on va devoir produire cette même énergie "à la main", par exemple avec les renouvelables -des énergies très diffuses et moins performantes-, on va voir la différence. (..)»(2)
«L´or noir poursuit donc sa chute vertigineuse; depuis son record historique de 147,16 dollars atteint mi-juillet, le baril a perdu plus de 70%. Selon la Deutsche Bank, il pourrait rapidement retomber à 40 dollars, alors que la crise s´étend de plus en plus des pays développés vers les pays émergents. La descente aux enfers pourrait convaincre l´Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui fournit 40% du brut mondial, de réduire de nouveau ses livraisons lors d´une réunion d´urgence prévue le 29 novembre au Caire, en Egypte. L'AIE a indiqué qu´elle tablait sur une hausse de 0,1% de la consommation mondiale cette année. Soit la plus faible croissance depuis 1985! En janvier, ses experts s´attendaient encore à une progression de 2,3%. Pour 2009, ils tablent sur une hausse limitée à 0,4%, au lieu de 0,8% envisagée en octobre...Mais plusieurs instituts sont plus pessimistes et s´attendent pour l´année prochaine à la première contraction de la demande de pétrole depuis plus de vingt-cinq ans.»(3)
De deux choses l'une, ou l'Opep est une structure incompétente qui, malgré ses «nombreux experts» payés à prix d'or par les pays producteurs, n'a pas su anticiper cette chute, notamment le ralentissement américain, la chute des pays asiatiques, ou bien encore les dirigeants de l'Opep sont de grands naïfs qui croient ce que leur dit l'AIE qui change d'avis chaque mois. Aux dernières nouvelles, elle promet 60 dollars...en 2030.Ou bien encore, et c'est le plus probable, l'Arabie Saoudite est en train de rééditer le coup de 1986. Elle peut se le permettre, elle produit 7 fois plus que l'Algérie avec des réserves qui frisent le millier de milliards de dollars. Dans ces conditions, à quoi sert l'Opep si c'est un seul qui décide. Sans être grand spécialiste, il est connu que la consommation américaine a chuté de 3 millions de barils en comptant les diminutions des autres pays c'est au total près de 5 millions de barils qu'il faut retirer vite. Ces mesurettes qui consistent à retirer par petites doses n'ont aucun effet comme nous le voyons. Il faut savoir que les 46 dollars du 21 novembre (perte de 100 dollars en cinq mois) valent en dollars constants autant que les dollars du contre-choc de 1986. Pour comble de malchance, ou d'intelligence, nous sommes mono-exportateur et nous perdons sur les deux tableaux, le gaz naturel qui est indexé sur le pétrole a, lui aussi, chuté
Parler vrai
Avec un cours inférieur à 70 dollars au-delà de deux ans, Mebtoul prévoit «un véritable séisme pour l´économie algérienne». «La persistance de la crise économique mondiale au-delà de 2011 serait un véritable séisme pour l´Algérie.» A ce titre, il a souligné qu´à un cours inférieur à 70 dollars au-delà de deux années, l´économie algérienne serait confrontée à un véritable séisme, pouvant entraîner des licenciements massifs suite à l´arrêt de bon nombre de projets d´investissements, les investissements porteurs étrangers créateurs de valeur ajoutée diminueraient, du fait de l´amenuisement des réserves de change.(4)
Nous pensons qu'il est immoral, voire scandaleux, d'affirmer que tout va bien en Algérie, que nous sommes protégés par un matelas de devises, l'incitant plus que jamais à la paresse ou à la fatalité, au lieu de lui indiquer le chemin ardu du travail et de la sueur. Nous sommes bel et bien dans l'oeil de la crise et nous n'allons pas en sortir indemnes. L'Opep qui produit 32 millions de barils jour avance des pertes de 700 milliards de dollars depuis juillet. Dans ce cadre et proportionnellement à sa production, l'Algérie a perdu 20 milliards de dollars. Pourquoi nous entêtons-nous à être des bons élèves de l'Occident en ouvrant à fond nos vannes? Il y va de l'avenir du pays, il faut arrêter de vendre du pétrole à un prix aussi dérisoire, il faut penser aux générations futures. Il faut remettre en question notre place dans l'Opep, organisation dirigée d'une main de fer par l'Arabie Saoudite et ses satellites..
Il faut plus que jamais revoir tout ce que nous faisons. Pour commencer, l'Etat doit arrêter de vivre sur un train qui ne correspond pas à une création de richesses. Il nous faut réhabiliter notre savoir-faire en comptant sur nous-mêmes et non sur les Chinois, les Français, Turcs et autres Coréens pour qui l'Algérie est un bazar où on peut refiler n'importe quoi pour l'équivalent de 30 milliards de dollars de gadgets sans lendemain et aller vers des Etats Généraux dans tous les domaines. La politique politicienne ne donnera pas à manger à ce peuple, elle ne lui offrira pas une perspective de sortie de la «gharka», de la gadoue. Il faut un nouveau programme pour gérer l'Algérie, un programme basé sur la formation des hommes. Cela commence à l'Ecole où tout doit être rentabilisé. Il n'est pas interdit de penser à une économie de guerre et redécouvrir ce que l'on savait faire avant les licenciements massifs au nom du marché de l'ouverture débridé.
Au moment où l'Europe rassemble ses forces, unifie ses langues, modernise ses universités et modélise sa consommation d'énergie, en promettant d'ici 2020 de réduire la consommation de 20%, de diminuer l'intensité énergétique de 20%, consommer mieux en consommant moins, et enfin d'avoir un objectif de 20% en énergie renouvelable, le Maghreb est plus divisé que jamais. Suprême organisation, on apprend que deux millions d´oeuvres, des livres aux vidéos, sont consultables en ligne sur le site Europeana.eu de la bibliothèque numérique européenne, fruit d'un destin commun pour les 27 pays européens. Il est suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul à l'heure des importantes mutations mondiales. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d'inéluctables tensions sociales. L'histoire commune nous impose d'entreprendre ensemble. L'Algérie le devrait, en réunion de crise, loin du tumulte sans lendemain des joutes politiciennes car il s'agit de l'avenir du pays et non pas du parcours d'individus qui essayent lamentablement de se placer ou replacer sur l'échiquier pour se donner une visibilité. On l'aura compris, l'Algérie actuelle c'est une somme de destins frénétiques et solitaires qui n'ont apparemment pas, il faut le regretter, une ambition pour un destin collectif. Si on devait honnêtement parler d'un futur, parlons de celui de l'Algérie. Ce qui peut arriver de mieux pour le pays, c'est qu'il y ait une stratégie. Regarder dans le rétroviseur trop longtemps nous distrait des vrais défis qui n'attendent pas. Par ailleurs, la rapide chute des prix à partir de juillet 2008 (147 dollars) jusqu'à moins de 50 dollars le 22 novembre, montre que les «fondamentaux» ne peuvent pas à eux seuls expliquer ce qui se passe. On a beau incriminer la spéculation responsable de 50 dollars, il n'en demeure pas moins que cette descente vertigineuse est inédite dans l'histoire du pétrole. Ce n'est plus un contre-choc, c'est une catastrophe pour les pays rentiers mais aussi pour la lutte contre les changements climatiques, car les programmes des énergies renouvelables n'étant plus compétitifs, ils seront relégués au second plan, compromettant dangereusement la santé de la Terre. Il est à espérer qu'un vent de sagesse soufflera, notamment avec l'espoir suscité par la nomination du président Obama qui s'engage pour les énergies renouvelables, avec aussi une prise de conscience globale de la rareté du pétrole et de son déclin.
Cette conscience globale permettra d'arriver à un prix raisonnable stable qui puisse être acceptable par les producteurs et les consommateurs et qui puisse permettre le développement rapide des énergies vertes. Cela passe aussi par la nécessité de substituer dans les pays industrialisés (20% de la population mondiale qui consomment 75% de l'énergie) à l'ébriété énergétique actuelle, une sobriété énergétique en espérant aussi que les pays émergents n'empruntent pas aussi le même chemin que le développement dans les pays industrialisés dont la crise financière actuelle nous a montré les limites.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Jean-Michel Bezat: L´effondrement du prix du pétrole commence à paniquer les compagnies des pays producteurs Le Monde 21.11.08
2.Jean-Marc Jankovici: Entretien paru dans Libération du 4 juin 2008
3.Pétrole vers 40, vite? 21.11.2008 http://conjoncture.blogs.challenges.fr/trackback/101932
4.M.Amani: Séisme pour l´économie algérienne. Le Maghreb: 08-11-2008


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