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Une loterie nommée mariage
ENTRE HIER ET AUJOURD'HUI
Publié dans L'Expression le 09 - 01 - 2007

Le mariage est un des gros problèmes de la société en ces temps. Bien des jeunes gens ont repoussé l'âge du mariage et les femmes, tout comme les hommes, semblent remettre à plus tard le moment de fonder un foyer. II faut peut-être savoir que malgré cette nette impression que les mariages sont de plus en plus nombreux, la réalité est souvent contradictoire, empiriquement, on peut dire que près de six sur dix des jeunes femmes sont encore célibataires, certaines par choix et beaucoup par contrainte de la vie. Les jeunes hommes ont, quant à eux, priorisé d'autres objectifs. Plongée dans le monde de la nuptialité!
Dans les temps, finalement pas si éloignés que cela, les jeunes hommes se mariaient assez tôt. II faut dire que les mariages arrangés par les familles étaient quasiment la règle et les couples, justement issus de ce genre de mariage, donnent cette impression de durer plus longtemps, l'amour pouvant naître finalement de ce genre d'union, semble plus solide et résiste mieux aux vicissitudes de la vie. La jeune femme se fait à ce genre de vie et semble heureuse et confiante en l'avenir. Certes, le jeune couple ne se connaît pas et l'entente n'était guère assurée. Ecoutons plutôt Saliha raconter son mariage et sa vie avec son seigneur et maître Kaci. Saliha se remémore la fête grandiose pour l'époque et raconte surtout sa vie, finalement heureuse, avec l'homme que ses parents ont choisi pour elle. «J'avais à peine quatorze ans, je ne savais rien de ce qu'est le mariage, cela se limitait pour moi à savoir tenir un foyer, chose à laquelle ma mère m'avait préparée de très bonne heure. Les repas traditionnels et la tenue du foyer n'avaient aucun secret pour moi. Je n'ai pas fréquenté l'école mais en ce qui concerne le ménage j'étais championne. Le jour où la mère de Kaci du village voisin est venue voir mes parents, je savais vaguement que l'on discutait de moi mais sans plus...», les festivités des plus sobres furent donc menées tambour battant et la maisonnée était sens dessus dessous durant au moins un bon mois avant le jour de la fête. Un grand couscous-viande était servi à tout le village et dans la simplicité légendaire des montagnes, Saliha fut emmenée vers sa maison ou plutôt la maison de ses beaux-parents chez qui résidait son mari. Dès le septième jour, Saliha qui, désormais, est membre à part entière de sa nouvelle famille, vaquait à ses travaux aussi bien à la maison, d'abord et peu à peu aux champs où elle finit par accompagner les autres femmes de la maisonnée, la belle-mère et les soeurs de Kaci. La vie qui n'était pas faite de roses seulement, allait son train-train; deux magnifiques garçons sont venus égayer son foyer et Saliha semblait la plus heureuse des femmes. L'autre cas est celui de Houria, une vaillante femme des montagnes qui se comportait tel un rude paysan et pour qui le «mariage est en somme un échange d'intérêts bien compris» elle s'offusque même à l'idée de «perdre son temps dans les amourettes, il faut se marier, avoir des enfants et travailler pour vivre» affirme-t-elle. Saâdia, elle aussi mariée comme elle dit à l'ancienne mode, n'éprouve aucune espèce de jalousie en regardant ce qui «arrive à ces nombreux couples qui, généralement, n'arrivent pas à finir l'année ensemble. Et d'ajouter: je suis contente de mon Salem, pour moi il vaut tous les hommes du monde, sérieux, travailleur et surtout homme de parole!» Assistant à l'un de ces entretiens, la jeune Sabiha n'arrive pas à croire ses oreilles:«...Un mariage loterie je n'en veux surtout pas! Ne pas connaître son futur mari autant accepter d'être vendue comme une vache pour la reproduction de l'espèce» siffle-t-elle entre ses dents.
Si auparavant les jeunes gens arrivent à se rencontrer uniquement dans les cours des lycées et/ou dans les universités quand ils ont la chance de faire quelques études, la chose est désormais courante. Si, avant, les jeunes gens ont certaines difficultés à se rencontrer et faire connaissance en vue de fonder un foyer, désormais c'est chose simple. Sous couvert de l'anonymat et en usant d'un pseudonyme, on se connecte et au bout du doigt on a la planète à soi. On se parle, on échange des confidences qu'on ose à peine dire tout haut, l'anonymat aidant et c'est une histoire qui débute. On s'appelle l'olivier ou encore la rose du Djurdjura ou la rose des sables au gré des souvenirs de lecture et voici nos jeunes imbriqués dans un monde aussi beau que souvent hélas! factice. Les jeunes hommes ne pensant en fait qu'à la bagatelle et les jeunes femmes ne voyant en ces rencontres que le futur mari. On continue en s'échangeant de plus en plus de messages grâce au mobile et une douce amitié naît entre les jeunes gens. Mais la vie a ses exigences et quelles exigences! Les jeunes femmes y attachent une grosse importance ce qui les rassure pour l'avenir. Une maison, un travail et vogue la galère! Sihem, une jeune femme, férue d'Internet dira avoir trouvé son Hocine par ce biais. «J'étais en train de tchatcher sur un site de rencontres et voici que le destin a mis en face de moi ou plutôt par le bais de cet outil, un jeune homme comme j'en ai rêvé. Travailleur, possédant son propre logement et surtout qui a envie de fonder un foyer. Je suis la plus heureuse des femmes et bientôt ce sera la fête aussi belle que simple!» Après Sihem, on a rencontré Shahrazad; elle se présente sous ce nom qui, en fait, n'est qu'un pseudo, c'est un peu comme si c'était le jeu sur Internet qui continue. Donc Shahrazad, étudiante à Tizi Ouzou, dit ne pas aimer Internet:
«Tout le monde ment et débite ce que l'autre a envie d'entendre, on ne bâtit pas un foyer sur le mensonge.» Et d'ajouter: «Je ne suis surtout pas pressée de me marier, mon but est, d'abord, de trouver un emploi ensuite on verra. Cependant, et après avoir cherché en vain, je suis désormais devant le dilemme partir ou rester et subir le chômage. Partir vers où? Aller à l'aventure en Europe si jamais on accepte de me délivrer un visa ne m'intéresse pas; rester est aussi difficile. Voilà l'enfer et c'est pour cela que je ne sais pas où donner de la tête!» Dehbia, est une jeune femme assez belle, la taille bien prise, les cheveux de jais et des manières raffinées, son amie, qui se présente comme étant Chabha, répugne à parler d'elle et de sa vie. «C'est un peu celle de toutes les jeunes femmes coincées dans ce beau pays qui semble ne pas pouvoir faire face aux besoins de ces jeunes gens. La hogra est partout, sans compter la tchippa qui règne en maître absolu jusque dans les relations entre amies. Le droit des femmes est d'abord bafoué dans le cercle de famille. Je suis ici à essayer de tromper le temps et si, par inadvertance, je réussis à trouver mon destin avec un Algérien émigré, ce sera tant mieux», termine Shahrazad. Du côté des garçons, c'est à peu de chose près la même musique que l'on entend: «Partir ailleurs, tenter sa chance en Europe ou encore en Afrique du Sud ou au Canada», dira Ameziane qui affirme être licencié en mathématiques et en chômage, précise-t-il. «J'ai cherché partout, j'ai passé plusieurs annonces dans les journaux, j'ai usé de connaissances, mais rien à faire. Aussi, je me suis résolu à partir mais vers où? L'Europe semble fermée aux jeunes Algériens et ailleurs c'est la question de la langue qui limite les horizons. Le Canada est un pays accueillant, mais il faut savoir que les papiers et autre paperasse pour le dossier sont un véritable calvaire, il reste l'Afrique du Sud, on dit que là-bas, pour peu que l'on retrousse ses manches, la réussite est certaine!» Se marier? La question semble des plus incongrues pour ces jeunes gens. Ameziane tout comme son camarade Hafid, qui lui exclut toute pensée de ce genre. Tous deux disent «ne pas penser au mariage. Où voulez- vous que je mette une femme et surtout des enfants avec ce problème de logement, je vis encore, à trente ans, chez mes parents, nous sommes entassés à dix dans un trois pièces. Ensuite, avec quoi faire vivre une famille, j'ai déjà de la peine à survivre moi-même et c'est grâce à de petits boulots que je suis en mesure d'acheter mes cigarettes!» Ahmed abonde en ce sens et pense que «se marier et avoir des enfants est un non-sens quand on n'arrive même pas à trouver une place où dormir et que pour ce qui est du travail, autant demander la lune.» Chômeurs, et pour les plus «dégourdis», vendeurs de tabac, ces jeunes n'ont plus qu'un rêve en tête: partir ailleurs qui, à leurs yeux, est forcément plus prometteur. Du groupe se détache Slimane un jeune qui vient de fêter son mariage récemment. Slimane est cadre dans une entreprise installée en Kabylie et a eu cette indicible chance d'avoir son propre appartement. Slimane dira avoir connu sa femme lors d'une fête, un mariage d'une cousine. Hamida sa femme est «une licenciée en chômage» précise-t-il. Slimane a bien voulu raconter son mariage.
Slimane affirme que «le mariage a été l'un des moments forts de sa vie, un moment qui a changé le cours de son existence.» II dira ainsi que «contrairement à ce qui se passe dans les autres contrées du pays, les parents de la mariée n'ont guère été exigeants. Loin de là, ils ont su, en somme, nous accompagner et nous faciliter les débuts de notre union». «Après avoir officiellement demandé la main de mon épouse par l'entremise de ma mère, comme le veut la coutume, j'ai ensuite délégué un oncle, mon père étant décédé et c'est lui avec d'autres parents qui ont assisté à la Fatiha. Pour la cérémonie, elle même mes beaux- parents et surtout mon beau-père, admirable de prévenance, qui ont tout réglé jusque dans les moindres détails de façon à faire en sorte que les dépenses soient moindres. Le jour de la fête, ce sont à peine une centaine de convives, que l'on retrouva autour de la table et comparativement à d'habitude, cela constitue une moindre dépense. Bref jusqu'à la dot qui est réduite aux 200 DA symboliques. Certes, cette aide est très précieuse, mais malgré tout, fonder un foyer est des plus difficiles. Tout acheter, prévoir des dépenses inhabituelles, penser double et essayer de tenir compte d'une autre personne dans les moindres faits et gestes de la quotidienneté, une nouvelle façon de vivre qui a ses moments de bonheur. Slimane raconte combien son épouse reste stressée malgré tout car elle est confinée dans un appartement, elle, qui, pratiquement, subordonnait le cours de sa vie à un emploi stable et rassurant. Elle n'a, en somme, accepté de se lier avec moi que parce qu'elle pense qu'en étant mariée, elle aura plus de chance de sortir et donc de chercher un travail. Mais, aujourd'hui, elle pense, sérieusement, à s'en aller ailleurs et elle n'arrête pas de me tarabuster pour essayer de refaire notre vie ailleurs. J'y pense sérieusement avec une certaine appréhension, mais j'y pense.» Farida, pour sa part, raconte son mariage comme une sorte de faute de jeunesse. «J'ai rencontré Mohamed après avoir dialogué avec lui par l'entremise de l'Internet. Au début, il m'a montré un visage angélique, c'était apparemment un être d'une douceur et d'une compréhension des plus délicieuses. Mais par la suite et juste une semaine après notre union, une union d'ailleurs mal vue par les parents qui ont cédé face à mon insistance, Mohamed se révélait sous sa vraie nature. Violent, jaloux à l'excès, possessif et aussi comme une cerise sur le gâteau, avare à tel point que je pense qu'il dépasse de très loin tous les autres. Passe encore pour tous ses défauts mais en sus, il veut même m'interdire de rendre visite à mes parents qui habitent au village voisin. C'est tellement insupportable que je suis rentrée chez mes parents et suis en instance de divorce, fort heureusement, il n'y a pas eu d'enfants de cette union, finalement erreur de jeunesse.» En racontant sa triste histoire, Farida pleure et déclare comme pour clore ce sujet: «Je préfère de beaucoup rester toute ma vie célibataire que de penser à refaire ma vie, les hommes, c'est terminé, j'en ai ma claque avec un c'est suffisant.»
Le mariage véritable loterie semble ne plus être ce contrat à vie liant un homme et une femme pour avoir une famille, des enfants, des rêves communs et affronter l'existence mais plutôt une sorte de marché de dupes où chacun essaie de tromper l'autre. Les premiers temps, les paroles mielleuses comme destinées à attraper «la mouche» sont proférées de part et d'autre et les promesse aussi fausses les unes que les autres sont dévidées par tirades entières. Rares sont les couples qui résistent à l'usure du temps avec au bout l'amour, se transformant en cette douce complicité entre deux êtres qui savent faire la part des choses. Par ailleurs, les jeunes en manque de logement et surtout sans travail, évitent de penser à s'installer dans la vie. Plusieurs ne pensent plus qu'à partir vers cet ailleurs qui, de loin, leur parait un véritable eden. Si les garçons partaient dans les temps anciens à la découverte du monde pour assurer pitance aux leurs, désormais, même les jeunes femmes se mettent de la partie. C'est le cas de Ouardia, une licenciée en informatique qui, à force de chercher en vain, un emploi et espérer, un mari, a opté pour l'exil. Elle explique «que c'est presque une fuite devant le regard de la société qui n'accepte pas qu'une femme reste célibataire jusqu'à un certain âge. Je ne savais plus quoi faire devant le regard de ma mère, elle semblait me supplier de partir pour me cacher, en somme, du regard d'autrui.» Un jour, peut-être, quand les tensions sociales baisseront et que les jeunes pourront trouver sur place l'emploi désiré et le logement rêvé, les jeunes couples, rassurés et confiants, sauront mieux affronter les lendemains.


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