L'APC de Blida est depuis quelques jours en ébullition. Ses activités sont pratiquement paralysées et le conseil de l'assemblée s'affaire à réunir coûte que coûte le quorum nécessaire au retrait de confiance au président de l'exécutif pour « mauvaise gestion ». Au sein même de cette assemblée, tous les élus savent que ce motif n'est en fait qu'« un prétexte » pour dégommer ce maire qui a osé affronter le wali de Blida en refusant d'honorer des achats « surfacturés » et de déroger ainsi à la règle générale. En effet, vers le mois d'octobre 2004, la wilaya a décidé dans le cadre de la solidarité de dégager un budget spécial de 230 millions de dinars pour l'acquisition de vêtements et chaussures destinés aux enfants des familles démunies à l'occasion de la fête de l'Aïd. Cinq communes ont été retenues, à savoir Blida, Oued El Alleug, Ouled Yaïch, Bouarfa et Hammam Melouane. Des achats ont été faits chez une dizaine de fournisseurs, tous des femmes ayant des ateliers de confection, dont certaines n'ont même pas d'adresse. Une fois la marchandise distribuée, les APC ont reçu les factures, arrêtées pour la plupart à quelques centimes près de la somme de 600 000 DA. Les prix sont effarants. Des ensembles fillettes (12 à 14 ans) allant de 5500 DA à 8000 DA, des chaussures pour la même catégorie d'âge variant de 2500 DA à 5000 DA. On aurait pu penser que les autorités locales ont voulu privilégier les enfants démunis des douars en leur offrant des chaussures et des ensembles griffés d'excellente qualité. Mais cela n'a pas été du tout le cas. La marchandise était constituée uniquement de produits chinois, les moins chers sur le marché. A l'exception de la commune de Blida, les autres communes se sont contentées d'honorer les factures sans aucune réserve. L'APC de Oued El Alleug, par exemple, a acheté pour 30 millions de dinars, soit l'équivalent de son budget annuel, tout comme Hammam Melouane, Ouled Yaïch et Bouarfa, des communes très pauvres qui ont mis 30 millions de dinars chacune pour acheter des produits à 10 fois leur prix. S'étant rendu compte de cette arnaque, le maire de Blida a rejeté les factures. En dépit des mises en garde du wali. « Au début, j'ai rejeté les factures parce qu'elles ne contenaient pas la TVA. Elles me sont revenues au moment où mon directeur des finances avait été relevé. Il y avait une situation de vacance à ce poste. Je ne sais pas comment ma signature a été apposée sur les bons de commande. Mais une fois les factures définitives reçues, j'ai refusé de signer parce que j'ai constaté que les prix étaient multipliés par au moins dix. J'ai relevé aussi des anomalies sur certaines factures mais aussi cette fragmentation des montants qui laisse croire que les fournisseurs pourraient être des prête-noms. Pour toutes ces raisons, j'ai dit : je ne signe pas », a déclaré Ali Mellak, président de l'APC de Blida. En fait, les soupçons du maire sont partagés par un bon nombre de contribuables de la ville et même certains de ses notables qui voient derrière ces factures un richissime homme d'affaires proche du wali, connu sur la place de Blida pour son implication dans une affaire d'achat surfacturé de 243 climatiseurs de marque Haier destinés à un hôpital et pour laquelle il a été mis en détention pendant trois mois. Des opérations comme celle-ci ne manquent pas à Blida. Il y a une année, l'agence foncière d'El Afroun, sur injonction du wali, a acheté un terrain agricole de 2 ha, situé à la Chiffa, au prix de 132 millions de dinars, alors que le propriétaire (un privé) avait du mal à lui trouver un acquéreur pour la somme de 9 millions de dinars. Quelque temps plus tard, le responsable de l'agence communale a été promu au poste de directeur général de l'agence à la wilaya. Cette affaire a fait couler beaucoup de salive et intéresse actuellement les services du ministère de l'Intérieur. N'ayant pas pu forcer le maire à honorer les factures, le wali a décidé, par le biais du DAL, de geler le budget communal et de ce fait paralyser une bonne partie des activités de la ville et ce depuis trois mois. Un « chantage » qui a buté sur l'intransigeance de M. Mellak qui s'est retrouvé au centre d'un conflit avec quelques élus, notamment ceux du RND et du FLN, sa propre formation politique. Une réunion extraordinaire du conseil communal a eu lieu dimanche dernier au siège de la daïra, en présence du chef de daïra, avec comme objet : « Retrait de confiance au président de l'APC pour mauvaise gestion. » Etant donné l'absence de quorum du fait du refus de certains élus à signer la motion, l'assemblée a levé la séance sans que le maire soit déchu de son poste. Une autre réunion a été programmée le lendemain, le temps de faire pression sur les récalcitrants, voire menacer certains de leur faire perdre leur poste de travail. Adossés au mur, sirotant un café, les élus ne désespèrent pas Lundi dernier, lorsque nous nous sommes présenté à l'APC, les élus, un peu perturbés, adossés au mur de la mairie, certains tenant dans la main un verre de café, ont fait mine de maîtriser la situation en déclarant être « sur le point de sceller le sort du maire au plus vite », sans pour autant expliquer comment. Devant nos nombreuses tentatives de rencontrer le wali, pour avoir la version de l'administration, le responsable a refusé de nous recevoir. Devant notre insistance (en faisant le pied de grue devant le siège de la wilaya), il a fini par déléguer le DAL, M. Boudouh. Ce dernier a commencé par tirer un gros dossier avec des correspondances et des rapports, concernant le président de l'APC de Blida. « C'est un problème qui dure depuis plusieurs mois. Il y a effectivement mauvaise gestion et lui-même a reconnu cet état de fait dans un procès-verbal de réunion tenue au mois de novembre 2004. Il s'est engagé à améliorer la situation mais elle ne fait que se dégrader », a-t-il déclaré. Le responsable a expliqué qu'il n'y a jamais eu de gel du budget communal. « Nous avons émis des réserves sur les dépenses dans certains chapitres pour rationaliser les dépenses. Nous lui avons donc demandé de revoir le budget, mais à ce jour il n'a rien fait », a-t-il expliqué. Pour ce qui est de la paralysie des activités de la commune, M. Boudouh a relevé que « la réglementation permet au maire de reconduire les dépenses de l'année précédente au prorata d'un douzième par mois ». Au sujet des factures que le président de l'APC a rejetées, le responsable a reconnu qu'il y a une surfacturation mais, a-t-il tenu à préciser, le maire n'avait pas à signer les bons de commande. « Nous sommes devant des engagements administratifs qu'il faudra honorer. Il doit assumer cette situation. » Pour lui, il fallait tout simplement refuser les bons de commande. « Aujourd'hui, il faut honorer les factures quel que soit le montant. Il y va de l'engagement de l'administration. » Il a toutefois indiqué que l'opération a été décidée par la wilaya du fait de l'excédent budgétaire qu'elle a enregistré durant l'année 2004. « Le wali a donc dégagé des enveloppes financières, soit dans le cadre de la solidarité, soit dans le cadre de la prise en charge des réseaux d'AEP, des équipements, de l'assainissement... Les cinq communes, à savoir Blida, Bouarfa, Oued El Alleug, Ouled Yaïch et Hammam Melouane, ont bénéficié de budgets supplémentaires pour l'achat dans le cadre de la solidarité de vêtements et chaussures pour l'Aïd. Toutes les communes ont honoré leurs factures sauf Blida. Il fallait donc réagir. » A propos des fournisseurs, M. Boudouh a indiqué ne connaître aucun d'entre eux et le fait qu'ils puissent être des prête-noms, il a répondu : « Je me réfère à ce qu'il y a dans le dossier. C'est au président de l'APC de veiller au respect de la réglementation. » Des propos qui laissent perplexe, d'autant que cette affaire a fait l'objet d'une mission de contrôle dépêchée par le ministère de l'Intérieur. Celle-ci a entendu toutes les parties concernées avant d'achever son travail et de rentrer à Alger. Néanmoins, à ce jour, rien n'a filtré sur les conclusions, très attendues ici à Blida où les citoyens parlent de plus en plus des « agissements » de certains responsables d'une administration qui souffre terriblement de ce mal appelé corruption.