Kofi Annan ne veut pas que le soixantième anniversaire de l'ONU soit un fait banal. Il veut plus que de simples discours de circonstance, c'est-à-dire de profonds changements qui marqueront son passage à la tête de l'organisation mondiale héritière de la défunte SDN (Société des nations) et créée en 1945 alors même que le monde pansait ses blessures. Ses fondateurs voulaient justement en faire un instrument au service de la paix. Et c'est ce qui caractérise sa Charte. Mais des lacunes apparaîtront au point qu'un fossé souvent considérable séparait les deux principales instances de cette organisation qui sont l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, la première étant nettement en avance sur l'autre, objet de toutes les convoitises, et même des manipulations, car c'est là que s'écrit cette espèce de légalité approuvée ou contestée selon les rapports de force. C'est d'ailleurs ce qui marque le fonctionnement de cette instance exécutoire. Ainsi, le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, a dévoilé dimanche un projet de réforme de l'organisation mondiale et de son système de sécurité collective sans précédent depuis sa création en 1945. Dans ce projet, qu'il veut voir adopter lors d'un sommet mondial en septembre à l'occasion de la célébration du soixantième anniversaire, M. Annan propose l'élargissement à 24 membres, contre 15 aujourd'hui, du Conseil de sécurité. Il a laissé aux Etats le soin de trancher entre deux options possibles de répartition des sièges, entre permanents et non permanents. Inspiré par les profondes divisions causées par les guerres menées au nom de l'ONU comme celles contre l'Irak ou dans les Balkans, dans lesquelles l'ONU était souvent appelée à entériner un fait accompli , M. Annan demande au Conseil d'édicter un code pour définir dans quelles conditions les nations peuvent légalement entrer en guerre. Ce code réaffirmerait « le rôle central » du Conseil et « son droit de recourir à la force, y compris de manière préventive, pour préserver la paix et la sécurité internationales, même dans les cas de génocide, nettoyage ethnique et autres crimes contre l'humanité ». Ce qui ne semble pas aisé, connaissant les oppositions au sein même de cette instance qui n'applique pas les mêmes règles pour tout le monde comme en témoigne le conflit du Proche-Orient et la multitude de résolutions du Conseil de sécurité ordonnant un retrait israélien des territoires arabes occupés. Israël, constate-t-on, bénéficie d'une totale impunité. Rappelons-nous aussi le génocide au Rwanda et l'absence d'intervention de l'ONU en raison, disait-on, en 1994, de querelles entre membres. Absurde. Mais auparavant, le Conseil devra examiner soigneusement le sérieux de la menace et si elle ne pourrait pas être résolue par d'autres moyens. M. Annan demande aussi l'approbation d'une définition du terrorisme, entreprise qui, jusqu'ici, a toujours buté sur des différences de conception entre Etats. Des pays comme les Etats-Unis ont pris sur eux de classer certaines organisations, mais leur démarche ne suscite pas une franche adhésion. Selon cette définition par M. Annan, « tout acte destiné à causer la mort ou de graves blessures à des civils ou à des non-combattants (...) dans le but d'intimider une population ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir quelque acte que ce soit, constitue un acte de terrorisme ». Toutefois, il ne s'agit pas de vouloir des réformes que celles-ci soient acceptées, surtout que les rapports internationaux et que le projet de Kofi Annan impliquent une plus large gestion de la sécurité internationale. Et il faut bien l'admettre, les gros changements comme la réforme du Conseil exigent un vote des deux tiers des 191 membres de l'Assemblée générale, incluant les cinq membres permanents du Conseil (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie). L'existence parmi les Etats membres d'une volonté politique en faveur de ces changements n'est pas assurée mais selon Malloch Brown, le chef de cabinet de Kofi Annan, une tendance croissante se dessine en ce sens. « Je crois qu'il y a un énorme soutien à l'idée que le moment est venu d'un accord audacieux et concret de ce genre », a-t-il dit. Cela dit, le pari est bien difficile à tenir, car il ne dépend pas de l'initiateur du projet, mais de ceux qui détiennent un pouvoir exorbitant, c'est-à-dire les membres permanents du Conseil de sécurité, malgré leur discours tendant à faire admettre le contraire. M. Annan a reconnu la « difficulté » de la tâche, lors d'une conférence de presse lundi. « Je n'ai pas taillé le rapport sur mesure pour plaire à une région, un pays ou un groupe de pays. Tout le monde a accepté l'idée qu'une réforme est nécessaire (...). » Personne ne doutera de la bonne foi de M. Annan, mais ce sont les autres, c'est-à-dire tous ceux qui sont appelés à renoncer à leurs privilèges et à changer de politique et opter une fois pour toutes pour le multilatéralisme. C'est une autre histoire.