La déclaration faite par le secrétaire russe du Conseil de sécurité lors du sommet tripartite entre responsables de la sécurité israéliens, russes et américains à Jérusalem a confirmé le soutien de Moscou à l'Iran, une semaine après la destruction du drone américain par les gardiens de la révolution, qui a fait craindre une possible confrontation directe dans un contexte de tensions aiguës et persistantes entre l'Iran et les Etats-Unis. En totale dissonance avec la position américano-israélienne, Nikolai Patrushev a rappelé que «toute tentative de comparer l'Iran à Daech est inacceptable» et que Téhéran «est un partenaire essentiel dans la lutte russe contre le terrorisme», avant de préciser que «le drone américain se trouvait dans l'espace aérien iranien». La position russe converge donc avec celle de l'Iran qui, en réponse aux déclarations du Pentagone affirmant que l'engin n'a pas survolé l'espace aérien iranien mais se trouvait à 34 km de la frontière au moment où il a été intercepté, a exposé via la télévision publique les images des débris de l'appareil. Risques Patrsushev a par ailleurs appelé à une enquête sur l'attaque contre deux pétroliers en mer d'Oman. «Nous n'acceptons pas les accusations formulées avant l'enquête (…). Les informations fournies manquent de professionnalisme», a-t-il martelé. Il semble donc que les Russes se tiennent aux côtés de l'Iran dans une configuration inédite, où le conflit de basse intensité entre l'Iran et les Etats-Unis pourrait à tout moment se transformer en guerre ouverte. Depuis plusieurs mois, la nouvelle équipe entourant le président américain, Donald Trump, tente par le biais de la politique des «pressions maximales» de mettre à genoux l'Iran afin de l'amener à accepter les conditions formulées par Mike Pompeo et jugées inacceptables par Téhéran. Donald Trump subit ainsi l'influence d'une équipe qui fait de la relation avec Israël un déterminant puissant de la politique étrangère américaine, allant jusqu'à écarter tous les membres de l'administration opposés à son approche belliciste, à l'instar de l'ex-secrétaire à la Défense, James Mattis, hostile au retrait américain de l'accord nucléaire et au rétablissement de sanctions économiques contre l'Iran, ou encore de l'ancien secrétaire d'Etat Rex Tillerson. Pressions maximales Depuis le printemps 2018, le quatuor Bolton, Pompeo, Pence et Kushner a opté pour la stratégie des «pressions maximales», théorisée en 1994 par Peter Schweizer dans son livre Victory : The Reagan Administration's Secret Strategy That Hastened the Collapse of the Soviet Union. Le parti de la guerre a ainsi présenté à Trump, initialement non partisan du recours à la force contre l'Iran, cette stratégie qui en théorie semble constituer une alternative à un conflit aux potentiels prolongements régionaux mais qui, dans les faits, appliquée à l'Iran (boycott total de l'industrie métallurgique, de l'industrie pétrolière, présence militaire américaine accrue dans la région, etc.), crée directement les conditions d'une escalade militaire. La volonté américaine d'exiger un nouvel accord nucléaire prolongeant la mise sous tutelle des infrastructures iraniennes pendant une période longue et s'articulant à un accord qui limite sévèrement le programme balistique iranien traduit en réalité l'objectif de précipiter l'Iran dans une guerre pour la défense de la «sécurité d'Israël». Du point de vue de l'équipe présidentielle, l'Iran matérialiserait en effet une menace en raison de son rôle joué dans le développement du potentiel balistique en Syrie et au Liban et sa capacité à changer l'équation qui a prévalu jusque-là. Ce conseil de sécurité est devenu à la faveur d'une évolution institutionnelle un acteur de poids dans le processus décisionnel, marginalisant davantage l'approche de l'institution militaire qui n'a pas la même conception des intérêts nationaux et diverge dans son appréciation du dossier iranien. En effet, pour le Pentagone, la guerre contre les moyennes puissances est un facteur de recul de l'hégémonie américaine qui ne pourra se maintenir qu'en priorisant la compétition stratégique avec la Chine et la Russie. Message clair Face à la tentative américaine d'asphyxier économiquement l'Iran tout en cherchant à contenir sa puissance et son influence croissante dans la région, Téhéran a, à plusieurs reprises, riposté à ce qu'il perçoit déjà comme une guerre de basse intensité à travers une série de frappes, notamment celles menées à partir de Fujeira, les bombardements d'installations saoudiennes, l'attaque contre les deux navires Kokuka Courageous et Front Altair dans la mer d'Oman, et enfin celle visant le site d'ExxonMobil en Irak. Le message de l'Iran est clair : il ne craint pas le scénario de la confrontation directe et s'il venait à se concrétiser, Téhéran a les moyens de remettre en cause la sécurité des approvisionnements pétroliers. Bien que Donald Trimp privilégie pour l'instant la voie de la conciliation, ses efforts pour ouvrir des canaux de médiation à travers le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, ou le conseiller diplomatique du président français, Emmanuel Bonne, sont restés vains. Sans offre concrète et conditions acceptables pour l'Iran, ce dernier ne cédera pas. La situation dans le Golfe semble donc aujourd'hui lourde de menaces, avec une configuration géopolitique qui n'est pas sans rappeler celle de la Première Guerre mondiale en raison du jeu des alliances susceptibles d'accélérer le glissement vers une conflagration régionale.
Par Lina Kennouche , Doctorante à l'université de Beyrouth