Elles devaient avoir lieu en 2020, mais le manque de majorité pour voter le budget de l'Etat en 2019 a provoqué des élections générales anticipées en Espagne. Suite à la motion de censure votée contre le gouvernement de Mariano Rajoy en 2018, Pedro Sanchez arrive à la tête du gouvernement. Mais faute d'accord politique, le Congrès rejette le projet de loi de finances et annonce des élections anticipées. Histoire des partis et programmes Si l'on connaît déjà les partis politiques traditionnels espagnols, tels que le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Parti populaire), Podemos et Ciudadanos sont entrés dans l'arène politique ces dernières années avec pour ambition de renouveler le système politique et mettre fin au bipartisme historique. Toutefois, le parti qui défraie la chronique depuis 2018 sur la scène politique internationale est Vox. Taxé parfois d'extrême droite ou de droite populiste, Vox a été fondé en 2013 et lancé en 2014 (comme Podemos). Son programme défend l'unité de l'Espagne, l'identité culturelle et le souverainisme. Antimarxiste et contre toutes les formes de régionalisme, Vox a d'ailleurs réalisé une percée historique en remportant 12 sièges sur les 109 que dénombre le Parlement autonome d'Andalousie lors des dernières élections en 2018. Depuis les premières élections démocratiques en 1977, l'Espagne s'est toujours protégée de l'extrême droite. Peur de la radicalité, souvenir de la dictature, le pays s'est rapidement démocratisé et politiquement construit autour des partis traditionnels favorables au consensus. De 1977 à 2015, le gouvernement espagnol est alternativement issu du PP et du PSOE. Dans l'histoire politique espagnole, un seul député d'extrême droite sur les 350 est élu lors des élections générales de 1979 et entre au Parlement. Blas Piñar défendait alors le nationalisme espagnol, le franquisme et le catholicisme traditionaliste. La disparition de l'extrême droite en Espagne date donc de 1982. Il est particulièrement intéressant d'analyser la percée de l'extrême droite ou de la droite dure en Espagne. A l'aune de la crise catalane mais également à travers la percée des visions radicales, la crise systémique espagnole semble encore non résolue par les nouveaux partis, tels que Podemos et Ciudadanos qui prétendaient pourtant œuvrer à sa rédemption. Analyse des résultats La participation électorale du 28 avril est historique et atteint les 76% (en hausse de 10% par rapport aux dernières élections générales). En Catalogne, elle augmente même de 18%. La lecture et l'analyse des résultats sont intéressantes, car la forte participation mitige la percée du populisme identitaire de Vox. Les grands vainqueurs de ces élections restent le PSOE et Ciudadanos, le centre-gauche et le centre-droit, partis de consensus, à l'opposé de toute radicalité. Le PSOE arrive en tête avec près de 29% des voix et gagne 39 sièges pour atteindre les 123. Le PP en obtient 66 (et en perd 71) et Podemos s'effondre avec 42 sièges (il en perd 17). Ciudadanos, quant à lui, obtient 57 sièges et en gagne 25 par rapport aux dernières élections. Vox franchit les 10% et remporte 24 sièges, il représente à la fois la défense de l'unité de l'Espagne comme l'autorité sur la question catalane, qui a fait tant défaut au PP. De plus, il est à penser que le système politique espagnol ne résiste pas à la diversité des expressions politiques et à la représentation proportionnelle. En 2015, lors des élections générales qui mettent fin au bipartisme espagnol, Podemos avait fait une percée historique au Parlement en remportant 69 sièges. Faute d'accord politique à la Chambre des députés, d'autres élections générales sont organisées en 2016, Podemos avait alors confirmé sa percée en remportant 2 sièges supplémentaires, mais le PP avait surtout confirmé sa mainmise sur le Chambre avec 137 sièges. Les élections de 2019 ont encore été provoquées par l'absence d'accord politique concernant le budget. Alors que le Sénat était dans les mains du PP depuis 25 ans, le PSOE remporte la majorité absolue à la Chambre haute avec 139 sièges sur 208 en compétition ce week-end. Les 58 sièges restants seront désignés par les grands électeurs issus des communautés autonomes qui seront élues le 26 mai. Coalitions et perspectives Le PP et Ciudadanos l'avaient déjà annoncé. L'alliance avec Vox était fortement envisagée, avec la perspective d'activer l'article 155 de la Constitution espagnole qui dote le gouvernement du pouvoir de contrôler les communautés autonomes, si ces dernières vont à l'encontre des obligations contenues dans la Constitution et qu'elles portent atteinte à l'unité de l'Espagne. Sur fond de crise catalane qui a ébranlé l'Espagne et fragilisé les partis politiques traditionnels, le PP s'est vu sanctionné par son manque d'autorité, ce qui a donné des voix à Vox et Ciudadanos. Ce dernier a cherché à se positionner sur le terrain du PP, abandonnant le centre, laissant par là un boulevard au PSOE. Podemos est l'autre grand perdant de ces élections générales avec seulement 42 élus, ce qui représente une perte sèche de 17 sièges. Le leader du parti, Pablo Iglesias, qualifie pourtant les résultats de «suffisants pour freiner la droite et l'extrême droite et former un gouvernement des gauches». La conjoncture politique pousse donc Podemos à revenir sur son refus d'alliance historique avec le PSOE, qui lui avait d'ailleurs valu une opposition fondamentale interne au sein du parti avec le n°2, Iñigo Errejón(1). Finalement, le grand gagnant reste le PSOE qui peut se féliciter d'avoir recentré la campagne sur une opposition construite autour du traditionnel clivage politique droite/gauche poussant ainsi aux coalitions et alliances qui lui ont fait défaut jusqu'alors pour gouverner. Toutefois, le PSOE et Podemos n'obtiennent à eux deux toujours pas la majorité qui est de 176 députés sur les 350 qui forment le Parlement, et vont devoir compter sur les voix des catalanistes et des partis autonomistes qui perdent eux aussi des sièges. Depuis la fin du bipartisme espagnol et l'émergence de nouvelles forces politiques, il est à noter que ces nouveaux partis n'ont pas été un rempart à la percée de la droite identitaire comme ailleurs en Europe. La victoire du PSOE, qui avait fait campagne sur la réactivation du clivage gauche/droite, ne lui confère aucune majorité. La prise en compte des résultats penche alors pour l'ouverture vers le centre droit. Même si une coalition des gauches reste plus que probable, Albert Rivera, le chef du parti Ciudadanos, devient le premier interlocuteur qui détient les clefs de l'Espagne pour faire que le pays puisse être gouvernable et voter un budget. Les systèmes politiques semblent ne pas résister à la pluralité des expressions démocratiques. A la différence du système politique français, plus rigide, qui permet moins l'expression démocratique plurielle, mais protège plus les institutions, puisqu'il contraint à la coalition. En Espagne, les élections municipales, celles des communautés autonomes en plus des élections européennes, auront lieu le 26 mai. En tant que pays décentralisé, c'est donc à cette date que les résultats seront le plus probants et que les forces politiques se révéleront vraiment, notamment avec la désignation des 58 sièges restants au Sénat. Finalement, alors que Pedro Sanchez prédisait une punition électorale à Albert Rivera pour avoir envisagé une alliance avec Vox, le parti Ciudadanos pourrait bien être la clef du prochain mandat, si les expressions radicales lui font défaut. Même si ce dernier a annoncé qu'il préférait rester dans l'opposition au gouvernement aux côtés du Parti populaire, le PSOE devrait pourtant donner des signes d'ouverture à droite, comme par exemple l'annonce d'une loi sur le mécénat et la défiscalisation pour les causes d'intérêt général. De plus, même si la percée de Vox est moindre que ce que prédisaient les sondages, les prochaines élections seront décisives pour ce nouveau parti afin de peser sur l'échiquier politique et consolider le rapport de force.
Par Virginie Tisserant , Universitaire. Virginie Tisserant est l'auteure de Les nouvelles expressions politiques en Méditerranée au XXIe siècle, Telemme-CNRS, Aix-Marseille Université. 1) https://www.lavanguardia.com/politica/20190429/461928310061/pablo-iglesias-unidas-podemos-pedro-sanchez-gobierno-izquierdas-video-seo-ext.html