Les enfants sont souvent les victimes collatérales de ces unions hybrides où les deux conjoints se résolvent rarement à un compromis dans l'éducation de leur progéniture. Les différences culturelles consument l'entente dans le couple et font du divorce une issue inéluctable. Quelquefois, les séparations se déroulent avec fracas. Les deux parties se disputent la garde de leurs petits en employant les moyens les plus vils. Des anonymes et des professionnels de l'action sociale à Londres expliquent pourquoi à lui seul l'amour n'est pas la clé du bonheur dans le mariage mixte. Helen et Rabah viennent tout juste de convoler en justes noces. Il est Algérien sans papiers. Elle est Irlandaise, convertie à l'islam. En attendant de régulariser sa situation administrative et de passer devant l'officier d'état civil, l'heureux élu a conduit sa fiancée chez l'imam d'une mosquée pour officialiser le mariage. C'est à ce moment-là qu'Helen a renoncé à sa foi chrétienne et a décidé de porter le voile. Par amour pour son Roméo. “Il est important que nous puissions partager les mêmes valeurs. Quand nous aurons des enfants, le problème de la double culture ne se posera pas”, explique Rabah. Tout autour de lui, il cite des exemples de mariages mixtes qui ont échoué, parce que les deux conjoints ne se sont pas entendus sur l'éducation de leur progéniture. “Au début, tout est rose. Mais dès que le premier bébé arrive, l'harmonie dans le couple se consume pour laisser place à des disputes continuelles, à commencer par le prénom du petit”, explique Fatima, une conseillère familiale d'origine marocaine. Travaillant à son compte, elle est sollicitée souvent par les services sociaux londoniens pour arbitrer des conflits conjugaux impliquant des enfants dans les communautés maghrébines. “Au sein des couples mixtes, il est rarement facile d'arriver à un compromis car chaque partie se mure dans ses propres convictions et s'érige en donneuse de leçons sur ce qui est bien ou n'est pas bien pour l'enfant”, relate Fatima. Selon elle, les hommes, qu'ils soient Algériens ou Marocains, ont peur de sacrifier le dernier pan de leur identité en acceptant que leur progéniture soit élevée à la mode occidentale. Ils considèrent avoir fait suffisamment de concessions à leur épouse. “Ils ont accepté bon gré mal gré d'entrer dans le moule. Mais une fois qu'ils ont des enfants, leurs frustrations se muent en révolte”, précise l'assistante sociale. Il lui est arrivé d'intervenir dans des situations extrêmes ou les époux, en phase de divorce, se sont accusés des pires atrocités pour faire valoir leur droit de garde. Dans un cas, une Anglaise a dénoncé son mari d'origine algérienne à la police, affirmant qu'il a abusé de leurs enfants (un garçon et une fille en bas âge). Après l'emprisonnement de celui-ci, il s'est avéré que son accusatrice avait menti. Dans une affaire similaire, le mari — un Algérien — a voulu obtenir la garde de son enfant en jurant que sa femme, de nationalité italienne, est une droguée. “Dans les situations les plus désespérées, les conjoints sont prêts à faire n'importe quoi”, déplore Mohamed Nacer, président de Arab Advice Bureau, une association d'aide juridique aux émigrés algériens. Dans son bureau se succèdent des parents en quête de conseils légaux. La plupart sont des hommes qui ont testé à leurs dépens les péripéties du mariage mixte. Leurs femmes ne comptent pas uniquement parmi les autochtones. Elles sont à la fois anglaises, espagnoles, françaises, somaliennes, soudanaises, égyptiennes, indiennes, pakistanaises… Nacer raconte l'histoire d'un compatriote marié à une femme d'origine érythréenne. A priori, rien ne le distingue de sa femme. Tous les deux sont musulmans. Mais ils ne s'entendent pas du tout. Avec leurs trois enfants, ils ne parlent pas la même langue, au sens propre et figuré. Le papa entend qu'ils apprennent l'arabe et les initie aux us de son propre pays. Son épouse s'y oppose et fait valoir sa propre façon de vivre. Après le divorce, elle obtient tout naturellement la garde des petits. Mais elle a du mal à subvenir à leurs besoins, les maltraite et les délaisse. Après l'intervention des agents des services sociaux, le père réussit à les récupérer et à les élever. “Les mariages irréfléchis sont souvent à l'origine de ce genre de problème”, commente le président d'AAB. Ce constat s'applique aux jeunes Algériens sans papiers qui s'engouffrent dans le mariage avec des étrangères dans l'intention de régulariser leur situation. “Ils sont pressés de se faire passer la bague au doigt sans penser aux conséquences”, remarque notre interlocuteur. Sa mémoire et ses fichiers sont encombrés par des affaires de disputes conjugales, ou les enfants sont pris en otage, ballottés entre deux parents et deux cultures. Saïd a épousé une Ecossaise à son arrivée au Royaume-Uni dans les années 1990. “Je ne me suis pas marié avec elle uniquement dans l'intention d'avoir des papiers. Elle m'avait charmé et j'en suis tombé amoureux”, raconte-t-il. Comme la vie n'est jamais un long fleuve tranquille, les problèmes commencent à la naissance du premier enfant. Il veut l'appeler Nassim. Mais sous la pression de sa femme, il cède et prénomme le bébé Sam. Deux ans plus tard, une petite fille voit le jour. Cette fois, Saïd laisse sa femme choisir un prénom. Ce sera Sophie. À contre-cœur, il doit aussi renoncer à partir en famille en Algérie pour les vacances, car son épouse ne veut pas. Peu à peu, Saïd devient un intrus dans sa propre maison. Il n'a plus aucune autorité sur Sam et Sophie. Ses nerfs lâchent. Le divorce est prononcé. “J'ai un droit de visite. Mais quand je rencontre mes enfants,j'ai l'impression d'être avec des étrangers”, dit-il. Sans doute pour éviter ce genre de désillusions, Rabah a tenu à ce qu'Helen se convertisse à l'islam. En guise de précautions supplémentaires, il l'a persuadée de se muer en femme au foyer. “Elle n'a pas beaucoup d'instruction. Qu'est-ce qu'elle va faire comme boulot. Je n'ai pas envie qu'elle travaille derrière un bar”, confie le jeune marié. Pour familiariser sa femme avec sa culture, il l'a envoyé passer quelques jours chez ses parents en Algérie. Mais Helen est revenue avec un sentiment mitigé. “J'étais comme au milieu de nulle part”, commente-elle, pas très sûre de renouveler l'expérience. 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