Le colloque international organisé en hommage à Abdelhamid Benzine par les amis d'Alger républicain (16 et 17 mars 2005) aura été un moment très fort dans l'approche de la nation, concepts et pratiques. Près d'une huitaine de communications fort diverses ont tenté d'aborder sur le plan de la réflexion autant que sur celui du bilan la question nationale en ses aspects aussi bien théoriques (2 approches à partir de notions : définitions, segments, identité et citoyenneté), pratiques historiques (1 témoignage et 2 approches analytiques) que bilans pragmatiques (2 approches centrées sur : élites, savoirs, principes, discours, etc.). Des débats extrêmement féconds entre les communicants donnèrent l'occasion à des échanges avec l'auditoire bien instructifs. L'Algérie qui réfléchit et qui avance est encore et toujours là. Les savanticides culturicides de la bureaucratie médiocratique ont fait chou blanc même si la bête immonde, mise en état de veille, reste à l'affût. Si les clichés et les bonnes vieilles idées et recettes sont toujours et encore au rendez-vous, de nouvelles approches fort pertinentes et particulièrement fécondes ont pu s'exprimer et ont pu donner à ce colloque des dimensions créatrices indiscutables (pour le savoir et l'intelligence en Algérie en tout cas). Trois idées essentielles ont émergé, à mon sens, lors de ce colloque. Trois idées sortent donc de l'ordinaire des rarissimes confrontations intellectuelles. En premier, un apport fondamental sera celui de la nécessaire déconstruction du mythe national algérien, pratiques et discours (communication de Mohamed Harbi). En second lieu, il est à souligner le rôle de l'Etat postcolonial dans la construction et/ou la destruction du tissus social et national (communication de Hamid Aït Amara). Enfin et surtout, deux contributions portant sur la précision épistémologique quant à la validité et à la fonctionnalité du concept d'égalité dans le tryptique révolutionnaire (1789) qui fonde la revendication nationale et citoyenne (communications de Georges Labica et de Hocine Zehouane). L'attention sur la question nationale, grâce à la vigilance des communicants tout autant que celle des participants auditeurs, a réussi à éviter de confiner cette question vitale nationale dans le passé, simple ou composé. La période post coloniale aura été tout autant sollicitée, et c'est justice au regard du combat de Abdelhamid Benzine et des épreuves qu'il dut endurer, lui qui passa plus de temps en prison et en exil dans l'Algérie indépendante que dans la coloniale est-il besoin de le rappeler et de rappeler surtout son militantisme et partant le sens de ce colloque hommage que rares auront été les universitaires qui y furent présents. Le lien souligné entre le passé et le présent aura permis, grâce à certaines interventions, d'illustrer comment le savoir surtout et les pratiques militantes politico-idéologiques qui caractérisèrent la lutte nationale algérienne, faute de rigueur et d'effort, auront dans la confusion et l'amalgame permis la résurgence d'idéologies rétrogrades, voire réactionnaires imposées en toute hégémonie appuyées sur des pratiques bureaucratiques et inquisitoriales qui étaient de mise dans le militantisme d'alors, et cela fut reconnu et souligné par la plupart des témoins et des acteurs communicants. Mais l'idée force de ce colloque fut incontestablement, cette réflexion critique que le professeur Georges Labica apporta comme contribution à cet hommage, idée qui montre la pérennité du combat de Abdelhamid Benzine, et surtout la validité universelle de ce combat. Réfléchissant sur les combats émancipateurs d'hier comme d'aujourd'hui, les nationaux comme les sociaux, Georges Labica souligna avec beaucoup de sagacité que le segment égalitaire dans la culture révolutionnaire du XVIIIe siècle reste indiscutablement le segment égalitaire et non celui qui fut toujours avancé par les idéologues plus ou moins mystificateurs, à savoir le segment libertaire. On ne peut manquer d'être étonné, surpris, voire quelque peu désappointé. Revenant sur l'explicitation du tryptique révolutionnaire de 1789 - Liberté, égalité, fraternité - Georges Labica devait préciser les significations profondes et partant la portée des segments en question, à savoir que le segment libertaire était d'essence bourgeoise, revendication de cette classe sociale qui y voyait le fondement de ses intérêts, à savoir la libre entreprise et la protection de la propriété privée (choses ajoutées explicitement et précisées par la Convention et la Constituante dès 1791), cependant que le segment fraternel se devait d'être une survivance de l'idéologie conservatrice familiale ou religieuse qui permettait la survivance de l'idéologie réconciliatrice qui préservait les cadres traditionnels et jugulait du même coup les enthousiasmes révolutionnaires, surtout les plus radicaux. Quant au troisième segment, le segment égalitaire, il devait focaliser l'attention du communicant qui aura tenté de montrer en quoi ce segment était le plus radical en ce qu'il se trouvait être le dissolvant de toute idée ou pratique d'injustice, de discrimination et de ségrégation et qui donc aura eu et a toujours une portée opératoire universelle dans l'espace et dans le temps, d'hier à demain en passant par l'aujourd'hui. Labica devait confier au cours de son intervention que ces approches qui ont eu le temps de mûrir ne lui étaient pas venues seulement de ses pratiques de philosophe en tant que théoricien et didacticien de la discipline, mais que son expérience algérienne au début de l'indépendance jusqu'à son départ vers les années 1970 autant que son observation de la vie française depuis le phénomène des banlieues et des questionnements nés de la nécessaire résolution du problème d'intégration des jeunes enfants d'émigrés, citoyens français de second collège, avaient permis de penser de manière critique et profonde les idéologies libératrices et de voir, à travers le cas algérien, une mise en pratique et en adéquation, les problèmes de naissance d'un peuple, en l'occurrence le peuple algérien, à la nationalité et à la citoyenneté. Ces dernières furent alors mises en disjonction par les crises préfabriquées volontairement et inoculées comme de dangereux virus au peuple épuisé par un effort de guerre insoutenable, un peuple à qui il ne restait que le souffle vital de crier face aux appétits féroces et sordides « Sept années suffisent ! » Depuis l'indépendance, les néo-nationalistes « marsiens » travaillent à user le peuple grâce à un Etat illégitime et inégalitaire. Cette communication de l'éminent philosophe a non seulement corrigé le sens du combat d'émancipation par le rappel de l'exigence d'égalité comme fondement premier et essentiel (en synergie avec la culture égalitariste de notre peuple) des combats indépendantistes mais aura aussi permis de démystifier cette toile d'Eugène Delacroix qui mystifia toute l'intelligence universelle, en faisant de Marianne, « la liberté guidant le peuple sur les barricades de 1830 », le tableau symbole de l'émancipation qui aura eu pour vocation d'occulter le fait colonial de la prise d'Alger. Ce colloque hommage à Abdelhamid Benzine fut l'occasion première, espérons que ce ne sera pas la dernière, car les vieux démons sont en train de revenir à toutes enjambées, de faire sereinement un état des lieux des savoirs et des pratiques du nationalisme algérien, d'en montrer les mérites (volontarisme, enthousiasme, etc.) et d'en souligner les insuffisances (déliquescence et liquidation des élites, suprématie des comportements de centralité et de contrôle draconien bureaucratiques, etc.). Comme de bien entendu, l'université algérienne a brillé par son absence, les enseignants d'aujourd'hui préfèrent aller au râtelier des conventions et des rentes, les stage de courte durées et les congés scientifiques qui, bien souvent, tournent au schoping, les couturières algériennes en soierie asiatique et les savetiers mocassiniers ne faisant plus recette. Bibliographie critique Gellner G. (1983) Nations et nationalisme, Bibliothèque historique Payot El Watan (2004) Supplément spécial 1er Novembre, 50e anniversaire de la guerre de libération. M. Harbi (1980) Le FLN, mirage ou réalité Maougal et Boudiaf ML/S (2004) Elites algériennes, histoire et conscience de castes, APIC, Alger 2004