Quelques jours après les massacres du 8 Mai 1945, la France coloniale se laissait aller encore à l'ivresse de la victoire des Alliés sur les nazis. Comme les populations de Guelma, de Sétif et d'ailleurs dans les recoins de l'Algérie, la population de Kherrata n'avait pas encore fini de panser ses blessures qu'un autre scénario est décidé pour tenter de serrer le joug du colonialisme. 22 mai 1945, au matin, les Falaises, une plage féerique de Melbou (Béjaïa), des caravanes d'Algériens, pauvres, miséreux et haillonneux, des femmes avec leurs bébés et des vieillards, pour la plupart, y sont acheminés des villages et douars environnants. Ils devaient être 15 000, voire 20 000 Algériens, qui ont quitté sur ordre leurs maisons ce matin-là. Certains ont du marcher pieds nus pendant une partie de la nuit pour se retrouver, au risque de représailles, aux premières heures de la matinée sur la plage où une grande opération de démonstration de force les attendait. Machine coloniale La France coloniale a mobilisé, pour la circonstance, son armada militaire pour occuper terre, mer et ciel. Armée de fantassins, nuée d'avions, bâtiments de guerre, grappe de généraux et caïds, la machine coloniale était là avec ses vrombissements, ses salves, sa propagande et son discours pour tenter d'impressionner et mettre au pas une population sans défense et dont beaucoup de ses hommes, qui ont survécu aux premières lignes de combat contre les nazis, ne sont pas encore de retour. La route tremblait sous les pas de la déferlante des soldats français et les régiments de chars et de véhicules militaires dans une parade que venaient ponctuer des décharges d'armes à feu. Au moment où, dans la mer, des sous-marins sortaient des eaux occupées par des cantonades des bâtiments de guerre. La veille, les canons ont été dirigés vers les montagnes, dont les hameaux et villages qu'elles portaient, bombardées généreusement jusqu'aux limites de Kherrata et de Sétif, témoignent des moudjahidine. La parade des Falaises, sous le commandement du colonel Bourdila, chef du 19e corps, a porté toute la folie colonialiste pour arracher la reddition des populations, forcées à suivre le « spectacle » pour mesurer la « force de frappe » de l'armée française qui se traduira aussi par des exécutions. Les survivants seront libérés après avoir subi un discours colonialiste les invitant à retourner chez eux et à ne pas prêter l'oreille aux « méchants qui prêchent la haine » et à « faire de l'Algérie française un pays où les hommes libres peuvent travailler en paix ». L'officier militaire terminera en traduisant la volonté de la France coloniale de voir « la paix régner dans nos campagnes et dans nos montagnes ». Femmes, enfants et vieux ont été autorisés à reprendre le chemin du retour vers leurs villages et hameaux laissant derrière eux une plage sur laquelle, aujourd'hui, les vagues viennent crisser en attendant les troupes d'estivants qui viendront bronzer en paix.