Quel modèle économique suivre ? Tout processus économique stable doit passer par un choix de l'Etat. A mon avis, les deux exemples significatifs actuellement sont la Scandinavie et la Chine. Le premier est un développement lent en croissance mais constant en bien-être car reposant sur une justice sociale. Pour ce faire, il leur a fallu un cadre juridique définissant démocratiquement les «règles du jeu» ; respectant le droit du travail, protégeant l'environnement, instaurant une fiscalité redistributive, abolissant le favoritisme et le clientélisme, et disposant d'une autorité de la concurrence chapeautée par une justice indépendante. Le second est un développement plus accéléré et intensif mais au détriment des populations issues des provinces très précaires (Nongmingong) et peu regardant sur les conditions de travail et de vie des citoyens ni sur les inégalités sociales et territoriales. Il vise une expansion économique grâce aux capitaux colossaux misés par l'Etat central. Celui-ci est présent dans tous les secteurs d'activité et possède des actions dans la plupart des grandes entreprises. C'est un choix combinant entre exploitation optimale du capital technique (technologie) et mobilisation massive d'une main-d'œuvre peu coûteuse pour réaliser des gains de productivité impressionnants et réussir ainsi des sauts spectaculaires de croissance. Cependant, ce choix néglige complètement le droit de travail et les conditions environnementales puisque sa finalité se limite à la multiplication de la valeur ajoutée et à l'exportation des biens et des services. Ce qui fait de la Chine une puissance économique contrairement aux pays scandinaves réputés plutôt pour leur qualité de vie. A nous de choisir quel processus économique nous voulons acheminer en apprenant des expériences des uns et des autres pour créer un modèle authentique et compatible avec nos caractéristiques socioculturelles. 7 mesures d'urgence à court terme pour l'économie algérienne Avant cela, il me semble qu'il y a des urgences économiques à résoudre sur le court terme pour limiter la vulnérabilité et la volatilité économique. Sept éléments me paraissent importants pour l'économie algérienne dans le cadre d'une transition démocratique dont la justice devrait, impérieusement, être indépendante. D'abord, nous devons commencer par récupérer les biens mal acquis (monétaires ou autres actifs) des oligarques, de la mafia financière et des délinquants économiques en Algérie et à l'étranger. Nous pourrons alimenter les caisses de l'Etat de quelques millions – si ce n'est pas milliards – de dollars. De toute évidence, il est plus commode de le faire au niveau national qu'international, mais il existe des d'experts internationaux spécialisés dans le rapatriement des deniers dilapidés ou détournés et placés à l'étranger. L'organisme le plus efficace est celui de l'ONU : UNICRI (United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute)qui est à la disposition des Etats qui souhaitent régler ces problèmes de biens spoliés. Des pays comme l'Egypte, la Tunisie, le Yémen, la Libye, le Congo ou les Philippines ont déjà sollicité l'UNICRI. On peut aussi s'appuyer sur des mécanismes juridiques comme la «loi d'entraide» adoptée par l'Assemblée fédérale de la Confédération helvétique (Suisse) en 1983. D'autant plus, la corruption aggravée est juxtaposée à la criminalité au sens de la convention de Mérida de l'ONU (2003). Nous devons créer des commissions d'enquête où plusieurs corps de métier peuvent y contribuer : experts-comptables, avocats internationaux, journalistes d'investigation, etc. pour «identifier et évaluer l'argent détourné et transféré à l'étranger» (cf. H. Benmiloud). Il est impossible de restituer tous les avoirs illicites car le secret bancaire, les offshore et les trusts (sociétés anonymes) cachent très bien les identités des réels propriétaires (cf. P. Conesa), néanmoins nous pouvons récupérer 30 à 40% de l'ensemble des biens évadés. Deuxièmement, stopper immédiatement le «pouvoir de marché» des importateurs et des industriels qui profitent d'une position monopolistique et qui constituent des «cartels» pour décider des quantités des produits et donc des prix à former sur le marché. Le consommateur algérien ne paye jamais le prix à sa juste valeur, il a toujours subi les conséquences des manigances oligarchiques. Et on se souvient tous de ces exemples d'agriculteurs et paysans locaux qui se sont retrouvés avec des surplus invendus et des stocks morts à cause de la concurrence déloyale des importateurs : les producteurs de pomme de terre à El Oued, ceux de l'oignon à Djelfa, le lait des éleveurs à Tizi Ouzou, etc. L'Etat doit mettre des «prix plafonds» et des «prix planchers» pour structurer le marché, évincer la domination des importateurs et éviter la destruction de la production nationale. Troisièmement, réduire les taxations pour les producteurs locaux important des matières élémentaires pour la fabrication des biens et les augmenter plutôt pour les importateurs des produits finis. Il est aberrant de savoir qu'un producteur paye 30% pour une matière première et qu'un importateur paye 7% pour un bien finalisé à l'étranger. Conjointement, il faut revoir le processus d'attribution des marchés publics et privés : le moins offrant ne devrait jamais être sélectionné s'il ne remplit pas totalement les exigences techniques (compétences, expérience, matériel…), y compris pour les sous-traitants. Cinquièmement, nous devons réduire – pour ne pas dire éradiquer – progressivement l'économie informelle (43% du PIB), en l'occurrence le marché parallèle de la devise. En l'absence de circuit bancaire et fiscal généralisé, il serait très difficile d'aspirer à un socle économique solide. Sans celui-ci, les premiers perdants seront le réinvestissement et la redistribution et par conséquent, à l'exclusion de ces deux éléments nous peinerons à réaliser une justice sociale. Ensuite, il faut délimiter les propriétés de biens publics et privés et traquer la mafia foncière qui accapare continuellement les terrains des Domaines. Un inventaire est primordial pour déterminer les actifs des uns et des autres, gérer les territoires et les potentiels investissements publics (cf. F. Talahite). Dans le même registre, il faut renforcer rigoureusement les dispositifs de protection des propriétés intellectuelles (ex. INPI) particulièrement celles relatives à l'innovation technique ; une condition sine qua non pour le développement de la digitalisation et de la technologie en Algérie. Enfin, nous devons bannir les obstacles bureautiques et opter pour une souplesse de l'administration publique en opérant sur le numérique : correspondance par e-mailing et identification administrative grâce à l'immatriculation unique des agents économiques. Je prendrai le temps de partager d'autres éléments sur le moyen et long terme : changement de la monnaie, fiscalité incitative et désincitative, système d'impôts dégressif, contrôle de l'inflation et son équivalent emploi-salaire, création monétaire par le taux de change et dévaluation, etc. Vers la fin de la croissance économique ? Avant de répondre sur la clé de la croissance économique en Algérie, il serait nécessaire de rappeler que la notion économique classique orientée sur l'indispensabilité de la croissance (augmentation du PIB par rapport à l'année précédente) est une logique révolue voire dangereuse (cf. J. Stiglitz). L'économie est une science sociale et on a voulu faire d'elle une discipline érigée sur l'analyse mathématique et comptable réduisant l'être humain à une variable statistique. Or, le bien-être de l'être humain devrait être au centre de la réflexion économique, et inopportunément l'encouragement de la prolifération de la croissance ne le permet pas. La croissance est fondée essentiellement sur le principe de l'augmentation des valeurs ajoutées et donc des consommations intermédiaires (matières premières). Mais, malencontreusement on ignore, parfois délibérément, deux paramètres décisifs : les matières premières sont finies donc on ne peut pas accélérer la croissance indéfiniment, et puis les activités économiques basées justement sur ces matières premières sont génératrices d'externalités négatives (pollution atmosphérique, destruction de la faune et de la flore, déforestation…) qui sont déstabilisatrices pour notre environnement et donc pour notre cadre de vie quotidien. Il est quand même absurde de faire de la croissance un baromètre au lieu de l'épanouissement et du bien-être de l'humain. A quoi bon gagner des millions pour les dépenser dans les soins des maladies chroniques ou pour respirer toute l'année les déchets industriels ? Il faut donc réfléchir à d'autres formes de développement sans axer tous les processus sur la croissance. Je reviendrai sur ce point plus tard. Le capital humain : L'avenir sûr de l'Algérie En effet, ce «hirak» n'a fait que confirmer notre amour pour l'Algérie. Le patriotisme combiné à la dynamique de la jeunesse est une sacrée formule ; un atout que toutes les nations rêveraient d'avoir. La majorité écrasante des Algériens aime son pays, se dévoue pour son évolution et se transcendera pour sa protection. Et au sens économique, ce point s'annonce comme un gage de réussite. L'une des problématiques récurrentes en management d'entreprise, c'est la (dé)motivation du salarié ! Nous devons profiter de notre fort sentiment d'appartenance (cf. R. Sainsaulieu) pour affirmer notre identité au travail qui sera celle de la contribution à la construction de l'«Algérie de demain». Et bien évidemment, ceci ne fonctionnera pas comme un vecteur isolé, il faut aussi garantir la dignité du travailleur (salaire décent, protection sociale, équipements, transport…). Le «capital humain», pour reprendre l'économiste Garry Becker, Prix Nobel en 1992 et National Medal of Science en 2000, devrait être l'axe principal de toute économie jouissant d'une démographie fleurissante. Investir dans la formation de nos ressources humaines sera sans doute l'une des politiques les plus productives pour notre pays. Nous avons un pays dont 53% de la population a moins de 39 ans et qui est majoritairement connectée (81%). Ceci est une condition très favorable à l'activité économique, notamment le numérique et les nouvelles technologies. D'ailleurs, ce potentiel démographique algérien doit être exploité aussitôt puisque dans 12 ans notre moyenne d'âge passera à 48 ans et nous perdrons considérablement en facteur travail si nous ne créons pas des débouchés pour nos jeunes. Il serait regrettable de ne pas profiter de nos ressources humaines – sans compter la diaspora qui excelle partout – qui sont non seulement une source de productivité, mais aussi un pilier pour l'équilibre de la protection sociale (retraite et sécurité sociale) alimentée principalement par les cotisations de la population active occupée (les salariés). A contrario, ces millions de jeunes ne seront qu'une charge pour l'Etat et perdureront les phénomènes sociaux majeurs que nous connaissons aujourd'hui (chômage de masse, harraga, suicide, violence, délinquance…). Le capital naturel, notre levier de facteurs endogènes pour une croissance verte Hormis le manque d'investissement en capital humain, notre erreur monumentale en politique économique était de favoriser les énergies fossiles, particulièrement le pétrole, en délaissant des ressources plus abondantes et nettement plus rentables : les énergies renouvelables. D'autant plus, d'un point de vue économique, nous perdons doublement dans l'exportation du pétrole : d'une part, nos stocks pétroliers s'épuisent à toute vitesse. A la différence des ressources gazières estimées à 4000 milliards m3 (The World Factbook, 2015), celles du pétrole avoisinent les 12 milliards de barils sur un ensemble de 1700 milliards de réserve conventionnelle mondiale (World Oil, 2014). Alors, comme le soulignait déjà l'économiste M-E. Benissad (1980), nous aurons besoin de ce pétrole pour nos propres industries afin d'assurer notre transition énergétique. De l'autre, son exportation ne nous est pas si profitable pour notre balance commerciale ; nous vendons un litre de pétrole, en moyenne, 0,45 dollar. Autrement dit, il est clairement plus lucratif pour nous d'exporter un kilo d'agrumes que d'exporter un litre de pétrole. Un gâchis qui s'ajoute à la liste interminable de l'irrationalité économique algérienne. C'est pourquoi nous devons impérativement effectuer une actualisation sur nos capacités productives hors exploitation de matières premières. En clair, nous devons répertorier notre «capital naturel» ! Ce concept est initié par l'auteur du best-seller Small is Beautifull (1973), l'économiste E. F. Schumacher et approfondi par les lauréats du Prix Nobel alternatif en 1983 (L. H, Lovins, A. Lovins, P. Hawken) dans Natural Capitalism (1984, 2000). Il s'agit d'une estimation de la valeur d'un écosystème : biodiversité, biosphère, animaux, climats, eaux, vents, soleil,… vus comme moyens de production de biens et de services écologiques : production d'oxygène, régénération et épuration naturelles de l'eau, prévention de la subsidence, de l'affaissement et de l'érosion, pollinisation des cultures, et même fourniture de services récréatifs comme le «tourisme des paysages pittoresques». De façon intrinsèque, ce capital naturel est le levier de facteurs endogènes d'une croissance économique lente et durable à la fois sur le plan temporel et écologique. Le solaire : premier potentiel mondial Partant de ce postulat, qu'avons-nous en Algérie ? Plus de 2 800 000 km² dont 85% de Sahara – une richesse exceptionnelle – non pas qu'il regorge d'hydrocarbures et de métaux précieux, mais parce que 3% de ce territoire pourraient fournir de l'électricité à l'ensemble de l'Afrique du Nord. Et l'énergie est le fondement de l'économie, c'est aussi simple que cela. Toute l'activité humaine tourne autour de cela. L'Algérie est le 1er pays au monde en ratio de réception de «valeur énergétique solaire»/km². 1 km² en France reçoit en moyenne 1,3 MW/jour (CNRS, 2013), 1 km² en Algérie reçoit l'équivalent de 5,2 MW/jour, soit 4 barils de pétrole. En vrai, nous avons des barils de pétrole «propre» qui tombent du ciel et nous préférons aller chercher des barils de pétrole «sale» dans le fond de nos sols. En parlant de l'importance du capital humain, nous avons un brillant expert international en énergie, Mouloud Bakli, que nous devons lire et écouter. Bien que ses allégeances au FMI et à la Banque mondiale m'inquiètent, son analyse sur l'avenir du solaire en Algérie est très pertinente et lucide. Il estime qu'au niveau des économies d'échelle, l'électricité solaire par rapport à l'électricité gazière divisera les coûts marginaux sur trois. Ceci grâce à son faible coût de transformation et d'acheminement. En effet, nous subissons une «perte sèche» dans la création de l'énergie gazière qui est à hauteur de 10 DA le KW (6 DA subventionnés et 4 DA assumés par le consommateur), alors que l'énergie solaire est évaluée aux alentours de 3 DA le KW. De plus, une ferme solaire de 2 GW réduit plus d'un million de tonnes d'émission de CO2, soit l'équivalent de 200 000 voitures. Par ailleurs, les panneaux photovoltaïques ont une espérance de vie de 35 ans et créent pas moins de 40 emplois par MW (cf. le cas tunisien). L'implantation des fermes solaires sur 8 à 10% du désert algérien généreraient durablement des centaines de milliers d'emplois directs qualifiés et non qualifiés (montage, nettoiement et réparation…) et des emplois indirects du 1er rang grâce aux industries secondaires (structure métallique, câble, verre, aluminium…) et indirects du 2e rang avec le remplacement des réseaux électriques classiques, la fabrication des climatiseurs et des smartphones solaires, des kits pour particuliers, et surtout songer à des usines de construction de voitures hybrides et par la suite 100% électriques. Cet écosystème productif permettra de réaliser des économies colossales et nous donnera un boom d'évolution : éliminer les charges de subventionnement relatives à l'électricité fossile et à l'importation du carburant, pallier les insuffisances énergétiques dans nos zones enclavées, et dans 10 ans nous pourrons exporter de l'électricité solaire au lieu du pétrole brut. D'ailleurs, nos futurs potentiels clients seront les pays africains de fait qu'ils ont une démographie en expansion et que leur coût de l'électricité est extrêmement élevé. Des pays comme l'Iran ou le Chili ont déjà installé plusieurs stations thermodynamiques et «solar trackers» et nous, nous sommes bloqués sur un projet de moins 400 MW installés par SKTM (filiale de Sonelgaz). Il est temps d'inscrire le solaire dans nos priorités absolues en matière d'investissement public et économique. Et comme il est affiché de façon provocatrice dans l'un des coins de Stanford University, «l'écart entre l'énergie fossile et l'énergie solaire est similaire à l'écart entre le smartphone et le fax». L'hydrolien : 500 000 points de marémotrice Il y a d'autres paramètres de l'«économie verte» que nous pouvons concrétiser en Algérie grâce à notre capital naturel : nous avons 1600 km de côte au sens topographique avec près de 700 000 mini-archipels et plus de 500 00 points de passage des courants chauds et froids (IRD, 2014). Ces caractéristiques sont susceptibles de recevoir des hydroliennes à axe horizontal et celles de type «chaîne» pour exploiter de façon optimale la marémotrice. Cet investissement fournira de l'énergie pour nos villes côtières où se concentrent 84% de la population algérienne et 70% du tissu industriel. Le solaire et surtout l'hydrolien sont des sources d'énergies non polluantes, inépuisables et continues. L'un des problèmes que rencontre l'installation des hydroliennes, qu'elles soient à turbine ou à ailes battantes, est la rouille et la corrosion. Fort heureusement, la technologie actuelle trouve des moyens de réduire drastiquement ces problèmes et limiter ainsi la rotation de l'entretien qui est une tâche difficile et très coûteuse. On a maintenant des matériaux hydrophobes et ultra-résistants. Nous devons en profiter pour lancer des investissements dans ce secteur malgré leur coût très élevé mais leur productivité est très performante. L'éolien : des vents continus toute l'année ! Dans le même sillage, je pourrais aussi vous parler de notre potentiel en éoliennes car nous avons l'un des couloirs les plus alimentés en vents continus sur toute l'Afrique (IRD, 2010). C'est le couloir Mostaganem – Adrar. Sans parler des hauteurs de l'Atlas tellien, du Djurdjura, des Babors et des Aurès qui peuvent également accueillir des parcs éoliens à haut rendement. Pour ce faire, nous devons penser à leur conception et à leur importation, et surtout à la logistique pour les transporter vers les lieux d'implantation. Chaque pale d'éolienne fait en moyenne 52 mètres pour 12 tonnes. Nous pouvons mobiliser les équipements de l'aviation militaire (avions, hélicoptères et grands remorqueurs…). Nous ne sommes pas en guerre, il vaut mieux maximiser la rentabilité de ces équipements qui sont pour la plupart du temps des capitaux fixes dormants. De plus, on a bien vu à deux reprises qu'on peut bien les exploiter pour des causes extramilitaires : le transport des supporters en 2010 pour le match d'Oum Dormane et pour la Coupe d'Afrique 2019 en Egypte, pourquoi pas donc dans des projets d'investissement public ? L'exemple le plus parlant à ce sujet est le cas du Danemark, qui n'a pas toutes ces dispositions naturelles et qui pourtant se positionne comme leader de l'énergie éolienne. Il est le plus grand exportateur de ces dispositifs puisque ce pays a pris de l'avance sur cette technologie. Les Danois se sont donnés de la peine de les implanter au milieu de la mer pour profiter de l'énergie qu'ils procurent. Ils ont actuellement 36% d'énergie renouvelable et leur objectif est de créer de l'autonomie énergétique d'ici 2050 et ne plus acheter une goutte de pétrole. Contrairement à l'électricité fossile, ces trois énergies renouvelables (le solaire, l'hydrolien et l'éolien) ne consomment pas ou peu d'eau. Ce paramètre est extrêmement décisif. Les réserves d'eau seront – et elles le sont déjà – plus précieuses que celles du pétrole. Eau douce : Négligence de la plus grande réserve mondiale de l'«Or Bleu» En évoquant l'eau, nous venons de faire la transition sur ce sujet. Il est utile de rappeler que nous enregistrons un déclin des ressources en eau dans le nord algérien en raison de l'évolution démographique et de la surexploitation des nappes phréatiques. Alors que l'OMS qualifie une quantité inférieure à 1600 m3/habitant de «stress hydrique», notre moyenne au nord de l'Algérie est de 490 m3/habitant, celle de l'«urgence absolue». D'après l'ONU (2016), cette situation n'est pas due à l'absence de l'eau en soi mais à la très mauvaise gestion des ressources : utilisation des nappes aquifères pour des projets de BTP, gaspillage de l'eau par les personnes physiques et morales, perte abyssale dans de l'acheminement de l'eau à cause d'un réseau de distribution défaillant (canaux et conduites délabrés), points d'eau de source non protégés et non itinérés, insuffisance de barrages pour optimiser les eaux de pluie, systèmes d'irrigation révolus, très faible investissement en épuration et absence de dispositifs de traitement des eaux usées, etc. Cependant, notre désert, encore une fois, détient la plus grande nappe aquifère du monde appelée «Albien». Elle s'étend sur 600 000 km² avec une capacité de 45 000 m3 avec une capacité de régénération à hauteur de de 1,4 km3, soit l'équivalent de 40% des quantités prélevées (Geophysical Research Letters, 2013). Il y avait même des années où le renouvellement a pu atteindre les 4 km3 (IRD, 2014). Vous imaginez ce que nous pouvons faire en matière d'agriculture saharienne ? Mais nous avons préféré lancer des explorations de gaz de schiste sur cette nappe qui peuvent endommager l'ensemble de cette étendue d'eau souterraine. C'est pourquoi il faut absolument inscrire la protection de ce patrimoine naturel dans la Constitution de transition et même après dans la Constitution finale après l'Assemblée nationale constituante. De plus, comme la géographie de l'Albien s'étend également sur la Tunisie (10%) et la Libye (20%), cette dernière surexploite massivement la zone disponible sur son territoire et ceci depuis 1991 (Observatoire du Sahara et du Sahel). Cette situation est qualifiée en économie de «bien commun naturel à faible excluabilité et à forte rivalité», c'est-à-dire qu'on aura du mal à imposer un rythme d'exploitation aux pays ayant accès à cette nappe. Les autorités doivent trouver une solution à cette problématique en commençant par mesurer les quantités disponibles sur les trois territoires respectifs et instaurer des quotas d'extraction. Eu égard à l'augmentation de la démographie, l'eau rencontre deux autres problèmes majeurs qui sont le changement climatique qui perturbe les régularités des pluies engendrant des sécheresses plus importantes, et l'extension de l'urbanisation non planifiée. C'est pourquoi nous devons indispensablement programmer la gouvernance des ressources hydriques pour notre vie quotidienne et l'avenir de notre économie en : – utilisant des matériaux plus écologiques pour la construction (ex. plus de bois et moins de béton) ; – adaptant les architecteurs des constructions pour récupérer les eaux de pluie (ex. installation des circuits vers les chasses d 'eau) et pour isoler les jets de déchets néfastes (ex. canalisation pour les liquides chimiques à usage domestique) afin de faciliter le traitement des eaux usées ; – mettant en place des «bonus-malus» pour la consommation de l'eau des ménages et des entreprises ; – revoyant les systèmes d'irrigation car l'agriculture absorbe 19% des eaux consommées ; – traitant les eaux usées urbaines pour les exploiter dans l'irrigation (ex. Espagne, Grèce, Australie, Japon) ; – irrigant à l'eau salée (ex. les oliviers en Tunisie, les tomates en Israël,…) ; – dessalement des eaux de mer par osmose inverse et par technologie thermique. «Le goutte à goutte enterré» permet d'apporter l'eau directement aux racines (jusqu'à 30% d'économie). L'«agrivoltaïsme» est un système «une pierre deux coups». Il associe sur une même surface des cultures (haricots, concombres, blés dur…) et des panneaux solaires maintenus en hauteur à 4 mètres du sol par une structure porteuse en bois ouverte, permettant la culture mécanisée. On note une économie de 25 à 30% d'eau pour l'arrosage des plantes, car les panneaux solaires maintiennent les plantes une partie de la journée à l'ombre (réduction de l'évaporation par l'ensoleillement alterné) (cf. INRA, 2017). – Installation des injecteurs régulateur de PH pour plus de précision dans l'irrigation (jusqu'à 15% d'économie). – Avoir recours à des logiciels et des drones pour pouvoir fournir l'irrigation dans les moments opportuns (jusqu'à 13% d'économie). Agriculture : Un PIB parallèle en sommeil Si je vous parle de l'eau et puis de l'agriculture, c'est parce que ce sont deux domaines indissociables. Nous possédons 8,5 millions d'hectares de terres arables à exploiter immédiatement et nous exploitons à peine 5 millions, pour une production de 23 milliards dollars/an (10% du PIB). En réalité, notre potentiel cultivable est largement au-dessus ; il est estimé à 30 millions d'hectares mais requiert plus de travail pour augmenter sa productivité (Union nationale des paysans algériens, 2017). Il y a une marginalisation scandaleuse de l'agriculture et de l'élevage en Algérie. La méconnaissance de la valeur des terres rares s'illustrait jadis dans l'exportation de la «terre noire», en numidien Sétifis, d'où le nom de la ville de Sétif. On en a vendu des bateaux aux Japonais et aux Sud-Coréens durant les années 70'-80'. Ces sud-Asiatiques n'achetaient pas cette terre pour la décoration, ils connaissaient parfaitement son potentiel agronomique. L'agriculture algérienne peut être extrêmement diversifiée. Elle a la capacité de fournir plusieurs variétés de produits agricoles (céréales, cultures maraîchères, oléiculture, agrumes, rosacées fruitières, fruits à noyau et rustiques, et phoeniciculteur) et des productions animales (bovines, ovines et caprines, laitière, aviculture) (cf. S. Benbekhti). En vrai, si nous procédons à une exploitation à hauteur de 20 millions d'hectares, nous ne générerons pas moins de 100 milliards dollars/an, soit près de 64% de notre PIB et nous créerons près de 2 millions d'emplois. Ceci nous procurera non seulement une autosuffisance et nous épargnera les 11 milliards dollars/an d'importation en produits agricoles (20% des biens importés depuis 2015). Hormis la valeur réelle du potentiel exportable, l'addition des 100 milliards de dollars de production agricole et animalière, et les 11 milliards de dollars d'économie sur les importations, nous obtiendrons presque le PIB nominal du Maroc rien qu'avec l'agriculture. Nanotechnologie et numérique La théorie anglo-saxonne en économie contemporaine Advantage of Backwardess devrait être un référentiel pour l'Algérie. Elle consiste à présenter les «avantages» des pays qui sont en retard, autrement dit sous-développés. Son principe est simple : les pays en retard doivent observer les expériences des pays développés pour en tirer des enseignements et entreprendre ainsi des «raccourcis» en matière de politiques économiques. Exemple : le bilan de l'agriculture intensive dans les pays développés est présenté comme catastrophique ; à la fois pour la bio-capacité (cycle de régénération organique des sols), pour la qualité de produits (faible valeur nutritionnelle, perte des vrais goûts…) et pour le marché intérieur car il détruit les petites coopératives agricoles qui se font laminer par les gros industriels. Il est donc important de développer directement une agriculture biologique locale avec une irrigation rationnelle (cf. point 4). Cette théorie pragmatique était la source de développement des «4 dragons», en l'occurrence la Corée du Sud qui avait compris aussitôt que la lutte économique était une question de savoir. C'est le premier pays au monde à avoir mis en place un ministère de l'Economie de la connaissance à défaut d'avoir celui de l'Economie des matières premières car il n'en possède pas (cf. Eric Bidet). Les Sud-Coréens avaient donc misé sur l'intelligence artificielle, la robotique, biomimétisme et le Big Data dont l'unité de mesure est de 1021 en misant sur des armoires de stockage de données – comme c'est le cas en Chine également. La technologie et le numérique ont propulsé la Corée du Sud dans le Top10 des grandes économies mondiales alors que sa géographie est 23 fois inférieure à celle de l'Algérie. Notre fort potentiel en solaire devrait nous encourager davantage à nous lancer dans la technologie de pointe. Avoir de l'énergie renouvelable permettra de créer une technologie propre à utiliser dans tous les secteurs d'activité (agriculture, industrie, santé, éducation, transport, travaux publics…). Et dans une vision de long terme, excepté l'urgence de la refondation de l'école (de la maternelle au supérieur), nous devons penser à créer un «fonds souverain» en actifs pour les générations à venir (cf. M. Benmouhoud). Son principe n'est pas relatif aux fonds de pension publics ni aux réserves de liquidité. C'est plutôt un fonds d'investissement détenu par l'Etat et financé en grande partie par des excédents de l'activité économique du pays. Son objectif est de faire fructifier des surplus de revenus pour en recueillir les bénéfices dans un futur plus ou moins lointain. L'exemple le plus parlant à ce sujet est celui de la Norvège, Government Pension Fund-Global (2006) qui succède au Petroleum Fund (1990) créé pour gérer les excédents de réserves de change provenant de l'exportation du pétrole. Il a atteint une épargne de 800 milliards de dollars et contrôle 1,3% de la capitalisation boursière mondiale. Une façon de garantir un avenir pour le pays en épargnant des taux des exportations d'hydrocarbures dont ils ont très tôt pris conscience de l'épuisement des réserves. Nous aurions pu le faire en 2008-2009 avec le pic positif pétrolier, mais nous avons préféré miser sur des placements en réserve de change pour pallier nos importations les années à venir. Un signe d'une fébrilité politique et d'un manque de persuasion et de perspective économique. En espérant que cela nous servira de leçon et que le prochain gouvernement pensera à mettre en place ce dispositif avant la fin des ressources fossiles en Algérie. En définitive, toute cette présentation n'aura aucun effet et aucune concrétisation sans une vraie volonté politique, une réelle démocratie participative fondée sur un système délibératif, une décentralisation et une autonomie dans la gestion régionale, une justice transparente et un rapport de force face aux lobbies internationaux qui exercent des pressions sur les gouvernements pour adopter ou rejeter tel ou tel projet. Nous devons prendre conscience de l'ensemble de ces éléments et former les citoyens sur ces sujets à travers des cours (ex. vidéos) de vulgarisation scientifique.