Chaque année, les incendies dans les forêts de pin d'Alep, qui couvrent le sud de la wilaya de Béjaïa et le nord de Bordj Bou Arréridj, rétrécissent un peu plus le couvert végétal, contribuant ainsi au réchauffement climatique et à l'avancée du désert. Une véritable catastrophe écologique ! Des pinèdes verdoyantes, avec des pins d'Alep géants, des forêts pleines de vie, qui abritaient de précieux écosystèmes, sont parties en fumée en quelques heures au cours d'un week-end caniculaire et cauchemardesque. Elles ne sont plus que cendres, que soulève le vent et troncs de charbon pétrifiés, levant désespérément des branches calcinées vers un ciel sans nuages et sans oiseaux. Nous sommes à Bouni, haut-plateau situé à plus de 1 000 mètres d'altitude dans la région d'Ighil Ali, au cœur de la chaîne de montagnes des Bibans, et la RN 106, qui relie la ville de Bordj Bou Arréridj à la basse Kabylie et la vallée de la Soummam, marque la frontière entre les wilayas de Bordj Bou Arreridj et Béjaïa. La ville de Tizi Lekhmis (Theniet Ennasr) marque aussi la frontière entre la montagne et les hauts-plateaux qui s'étirent vers les plaines de Medjana. Depuis vendredi dernier, la RN 106 marque aussi une nouvelle frontière : le noir cendré de ce qui a brûlé et le vert de ce qui été épargné par les flammes. Parfois, les limites entre la vie et la mort ne dépassent pas la largeur d'une route asphaltée. Le vendredi 12 juillet a vu le déclenchement d'un feu ravageur. Encore un. Tout est parti d'une étincelle produite par une moissonneuse-batteuse qui moissonnait un champ de blé à l'orée de la forêt, à un jet de pierre de la station-service de Boni et du cantonnement de l'ANP. En quelques secondes, le feu échappe à tout contrôle et pénètre en forêt où la végétation est dense et sèche, après des mois de sécheresse et de canicule. Il aura fallu des jours de lutte et d'immenses moyens humains et matériels pour en venir à bout. Des unités et des colonnes de la Protection civile de plusieurs localités limitrophes ont été appelées à la rescousse. Pour la première fois aussi dans les annales de la lutte contre les incendies, un hélicoptère a également été utilisé pour faire des lâchers d'eau sur les zones les plus sensibles. Il faut dire aussi que plusieurs villages, comme celui de Ferracha, Taourirt ou Uchanen, étaient directement sous la menace des flammes. «Nous avons été obligés d'évacuer le village» Dan le village de Ferracha où nous nous sommes rendus, il ne reste plus qu'une poignée de familles, qui s'accrochent vaille que vaille à de vieilles maisons érigées au sommet d'une colline. Des champs d'oliviers et de figuiers courent à flanc de colline. Comme tous les villages de montagne, Ferracha a été touché de plein fouet par l'exode rural durant les années rouges du terrorisme islamiste et entièrement évacué. Après la menace du feu des fous de Dieu, voici venue la menace des incendies. L'incendie a débuté vers 13 heures vendredi, raconte Akli Mohamed, un habitant de Ferracha. «Nous avons été forcés d'évacuer le village par l'armée et les autorités locales vers les écoles de Tizi Lekhmis. Le wali de Bordj a débarqué au village à 23 heures. J'insiste pour dire que nous n'avons manqué de rien et que tout le monde a fait son devoir envers nous», dit-il. «Heureusement qu'il n'y a pas eu de victimes. Seules deux personnes ont été prises en charge médicalement, car fortement indisposées par les fumées. Le village a failli brûler entièrement. Les flammes sont venues lécher les murs des maisons et le minaret de la mosquée. J'ai même vu des perdrix tomber en plein vol, victimes des fumées et de la chaleur dégagées par les colonnes de flammes hautes comme des immeubles. Exactement comme en 2009, quand tout a brûlé. L'absence de pistes agricoles a entravé le travail des pompiers et des bénévoles, car beaucoup de zones sont restées inaccessibles à pied ou par véhicule motorisé. Il nous faut absolument un poste de la Protection civile à Bouni. C'est une chose indispensable et indiscutable», dit encore notre interlocuteur. Sécheresse et pression démographique Ces dernières années, la sécheresse et la pression anthropique ont fragilisé les milieux naturels tels que la forêt de Bouni, l'une des plus vastes de la wilaya de Béjaïa avec ses 8 000 hectares. Au cours de l'été dernier, c'est le village de Zina, situé également en pleine forêt, que les incendies ont menacé. Rencontré non loin de la station d'essence de Bouni, Ammi Belkacem, un sexagénaire originaire du village de Mouka, en contrebas, peste contre les changements de temps et de mœurs. «Je me rappelle qu'il n'y avait que deux gardes forestiers pour toute cette immense forêt, mais personne ne pouvait y porter atteinte», dit-il. Ces 20 dernières années, au sud de la wilaya de Béjaïa, spécialement sur les territoires des communes d'Ighil Ali et de Boudjellil, de très grands incendies sont venus pratiquement chaque année ravager le couvert végétal et les fragiles forêts de pin d'Alep, essence très inflammable. De tous les grands espaces forestiers, il ne reste plus qu'Arou n Gaga, mais pour combien de temps encore ? A titre de triste exemple, il ne reste plus grand-chose de l'immense et mythique forêt d'Amarigh. Pourtant, ces pinèdes qui s'étendent sur tous les contreforts des Bibans sont le dernier rempart avant le désert. Il suffit de franchir les Portes de fer, au détroit des Bibans, pour sentir le souffle chaud du désert et voir la désertification à l'œuvre. Le manque d'entretien des forêts, l'absence de pistes et de points d'eau, la prolifération des décharges sauvages, la pollution par le verre et les papiers d'emballage, le manque de campagnes de sensibilisation des citoyens, de campagnes de reboisement, tous ces facteurs sont en train de venir à bout des dernières forêts de pin des Ath Abbes.