Des preuves suffisantes existent pour ouvrir une enquête sur de hauts responsables saoudiens, y compris le prince héritier, dans l'affaire Jamal Khashoggi. C'est ce qu'a indiqué une experte des droits de l'homme des Nations unies, Agnès Callamard, dans son rapport final transmis hier aux médias. Elle a appelé ainsi le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, à «ouvrir une enquête pénale de suivi sur l'assassinat de M. Khashoggi afin de constituer des dossiers solides sur chacun des auteurs présumés». Le secrétaire général de l'ONU «devrait lui-même être en mesure d'ouvrir une enquête pénale internationale de suivi sans qu'un Etat n'ait à intervenir», a-t-elle ajouté. Après avoir elle-même enquêté pendant six mois sur la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, la rapporteure spéciale de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires a relevé dans son rapport qu'elle a «déterminé» l'existence «des éléments de preuve crédibles justifiant une enquête supplémentaire sur la responsabilité individuelle de hauts responsables saoudiens, y compris celle du prince héritier» Mohammed Ben Salmane. Elle a mis en garde contre «l'importance disproportionnée accordée à l'identification de l'auteur du crime», soutenant que la justice ne doit pas uniquement établir la responsabilité de l'auteur physique du crime. Une enquête judiciaire «vise également, sinon principalement, à identifier les personnes qui, dans le contexte de la perpétration d'une violation, ont abusé des responsabilités de leur poste d'autorité ou ne les ont pas remplies», a-t-elle observé. Constat accablant Mme Callamard, qui comme tous les autres experts indépendants de l'ONU ne parle pas au nom des Nations unies, tient l'Arabie Saoudite pour «responsable de l'exécution extrajudiciaire» du journaliste et critique du pouvoir saoudien, le 2 octobre 2018 à l'intérieur du consulat de son pays, à Istanbul. Dans un premier temps, le royaume a nié le meurtre et avancé plusieurs versions contradictoires. Mais il a fini par soutenir que Khashoggi a été tué lors d'une opération non autorisée par le royaume. Le 16 novembre, le Washington Post rapportait que la CIA a conclu que le prince a commandité l'assassinat. Le 20 du même mois, le président américain Donald Trump a déclaré ne pas exclure que le prince ait été au courant, mais affirmé que Washington entend «rester un partenaire inébranlable» de Riyad. Mais le 4 décembre, des sénateurs républicains ont affirmé, après avoir été informés des conclusions de la CIA, n'avoir «aucun doute» sur le fait que le prince a «ordonné» le meurtre. Le 13 du même mois, le Sénat adoptait une résolution tenant Mohammed Ben Salmane pour «responsable». Dans la procédure lancée devant la justice saoudienne, l'accusation a innocenté le prince héritier et inculpé 11 personnes, réclamant la peine de mort contre cinq d'entre elles. Dans son rapport, Mme Callamard a publié les noms et fonctions d'une «équipe de 15 Saoudiens», certains ayant ou ayant eu des liens avec le bureau du prince, dont la mission aurait été d'exécuter J. Khashoggi. L'experte, qui a eu accès à un enregistrement audio des services secrets turcs, présente des détails sur ce qui se serait passé dans le consulat saoudien à Istanbul, avant l'arrivée du journaliste saoudien puis en sa présence. «Le corps est lourd. C'est la première fois que je découpe par terre», a-elle repris dans son rapport. Quelques instants après la publication du rapport, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Cavusoglu, a déclaré sur Twitter que son pays appuie «avec force les recommandations» de la rapporteure de l'ONU pour «élucider le meurtre de Khashoggi et demander des comptes à ceux qui en sont responsables».