L'Algérie se trouve-t-elle en Europe de l'Est ? » La question est sérieusement posée par un jeune vendeur dans un grand magasin de prêt-à-porter situé en plein centre de Séoul. Séoul (Corée du Sud). De notre envoyé spécial Il nous dit, dans un parfait anglais, que son frère travaille au Sénégal. « En Afrique », lance-t-il. Tout de même ! En Corée du Sud, aux Etats-Unis ou en Chine, l'on est souvent obligé de dire que l'Algérie « is between Tunisia and Morocco », entre la Tunisie et le Maroc. Une politique touristique offensive et assidue permet à ces deux pays voisins d'être bien plus visibles sur la carte du monde que l'Algérie, son gaz et son pétrole. L'Algérie est pourtant le dixième plus vaste pays au monde. Ce n'est pas la peine de chercher un « guide Algérie » écrit en coréen ou en anglais dans les librairies de Séoul, il n'en existe pas ! A Alger, certains experts de salon pensent toujours que le tourisme peut se faire avec deux ou trois pays européens, alors que toutes les études révèlent que le gros des touristes viendra d'Asie dans les cinquante prochaines années. « Nous connaissons bien le joueur algérien Zineddine Zidane », nous dit un journaliste. Avoir évolué en équipe de France n'a en rien « désalgérianisé » Zidane ! Alger et Séoul n'ont établi de relations diplomatiques qu'en janvier 1990. « La diplomatie sud-coréenne pendant la guerre froide était celle des Nations unies. Les deux Corées étaient exclues de l'ONU parce que chaque camp s'y opposait. A chaque fois, on cherchait des votes favorables. L'Algérie est un cas particulier. Pays socialiste dans les années 1970, il a préféré renforcer ses relations avec la Corée du Nord », nous explique Joo Junghwan du département des sciences politiques de l'université Cheongju. Selon lui, l'entreprise Daewoo a beaucoup contribué à rapprocher l'Algérie et la Corée du Sud à partir des années 1990. Daewoo s'était installée au moment où le pays connaissait les débuts d'une vague de violence qui allait s'étaler dans le temps. Le premier directeur de cette entreprise avait été d'ailleurs tué par un groupe armé, près d'Alger, en octobre 1994. Début avril 2010, l'université Ewha, à Séoul, a abrité un colloque international sur les relations entre les deux pays à l'initiative de la Korea Foundation, de l'Association coréenne d'études maghrébines et des deux ambassades, de Corée à Alger et d'Algérie à Séoul. Plusieurs thèmes y ont été abordés comme « Le système éducatif algérien », « Les relations intermaghrébines », « La recherche scientifique en Algérie », « La politique urbaine du colonialisme français » et « Le raï, une musique transfrontière ». « Ce colloque a été l'occasion pour les universitaires et les académiciens de présenter à l'autre la situation et le vécu dans les deux pays. L'échange a été riche. Nous avons discuté de beaucoup d'aspects », souligne Hocine Sahraoui, ambassadeur d'Algérie à Séoul, en poste depuis trois mois. Il rappelle une conférence présentée lors du colloque par Song Doyoung de l'université de Hanyang sur la politique urbaine du colonialisme français en Afrique du Nord. « Il a démontré que l'architecture était une projection de la culture coloniale en Algérie. Les Coréens s'intéressent aux questions liées à la colonisation », relève-t-il. La Corée du Sud avait connu, à partir de 1905, une longue occupation japonaise précédée d'un protectorat. Cette présence japonaise dans la péninsule coréenne avait été tellement dure qu'elle a laissé des stigmates visibles dans le pays du Matin calme. Dans l'île de Jéju-Do, dans le sud, le Japon est toujours appelé « ennemi ». Les Coréens préfèrent toujours parler de mer de l'Est au lieu de mer du Japon pour désigner cette étendue aquatique qui les sépare du pays du Soleil levant, jadis empire dominant. L'occupant japonais avait même interdit l'enseignement du coréen et avait tenté de déplacer des temples bouddhistes. Cela ressemblait déjà, à l'époque, à du pillage culturel. Des historiens ne manquent pas de faire un parallèle entre la colonisation française de peuplement en Algérie et la colonisation de dépossession japonaise en Corée du Sud. « Nous partageons les mêmes souffrances dûes à un colonialisme féroce », nous a confié un universitaire. La suppression des visas est possible Après 1962, en dépit des choix économiques désastreux, l'Algérie a voulu copier quelque peu la Corée du Sud avec le modèle du « plan quinquennal de développement ». La Corée a réussi, l'Algérie a échoué. La Corée, qui n'a ni pétrole ni gaz, a pu organiser les Jeux olympiques en 1988, année où à Alger l'armée tirait sur les foules un certain 5 Octobre. Aujourd'hui, l'Algérie tente de copier l'autre modèle, celui des champions industriels qui, en Corée, sont privés, pas publics. Passons... La ville de Yeosu, à peine plus petite que Sétif, organisera l'Exposition universelle en 2012. Aucune ville algérienne n'est en mesure d'organiser ce type de manifestation. Ni aujourd'hui ni demain. « L'Algérie est méconnue en Corée. On ne connaît rien sur sa situation politique ou économique. On connaît un peu son football. Je crois qu'il faut supprimer les visas entre les deux pays pour renforcer davantage les relations et mieux se connaître mutuellement », a proposé Boram Kim, jeune journaliste à l'agence Punctum. Selon lui, il est important de multiplier les échanges culturels pour capter l'intérêt du public. « Car les investisseurs et les opérateurs économiques montrent déjà de l'intérêt pour l'Algérie », a-t-il ajouté. Hocine Sahraoui, ambassadeur d'Algérie en Corée, nous confie que l'Algérie souhaite attirer des hommes d'affaires et les touristes coréens, de grands voyageurs autant que les Japonais, en faisant mieux connaître le pays. « Des hommes d'affaires coréens qui ont visité le Sud algérien en parlent beaucoup. Mais je crois qu'il faut faire plus. On ne doit pas se limiter au bouche à oreille », nous dit-il. L'ambassade distribue déjà des guides touristiques en anglais, mais l'opération paraît limitée. L'effort qui doit être fourni dans les prochaines années est de produire des guides en coréen. Mettre à jour le site web de l'ambassade est également un acte important. Selon lui, la question de l'ouverture d'une ligne aérienne directe entre Alger et Séoul est à l'ordre du jour. « L'idée est en gestation. Je suis en contact avec l'ambassadeur de Corée du Sud à Alger sur cette question. Il est nécessaire d'ouvrir cette ligne, compte tenu de l'augmentation de la circulation des personnes entre les deux pays. Avec l'intensification des relations, cette circulation sera plus importante », soutient-il. Les Coréens veulent attirer des touristes vers l'île de Jéju-Do, à 85 km du continent, célèbre pour le volcan Hallasan, aujourd'hui endormi. Cette île jouit d'un statut spécial qui autorise toutes les initiatives. Le gouvernement de Jéju-Do ne revient à Séoul que pour les questions liées à la sécurité ou aux relations extérieures. Il vient justement de décider de supprimer les visas pour les visiteurs étrangers, y compris pour les Algériens. Mais les touristes ne peuvent pas quitter l'île pour la péninsule.