Ils se marièrent et eurent beaucoup de problèmes. » C'est ainsi que l'histoire se termine pour beaucoup de couples algériens. A voir les affaires de divorce qui défilent devant les tribunaux algériens, l'on pourrait presque penser que le mariage a perdu de son prestige. Ce sont surtout les jeunes couples qui se retrouvent devant le juge. Des paillettes de fête plein les cheveux, les jeunes mariées tombent brusquement de leur nuage et se heurtent à la dure réalité. Les chiffres communiqués par le ministère de la Justice sont effarants : pas moins de 41 549 divorces en 2009, en augmentation de près de 7% par an. « Cela concerne, en majorité, de jeunes couples qui n'ont pas dépassé 5 ans de vie commune », souligne Salah Ali, directeur des affaires civiles au ministère de la Justice. Y a-t-il véritablement un « malaise » dans les relations hommes-femmes ? « Il existe aujourd'hui deux formes de familles : les couples qui fondent un foyer mononucléaire et ceux de la famille étendue. Dans les deux cas, la situation va mal », diagnostique Lahcène Boudjenah, conseiller matrimonial spécialiste en « réconciliation des époux » et en coaching conjugal. Costume et barbe bien taillée, il fonde sa thérapie sur ce qu'il appelle « les références arabo-berbéro-musulmanes » des couples algériens et affirme que de hautes personnalités politiques ont eu à consulter dans sa clinique. Dans une société qui balance entre traditionalisme et modernisme, les divorces sont vécus de manière différente. Au tribunal Abane Ramdane, les ruptures définitives des jeunes couples se suivent en un déconcertant désordre routinier. Fait inédit : les femmes s'accommodent plus facilement de leur statut de divorcées. Nadia, 26 ans, employée dans une entreprise privée, paraît souriante, au tribunal Abane Ramdane. « Nous nous sommes connus, nous nous sommes aimés passionnément pendant plusieurs années. Dès que nous nous sommes mariés, notre vie s'est changée enfer. Nous nous disputions du matin et soir, le plus souvent pour des futilités. On en venait parfois aux mains, je n'en peux plus de cette situation, c'est devenu insupportable. Les blessures ne prennent pas le temps de cicatriser que d'autres plaies apparaissent. Je suis fatiguée, ça n'en finira jamais. Je n'arrive pas à m'adapter à lui. Ce n'est pas le genre d'homme que je voulais pour moi », confie-t-elle. Après un an de mariage, elle affronte son divorce avec hardiesse. « Heureusement que je suis indépendante financièrement. Je peux endosser la responsabilité d'un divorce sans problème », clame-t-elle. Pour la sociologue et militante du réseau Wassila, Fatima Oussedik, il n'y a pas lieu de s'effrayer du nombre de divorces. « Le divorce a toujours existé en Algérie. Heureusement que cela est permis. Ça éviterait à beaucoup de personnes de s'entretuer », glisse Mme Fatima Oussedik. A l'ère du « divorce par sms », les clashs sont généralement liés au travail de la femme, à une belle- famille omniprésente ou à un mari violent. « Dans la famille mononucléaire, les clashs sont souvent liés au travail de la femme. Le problème tient souvent au fait que le mari espère toucher à l'argent de sa femme. De l'autre côté, l'avidité dans la famille étendue est parfois plus grande. Le mari qui habite dans la maison parentale est contraint de dépenser pour les deux foyers et cela ne plaît pas à la dame », explique M. Boudjenah. Et d'asséner : « Les gens croient avoir dépassé les tabous, mais il n'en est rien. » Dans une société de plus en plus conservatrice, l'impératif du port du voile représente également, selon M. Boudjenah, un motif de divorce. « On se marie pour une chimère » Certains avocats s'insurgent contre le manque de maturité des couples qui attachent de l'importance à des fadaises. « Aujourd'hui, plus de 50% des jeunes couples divorcent. On ne se marie plus sur des bases solides, on s'unit sur une chimère. On pense faire comme dans les feuilletons télévisés et on se heurte à la dure réalité. Les filles veulent aujourd'hui un homme riche et beau. On se souvient de l'influence qu'avaient exercé les feuilletons turcs sur les filles », s'indigne maître Fatima Benbraham. Elle reproche surtout aux femmes de vouloir se marier à tout prix sans jamais en mesurer les responsabilités et les conséquences. En clair, les femmes célibataires ne rêvent que de mariage alors que certaines femmes mariées n'aspirent qu'au divorce. « Il y a des femmes qui aspirent à se caser parce qu'elles ont fait une erreur. Les hommes veulent vivre comme dans les films. Ils confondent la réalité et la fiction », observe M. Boudjenah. Le fait est, selon lui, qu'il n'y a plus, dans la société algérienne, un modèle identitaire crédible. « Le mariage se fait avec des connaissances rudimentaires faites de "on-dit" et de tabous », soutient-il. Il reste que la répudiation de la femme, sans justification, est la forme la plus répandue du divorce en Algérie. « Les violences conjugales sont un problème récurrent. Cela touche toutes les couches de la société. Cela va de la femme de ménage au médecin spécialiste », rappelle Kahina Merzekad, avocate et membre du Ciddef. Fatima Benbraham, elle, accuse l'appareil judiciaire de « booster » les divorces. Le fait est que l'appareil judiciaire contraint les magistrats à remettre les jugements des statuts personnels dans un délai qui ne saurait dépasser les trois mois. « On ne peut traiter de la vie de personnes en quelques mois. On fait surtout de la quantité. Trois mois c'est le minimum pour un couple de se réveiller de sa dispute. Cela ne leur laisse pas le temps de revenir à de meilleurs sentiments », plaide Me Benbraham, soulignant que « les divorces sont un levain des maux sociaux ». « La rupture de la cellule familiale entraîne la destruction du tissu social. On ne peut dissoudre comme cela le mariage sans prendre en considération les effets sur la société », clame-t-elle encore. Le fait est que s'il peut y avoir maldonne sur les divorces, les malentendus commencent dès le mariage, souvent étouffés par les youyous stridents et les emballements de la zorna et du bendir.