Matinée du 19 mai. Journée nationale de l'étudiant. Les élèves d'El Hammadia sortent en un flot humain pour battre le pavé…. Ils étaient une trentaine de personnes déférées devant la justice avant de finir à la prison civile de la ville, condamnées de un à trois années de prison pour, entre autres, « atteinte à l'intérêt suprême de l'Etat ». Une année après les événements d'Avril 80 qui ont éclaté en Kabylie, Béjaïa avait rendez-vous avec un autre printemps mouvementé qui était venu convoquer une nouvelle fois l'université, cette fois-ci comme projet d'implantation revendiqué, au cœur d'une exaspération populaire. La rue avait grondé contre le « détournement du projet universitaire de Béjaïa », soupçonnant les pouvoirs publics de vouloir étouffer dans l'œuf un projet dont on a entamé la réalisation avant qu'on ne le cloue longtemps au sol faute de budget « détourné vers une autre wilaya ». Le rôle catalyseur joué par l'université de Tizi Ouzou dans le mouvement de revendication identitaire ne devrait surtout pas, aux yeux du système en place, sonné par la révolte du printemps berbère, se reproduire à Béjaïa où la mobilisation pour les détenus d'avril 80 avait déjà pris forme. Elle sera l'œuvre de lycéens, entres autres acteurs. Leur revendication première sera la libération inconditionnelle des détenus de 80 puis la reconnaissance de la langue et la culture amazighes avant de crier non « au détournement du projet universitaire » de Targa Ouzemmour. Cette relation directe avec le mouvement identitaire fait dire à beaucoup que la marche du 19 mai est une continuité du printemps berbère. Retour sur un printemps bougiote. Des lycéens, militant sous couvert d'un « comité de wilaya », ont intégré les structures de l'UNJA, pour en utiliser le cadre. Ce comité de wilaya se proposait comme le démembrement du fameux CUTO, comité de l'université de Tizi Ouzou. Le cadre organique de l'UNJA permettait alors une certaine liberté de réunion pour le comité du Lycée El Hammadia, dans la ville de Béjaïa, où ont été confectionnés les tracts de la marche du 19 mai. Sortis, justement, d'une machine à écrire de l'UNJA. Ex élève interne du lycée, Mokrane Agoune s'en souvient : « nous consommions 2 à 3 rames par jour pendant 3 mois pour la confection des tracts ». Matinée du 19 mai. Journée nationale de l'étudiant. Les élèves d'El Hammadia sortent en un flot humain pour battre le pavé. Contrairement aux précédentes tentatives avortées, cette fois-ci c'était la bonne. Pour les banderoles, les internes seront d'un grand concours. Ils puiseront généreusement de la draperie du lycée pour en faire des bouts de tissus qui ont porté haut des revendications essentiellement politiques. Quelques pas plus loin, les forces anti-émeutes étaient déjà là. La marche prend alors le sens inverse, vers le quartier populeux d'Ihadadden où elle grossira par le renfort de contingents d'élèves du deuxième lycée et des étudiants de l'ex ITE puis elle ratisse au passage des autres établissements scolaires et aussi des unités économiques. Aux jeunes lycéens se joignent alors des pères de famille, ouvriers du complexe jute, CCB, …. La déferlante humaine tente de contourner la police en empruntant la route des Aurès. Un impressionnant dispositif policier a été mis en place. La ville était bleue de CNS. Pour passer, les marcheurs ne s'encombrent pas du fourgon de la police mis en travers de la route. Renversé, ils n'ont feront qu'une bouchée. Imposante, la marche continuera vers la haute ville en passant par la zone industrielle, le port, et le reste des entreprises publiques. « La ville était à nous » se souvient encore Mokrane Aggoune. Le feu est mis aux poudres et des dépassements auront lieu. Le Souk El Fellah de la ville sera saccagé, le siège des impôts ravagé par le feu, … Au même moment, d'autres villes dans la vallée de la Soummam, comme Akbou et Seddouk, ont vibré au rythme de marches populaires et de bombes lacrymogènes. Vers la fin de la journée, la police reprend le contrôle de ces villes. Et commencent alors les arrestations. Certains seront pris, innocemment, dans des rafles dont « un jeune qui était parti acheter un sachet de lait chez l'épicier du coin ». Il ne sera de retour qu'après avoir purgé 8 mois de prison. Les meneurs, eux, seront arrêtés quelques jours plus tard. 17 ans, Mokrane Agoune en était le plus jeune. En tout, ils étaient une trentaine de personnes déférées devant la justice avant de finir . à la prison civile de la ville, condamnées de un à trois années de prison pour, entre autres « atteinte à la sûreté de l'Etat ». A leur procès, ils sont venus nombreux de Tizi Ouzou, d'Alger et d'ailleurs pour les soutenir en reprenant des chants de Imazignen Imoula en pleine audience. En juin 1982, ils seront libérés après une année de réclusion sur décision du président de la république, Chadli Bendjedid, qu'ils ont saisi, peu avant, par une lettre ouverte ponctuant une grève de la faim de 26 jours. Pendant leur incarcération, Meziane Cherif a été désigné wali de Béjaïa et le centre universitaire a été construit dans la précipitation. Il ouvrira finalement ses portes. Mais pas pour tout le monde. Une soixantaine de noms de militants berbéristes ont été couchés sur une liste noire. Interdits d'inscription.