Plus que quelques jours avant le début du Ramadhan que déjà les algériens s'organisent sur les réseaux sociaux pour décider de l'heure appropriée des manifestations. Plusieurs groupes sur Facebook annoncent que l'heure restera la même, alors que d'autres estiment que des manifestations nocturnes après Salat El Tarawih sont plus commodes. El Watan Week-end est allé questionner plusieurs associations pour avoir plus d'informations sur le sujet. Les Algériens sont déterminés en ce onzième vendredi de manifestations et rien ne pourra les arrêter. Ils sont là avec de nouvelles pancartes et de nouveaux slogans, mais ce sont toujours les mêmes revendications qui reviennent. Dans quelques jours, le mouvement populaire sera au cœur du mois le plus sacré du calendrier musulman : le Ramadhan. Les algériennes et les Algériens sont d'ores et déjà en pleines concertations de ce que seront les manifestations les prochaines semaines. Nous avons consulté des pages Facebook appelant à poursuivre les marches durant le mois sacré, toutefois l'horaire est le paramètre pour lequel beaucoup ne sont pas encore fixés. Entre garder les mêmes horaires, marcher très tôt le matin, rompre le jeûne tous ensemble dans la rue ou encore attendre la fin de la prière des Tarawih pour revendiquer de façon pacifique leur droits, les internautes sont encore indécis. Du point de vue d'un sociologue, «cette indécision est la crainte des facebookers qui alimentent le mouvement populaire de voir peu de monde lors de ces manifestations projetées quel que soit l'horaire, surtout pour ceux qui viennent des autres wilayas, et particulièrement celles de l'Algérie profonde. Il faudra donc s'attendre à des nombres régressifs, même si les plus activistes pourront toujours s'arranger pour y participer», a expliqué Mohammed Kouidri, professeur à la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Oran 2. Une chose est sûre, se décourager n'est pas dans l'agenda des manifestants. «Il n'y aura ni arrêt ni affaiblissement du mouvement populaire, parce que c'est un mouvement national et le peuple ne va pas rentrer chez lui à cause du mois de Ramadhan. Le mouvement de contestation va se poursuivre pendant le Ramadhan, il prendra une autre forme. Sur les réseaux sociaux, on parle déjà de déjeuners collectifs, de manifestations après la rupture du jeûne. Le mois de Ramadhan sera surtout l'occasion de débattre de cette nouvelle République que les Algériens veulent construire.» C'est ce qu'a indiqué le président de l'association Rassemblement action jeunesse (Raj), Abdelouahab Fersaoui, dans un entretien donné au média électronique TSA. 1 Garder la même heure Dans un premier temps, les Algériennes et Algériens pourraient garder les heures habituelles pour organiser les manifestations. Beaucoup pensent qu'il ne faut pas modifier le programme. C'est le cas de Radia, militante et membre du Forum Civil pour le changement. «Pour le moment et du moins pour le premier vendredi, les manifestations seront maintenues comme au début du mouvement après Salat El Dohr. Nous verrons au fil des jours comment les gens envisageront la contestation. De plus, des débats et conférences sont en train de se préparer pour après le Ftour par de nombreux collectifs, mais aussi des activistes. Cette année, nous n'aurons pas des ‘‘sahrat ramadania'' (des veillées du Ramadhan, ndlr) comme on a l'habitude de les voir, elles seront accompagnées de débats politiques. Concernant le Forum auquel j'appartiens, nous faisons des conférences pratiquement tous les mardis de 16h à 18h, et cela ne vas changer durant le Ramadhan. J'espère également que le mardi des étudiants le restera aussi», précise Radia. En effet, garder les mêmes heures est faisable, l'enjeu est le même quelle que soit la situation institutionnelle ou religieuse à laquelle l'Algérie sera confrontée, entre autres le Ramadhan. Cependant, jeûner et manifester pourrait être envisageable pour certains et inconcevable pour d'autres. Sont concernés les personnes âgées et celles et ceux susceptibles de ne pas supporter les longues marches et/ou les possibles chaleurs. 2 Manifestation matinale «Les premiers jours du Ramadhan vont être un peu durs, car au juste nous ne savons pas comment cela va se passer. Il y aura probablement un peu d'anarchie au début, mais tout se passera bien. Manifester le matin pourrait être une option, et je ne pense pas que cela va déranger grand monde. Mais, avec les horaires de travail cela va être un peu compliqué», précise la médiatrice sociale et militante du Forum Civil pour le Changement, Aït Mohand Fatima. En effet, dans des commentaires sur le réseau social Facebook, des internautes proposent de décaler la manifestation pour la matinée avant les chaleurs et la fatigue du carème. Mais cette option ne semble pas faire l'unanimité, particulièrement pour les femmes qui travaillent et qui doivent préparer à manger, ou encore les gens qui habitent loin et qui viennent pour manifester à Alger, contrairement à ceux qui habitent dans le centre-ville. En matière de risques, une manifestation en journée durant le Ramadhan et tout aussi semblable à celles déjà entreprises. Le peuple algérien a vécu pendant la décennie noire et a assisté à toutes les formes de répressions imaginables. Les jeunes d'aujourd'hui ne se laissent plus faire et le gouvernement actuel les a sous-estimé et les sous-estime encore. «Je manifesterai pendant le Ramadhan, que ce soit en matinée, en journée ou en soirée, rien ne m'arrêtera. Mon objectif, c'est ‘‘yetnahaw ga3'' (qu'ils partent tous, ndlr). La répression, nous l'avons connue depuis le début des manifestations. Nous avions peur, mais aujourd'hui cette peur a disparu. La répression avant ou pendant le Ramadhan ne changera rien à nos revendications», atteste Walid, un étudiant de la faculté de droit de Saîd Hamdine. 3 Manifestations nocturnes L'éventualité la plus plausible est portée sur des manifestations nocturnes. L'option est donc orientée après «Salat El Tarawih», autrement dit après la rupture du jeûne. Les algériens seront bien chargés en énergie. D'autres ont même proposé de rompre le jeûne durant tout le mois de Ramadhan dans la rue Hassiba et finir par une marche. «Je ne pense pas que les manifestations de nuit représentent un danger pour autrui. Bien au contraire, cela va se passer comme les vendredis habituels. De ce que j'ai pu observer, les jeunes sont très attentifs et ils font attention à tout ce qui bouge. Ils réagissent en même temps. De plus, la nuit il y a beaucoup de lumière et je ne crois pas que des dérapages seront au rendez-vous», déclare Aït Mohand Fatima, médiatrice sociale. Du côté de la militante du Forum civil pour le changement Radia, elle a une totale confiance en l'institution de l'armée nationale. «En fait, l'armée ce ne sont pas les hauts cadres, mais les personnes qui sont nos frères, nos pères, nos oncles… c'est notre famille. Ils ne nous voudront pas de mal. En aucun cas ils ne laisseront un débordement éclater lors des prochaines manifestations. Néanmoins, avec toutes les arrestations qui se font présentement, on se dit qu'ils souhaitent peut-être allumer une flamme. C'est pour cela qu'il faut rester vigilant.» Dans de nombreux commentaires sur Facebook, on retrouve des activistes qui rappellent à leurs confrères le véritable rôle de ces manifestations. «On le fait souvent, nous nous réunissons et nous transmettons le message pour dire qu'il est primordial de maintenir cette pression populaire, malgré le fait qu'il n'y a aucune réponse concrète de la part de ce gouvernement que nous considérons comme illégitime. Je crois qu'ils n'entendent pas nos revendications, mais on est là et on reste unis et pacifiques», ajoute Radia. Malgré son optimisme, sa position quant aux manifestations nocturnes reste la même. «Je suis contre les manifestations nocturnes, car il y a des infiltrations. On ne peut pas rester dans le pacifisme durant la nuit. Par rapport aux rassemblements dans la journée, la nuit il est difficile de voir, maîtriser les infiltrations et tous mouvements de débordements. A mon avis, il faut organiser des manifestations en journée et réserver les soirées pour se réunir autour de débats politiques et de conférences. En revanche, je ne dirais jamais aux gens de ne pas sortir manifester la nuit. Selon moi, sortir à cette période et dans ce genre de situation est dangereux, car on risque d'escamoter ce magnifique élan de manifestation. S'il y a des manifestations de nuit, ils vont être une minorité, et ils comprendront que ce n'est pas dans l'intérêt du pays», renchérit-elle. Pour le Réseau Wassila, «sortir le soir est risqué. Les manipulations et les dérapages à la faveur de la nuit sont dangereux.» Quant au Réseau National des Jeunes Libres, il précise qu'il faut «garder le cap, on ne doit pas abandonner les marches. Le système essaye de gagner du temps, mais le plus important c'est qu'il faut éviter les marches nocturnes.»