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Les organes anti-corruption aux abonnés absents
Avec des mécanismes inefficaces et inutiles
Publié dans El Watan le 20 - 05 - 2019

Entre la Cour des comptes (CDC) et ses chambres régionales, l'Inspection générale des finances (IGF) et ses démembrements locaux, l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC), l'Office central de répression de la corruption (OCRC), la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) et bien d'autres instruments, les mécanismes dédiés à la lutte contre la corruption ne manquent pas. Mais ils sont restés inopérants pendant de longues années, en dépit des moyens financiers assurés pour le fonctionnement de toutes ces institutions qui se sont avérées inutiles, de l'avis de nombreux experts et observateurs.
Les exemples ne manquent pas. L'ONPLC comprend, en plus de son président, un conseil de veille et d'évaluation composé de six membres et totalise trois divisions : la première pour la documentation, les analyses et la sensibilisation, la deuxième pour le traitement des déclarations de patrimoine, et la troisième prend en charge la coordination et la coopération internationale. Théoriquement, l'ONPLC est chargé de l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre la corruption en collaboration avec tous les secteurs concernés et de l'établissement d'un rapport annuel. Mais qu'en est-il en réalité ?
Quelle efficacité pour cet organe tout au long de ces dernières années marquées par l'explosion des affaires liées au détournement des deniers publics avec la complicité du pouvoir en place? La même interrogation s'impose pour la CTRF, créée en 2002, sous la coupe du ministère des Finances. Cette cellule est loin d'être efficace dans la collecte et le traitement des informations financières. Et pourtant, ce ne sont pas les alertes qui ont fait défaut tout au long de ces années.
Cela pour dire qu'il ne suffit pas de rappeler à chaque rencontre officielle que l'Algérie dispose d'une pléiade de mécanismes pour la prévention et la lutte contre la corruption, mais plutôt veiller à intensifier le travail sur le terrain en produisant des rapports détaillés. Or, cela n'a pas été le cas durant le règne de Bouteflika, période durant laquelle les accointances entre la sphère au pouvoir et certains acteurs économiques ont largement facilité la dilapidation des deniers publics et la fuite des capitaux avec la complicité de hauts responsables directement impliqués dans de grandes affaires. La CDC n'échappe pas à ce constat. Idem pour la commission de lutte contre la corruption installée pour rappel en 2011.
Inertie
Des organes qui ne sont qu'une façade. Autrement dit, de la poudre aux yeux avec une mission qui se limite à dresser des constats et à rédiger des rapports sans suite comme nous le soulignera l'avocat Boudjemâa Ghechir dans l'entretien. Un point déjà relevé par Mustapha Bouchachi pour qui la justice ne fait qu'attendre des signaux de l'Exécutif pour agir sur des affaires de corruption. Ce qu'elle fait justement ces derniers temps. A la faveur du Hirak et pour tenter d'apaiser les tensions, de lourds dossiers sont ouverts. Ce qui est considéré par certains comme une autre forme de corruption. Djilali Hadjadj, président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption le dira d'ailleurs: «Une corruption de la lutte anti-corruption.»
Comme il soulignera également l'incohérence totale de toutes les mesures annoncées entre les arrestations en série et les changements opérés à la tête des organes chargés de cette mission (ONPLC et OCRC) au cours de la semaine dernière. Il reste à savoir si cela changera le fonctionnement de ces instruments plongés dans l'inertie totale pendant de longues tout comme la CDC qui a démenti ce 14 mai toute information relative à la remise d'un rapport sur la mauvaise gestion des deniers publics sur demande du Parquet général concernant des dossiers en suspens durant la période 2009-2019.
L'institution a dans le même sillage décliné, «toute responsabilité vis-à-vis d'informations qui n'émanent pas officiellement de ses services habilités à le faire» dans un communiqué rendu public à cet effet. Il faut rappeler que la cours a multiplié les sorties depuis le début de la mobilisation populaire et l'ouverture des dossiers de détournements, ce qu'elle n'avait pas l'habitude de faire, suscitant du coup moult interrogations sur son rôle. Changement de cap en réponse à la mobilisation citoyenne pour le changement du système.
Justement, la CDC compte communiquer plus mais est-ce uniquement pour sauver son image après avoir été sévèrement critiquée ? D'ailleurs, elle organisera en juin prochain une journée «portes ouvertes» sur ses structures et missions de contrôle de la gestion des fonds publics.
Les programmes annuels de l'activité de contrôle de l'institution seront dévoilés à cette occasion. L'institution instituée en 1976 s'est renforcée au cours de cette dernière décennie de neuf chambres territoriales «pour parvenir à un contrôle plus efficace des budgets des collectivités locales», selon son président qui a rappelé dans un entretien à l'APS fin avril dernier que les budgets des collectivités locales étaient contrôlés «à distance» et que la création de ces chambres territoriales visait à assurer un contrôle de «proximité» pour plus d'efficacité. Mais tout porte à croire aujourd'hui que ce contrôle à distance n'a pas été efficace connaissant les dépassements dans la gestion des finances locales.
Il reste aussi à savoir si la cour a réellement joué son rôle quant au contrôle de l'utilisation de l'argent public. Une interrogation somme toute légitime avec tous les scandales qui ont éclaté justement. A cette question, il répondra que la CDC a pour mission de favoriser l'utilisation régulière et efficiente des fonds publics, promouvoir la transparence dans la gestion des finances publiques et renforcer la lutte contre la fraude sans pour autant se substituer à la justice en matière de lutte contre la corruption. Donc, pendant 42 ans, la CDC a fonctionné au ralenti si on réfère à tous les dossiers liés à l'absence de transparence et à la mauvaise gestion des finances publiques. Au total, depuis sa création, la cour a rendu publics deux de ses rapports seulement (1995 et 1997).
La cour des comptes se justifie
Pour la corruption, c'est une autre affaire puisque la CDC dit, par le biais de son président, ne pas disposer de moyens pour lutter contre ce phénomène. «Nous n'avons ni la base juridique, ni les moyens humains, ni les moyens techniques pour lutter contre la corruption dans toutes ses formes. C'est le juge pénal qui en a la compétence. Ce n'est pas une spécificité algérienne, mais le rôle de la Cour des Comptes est identique dans le monde entier», a soutenu Abdelkader Benmarouf. Une manière de dégager la responsabilité de la cour par rapport à toutes ces affaires.
Il ajoutera encore pour préciser «le rôle de la cour en ce qui concerne la lutte contre la corruption consiste seulement à s'assurer du bon emploi des fonds publics.» Et même pour ce volet, cela n'a pas été le cas. Les fonds publics n'ont pas été utilisés à bon escient avec des dépenses non ciblées surtout pendant la période d'aisance financière.
Le président de la cour justifie la faiblesse de la cadence par le manque de moyens. Dotée de 170 magistrats et de 45 vérificateurs financiers, la CDC qui traite en moyenne 600 comptes publics par an sur 10.000, soit 6% seulement, souffre d'un manque d'effectifs, notamment pour ce qui concerne sa Chambre de discipline financière et budgétaire (CDFB) qui compte sept magistrats seulement, selon le président de la Cour.
Ainsi, avec un nombre réduit des magistrats, les traitements des affaires au niveau de la chambre se fait à une cadence ralentie au niveau de ses huit chambres nationales et neuf chambres territoriales. D'où le nombre réduit des comptes contrôlés. Mais cela n'explique pas tout. Il y a aussi ce problème d'indépendance. Etant installé par le chef de l'Etat, le président de la cour a les mains liées. Il reste maintenant à attendre les changements sur la scène politique pour voir plus clair sur l'avenir de telles institutions dont l'absence sur le terrain a fortement contribué à l'escalade du phénomène de la corruption à grande échelle.


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