Le jeu de poker sur le dossier du nucléaire iranien change de mains. Le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne), engagé dans d'interminables et hypothétiques négociations avec Téhéran sur son potentiel nucléaire, vient de se voir rafler la mise par deux pays émergents qui comptent sur la scène internationale : le géant brésilien et la Turquie. En marge des travaux du G15 qui se tient à Téhéran, ces deux pays viennent de signer, dans la capitale iranienne, un accord d'une grande portée stratégique et politique. L'accord en question vise à permettre à l'Iran d'échanger du combustible nucléaire iranien sur le territoire turc contre de l'uranium enrichi à 20% en vue de dénouer la crise résultant de la décision des autorités iraniennes de procéder à l'enrichissement de son uranium dans les centrifugeuses du pays. L'initiative intervient dans un contexte géopolitique marqué par une certaine fébrilité au niveau du Conseil de sécurité qui planche sur des sanctions internationales contre l'Iran conforté par le tout récent « lâchage » de Téhéran par la Chine et la Russie. Ces deux pays avaient toujours opposé leur veto à des sanctions internationales contre Téhéran avant de se raviser et d'accepter de négocier dans le cadre du Conseil de sécurité de l'Onu d'éventuelles sanctions « ciblées ». L'accord tripartite de Téhéran a brouillé toutes les cartes. A peine l'annonce faite que des voix se sont déjà élevées de certaines capitales européennes pour prévenir que l'accord « ne répond pas à toutes les inquiétudes » de la communauté internationale, comme l'a affirmé hier le porte-parole de la chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton. Le groupe des six, qui se trouve à deux doigts d'un accord sur des sanctions internationales au sein du Conseil de sécurité ainsi que l'a révélé hier le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, redoute que l'initiative brésilo-turque ne vienne parasiter leur plan de neutralisation de l'Iran et de son potentiel nucléaire. Pour l'heure, dans les capitales occidentales, c'est le wait and see. Mais on fait clairement savoir qu'aucun accord ne pourrait avoir le soutien de la communauté internationale s'il n'a pas l'onction de l'AIEA. Israël qui suit de très près l'évolution du dossier nucléaire iranien le sait parfaitement même s'il tente de faire monter la mayonnaise en parlant de « manœuvres » de l'Iran qui aurait manipulé la Turquie et le Brésil pour prendre de vitesse et court-circuiter les résolutions et les sanctions que pourrait adopter le Conseil de sécurité contre Téhéran. Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmed Davutoglu, a estimé à la suite de cet accord que l'idée de sanctions contre Téhéran n'avait plus sa raison d'être. Mais que pèse la Turquie, qui a déjà beaucoup de difficultés à intégrer l'UE, et le Brésil, même dans son nouveau statut de pays émergent, dans la gestion d'un dossier aussi sensible et aussi stratégique dont les ficelles son tirées ailleurs. Le seul résultat palpable de la réunion du G15 est d'avoir réussi à repêcher l'Iran, en lui obtenant un nouveau sursis face aux menaces de sanctions internationales qui se précisent de plus en plus.