Les nombreux travailleurs du port d'Alger qui se sont recueillis, hier, à la mémoire de leurs aînés assassinés par l'OAS, le 2 mai 1962, n'avaient pas le cœur aux festivités. La menace de mise au chômage pèse lourdement sur des centaines d'entre eux et compromet dangereusement leur avenir. Ils ont attendu la fin du dépôt de gerbes de fleurs – par le ministre du Travail, Tayeb Louh, celui des Transports, Amar Tou, le SG de l'Ugta, Abdelmadjid Sidi Saïd et Saïd Abadou, de l'Organisation des moudjahidine ainsi que des cadres du secteur portuaire et maritime – pour exprimer leur « désarroi », à Amar Tou, auteur de la décision d'interdiction de la marchandise non conteneurisée qui a eu pour effet la baisse drastique du trafic au port d'Alger, et de ce fait la mise au chômage de nombreux journaliers et contractuels de l'Epal. Le 18 avril dernier, le syndicat lui avait transmis une lettre faisant état de la « situation de crise » à laquelle sont confrontés les travailleurs du port. « La baisse du trafic, source de revenus de 3200 travailleurs, a eu un effet négatif sur les salaires, notamment avec la suppression de la prime de nuit (…) devenus dérisoires face à la flambée des prix des produits alimentaires (...). A cela s'ajoutent les conditions précaires dans lesquelles vivent les travailleurs, en dépit de la bonne santé financière de l'entreprise et des moyens importants dont elle dispose et qui ne sont pas opérationnels depuis l'introduction d'un sous-traitant privé », a écrit le conseil syndical, avant de lancer un appel pour « un plan de sauvegarde de l'entreprise et la permanisation de tous les travailleurs journaliers et contractuels ». Depuis, aucune réponse n'a été donnée aux syndicalistes. Hier, le ministre des Transports a été assailli par les travailleurs en colère qui voulaient lui arracher un « engagement », en vain. En effet, après les avoir écoutés durant quelques minutes, A. Tou a déclaré : « J'ai reçu votre lettre, je suis au courant de votre situation. » Aucun engagement n'a été pris. Interpellé par une journaliste, le ministre a eu une réaction des plus déplorables : « De quel droit vous venez me poser des questions sur la situation des travailleurs du port ? Ils sont capables de parler pour eux-mêmes. Ils n'ont pas besoin de porte-parole », a-t-il lancé avant de s'adresser aux dockers : « Avez-vous besoin de quelqu'un pour faire état de votre situation ? » Une interrogation restée sans réponse tant elle a gêné les concernés. Visiblement, le ministre semble ignorer le rôle de la presse. Celui d'être aux côtés de la classe ouvrière et de faire état de ses préoccupations. Baisse des activités de l'epal Après le départ de A. Tou, les syndicalistes ont animé une conférence de presse au cours de laquelle ils ont dénoncé la situation « catastrophique » qu'ils subissent depuis des mois. Samir Hadad, membre du conseil syndical nouvellement installé (deux mois), a mis en garde contre les conséquences dramatiques qui vont découler de la mise au chômage de 620 ouvriers journaliers et de 700 contractuels. « Une grande partie des activités de l'Epal a été supprimée par la décision d'interdiction de toute marchandise non conteneurisée, alors que l'activité de traitement des containers est en priorité accaparée par Dubai Port. Nous ne demandons pas d'augmentation de salaire, mais uniquement la préservation de notre gagne-pain. La décision du ministère des Transports n'a fait que déplacer l'encombrement de la rade vers Mostaganem et Oran, alors qu'au port d'Alger, les quais restent vides. Nous ne sommes pas contre Dubai Port, puisque ce sont des Algériens qui y travaillent, mais il n'est pas question de lui donner la priorité dans le traitement de la marchandise. L'entreprise a promis des investissements, mais à ce jour, il n'y a rien », a déclaré S. Hadad. Abondant dans le même sens, le secrétaire général du syndicat, Bourouba Derradji, a exprimé sa « crainte » de voir près d'un millier de travailleurs rejoindre le monde des chômeurs à cause de la baisse des activités de l'Epal. « L'entreprise a beaucoup investi dans des moyens qui, actuellement, sont à l'abandon. » Il a expliqué que la décision du ministre a fait chuter sensiblement le nombre de navires traités, passés d'une moyenne « de 25 à 30 navires par jour, que dire alors de celle de 6 navires. Ce qui a eu des répercussions négatives sur l'entreprise, obligée de se délester non seulement des 650 journaliers, mais également des 700 contractuels. Nous appelons les pouvoirs publics à revoir cette décision et surtout à préserver les postes d'emploi », a-t-il noté. Interrogé sur la situation de l'Epal après l'inculpation de ses cadres dirigeants, le secrétaire général a préféré exprimer sa « confiance » en la justice, déclarant : « L'entreprise n'a jamais arrêté de fonctionner et ne peut être affectée par cette affaire. »