Pour la Direction générale des forêts (DGF), les origines des feux sont l'œuvre de l'homme, par imprudence, négligence, ou volontairement. Des raisons commerciales ? Il dit que cela n'est pas évident. – L'Algérie est formée d'une diversité de paysages qui, à des degrés multiples, sont affectés par un processus d'aridité et de stress hydrique significatifs, que le changement climatique et les pressions anthropiques exacerbent fortement… Essentiellement concentré au nord du pays, le patrimoine forestier national reste cependant vulnérable et particulièrement exposé à des phénomènes porteurs de lourdes menaces : réchauffement climatique aux effets destructeurs, incendies et maladies parfois dévastateurs, pressions anthropiques synonymes de déforestation et de perte irrémédiable de la biodiversité. Notre pays, comme la plupart de ceux de la région méditerranéenne, connaîtront, selon les pronostics les plus probables des spécialistes, une tendance générale au prolongement des saisons à risque et à l'augmentation des superficies exposées aux incendies et aux maladies. Il faut savoir aussi que les incendies de forêts sont intimement liés aux conditions climatiques qui sévissent dans notre pays, notamment pendant la saison estivale, où les températures sont élevées, ce qui assèche d'une manière importante la végétation, et c'est justement durant les journées de grandes chaleurs (journées de sirocco particulièrement) où la température dépasse les 40° que l'on enregistre le plus grand nombre d'incendies, qui sont favorisés parfois par des vents violents. Durant cette dernière décennie, on a enregistré beaucoup de journées où des pics de températures sont signalés (6 à 7 pics par année) qui ont été à l'origine de grands incendies. Cette fréquence de pics est conditionnée, selon certains chercheurs, par les conséquences des changements climatiques, qui deviennent de plus en plus perceptibles. L'Algérie présente un risque d'incendies relativement élevé, d'autant que le nombre de départs de feux semble en augmentation depuis ces sept dernières années. Il faut savoir que l'analyse historique effectuée sur la période 1985-2018 révèle que l'Algérie est, depuis longtemps, très affectée par les incendies de forêts, au cours de cette période, 66 673 feux ont, en effet, parcouru une surface de 1 173 815 ha. Avec des années catastrophiques très rapprochées et relativement récentes : 1993, 1994, 2000, 2007, 2012 et 2017. Chaque année, en moyenne 2400 départs de feux détruisent plus de 30 000 ha de formations forestières, soit près de 1% de la superficie boisée. Pour la saison 2019, et à un mois avant la fin de la campagne de lutte contre les feux de forêts, nous comptabilisons près de 2058 départs de feux, ayant parcouru une superficie de 20 469 ha, dont 5872 ha de forêts, soit 29%. – Lors des incendies ayant frappé les massifs forestiers de différentes régions du pays, des enquêtes judiciaires ont été ouvertes. Où en sont les résultats de ces enquêtes ? Il faut savoir que les incendies ne sont pas toutes volontaires, beaucoup des causes de départs de feux sont d'ordre accidentel, ou dues à la négligence, à l'image de l'activité agricole (moissons-battage, les incinérations de chaumes et des rémanents issus de la taille et du désherbage), l'activité pastorale (écobuage pratiqué par les éleveurs de bovins pour renouveler la végétation les parcours de pâturage), l'activité récréative (barbecue et feux de camps), particulièrement dans les zones du littoral. Quant aux feux volontaires, ils sont considérés, conformément à l'article 396 du code pénal, comme un crime. Il faut savoir que les enquêtes sur les incendies de forêts sont du ressort et de la compétence des services de la Gendarmerie nationale, soit à la suite d'une plainte contre X, déposée par les services de l'administration locale des forêts, soit sur demande des autorités locales, selon les dégâts occasionnés par l'incendie. A l'exception du flagrant délit, les investigations en matière de recherche des auteurs des incendies volontaires sont très complexes et demandent beaucoup de temps, compte tenu de l'étendue et de la complexité de la scène d'enquête. A chaque aboutissement des enquêtes, les services de la Gendarmerie nationale nous font part au fur et à mesure des résultats. – Certains acteurs sur le terrain évoquent des causes volontaires pour motif commercial, notamment au niveau des forêts du littoral (Tipasa, Mostaganem, Oran et Chréa). Que représente ce phénomène par rapport à l'ensemble des incendies enregistrés, du moins pour ces cinq dernières années ? Ce qui est sûr, c'est que tous les départs de feux ou presque sont d'origine anthropique, que ce soit par imprudence, négligence, ou volontairement. Dire d'avance que les incendies de forêts sont provoqués ces cinq dernières années pour des raisons commerciales n'est pas évident, il faut d'abord rassembler les preuves avant toute incrimination. Nous avons surtout entendu dire cet été que les incendies sont provoqués pour la commercialisation du charbon, c'est une aberration, car la carbonisation est une technique bien spécifique, elle se fait généralement dans une fosse qui doit être recouverte de matière végétale (paille, herbes, branchages) surmontée d'une couche de terre, en laissant des petites ouvertures (sorte de cheminée) et non pas à l'air libre, elle se fait avec du bois sec ou du bois vif asséché et non pas incendié, car la transformation du bois en charbon nécessite une certaine mise en eau du ligneux. Conformément aux textes réglementaires régissant le domaine forestier national, la forêt incendiée doit être reconstituée, elle ne doit en aucun cas changer de vocation, l'empiètement du domaine forestier national pour la construction et l'exploitation quelle que soit sa nature est une infraction à la loi. La protection du patrimoine forestier national ne devrait pas être vu comme étant uniquement l'affaire de l'Etat, il s'agit aussi d'un bien public qui appartient à tous les Algériens et chaque citoyen est censé contribuer à sa préservation et sa pérennité. – Une convention a été signée avec l'ambassade du Japon et l'organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) dans le but de renforcer le dispositif de gestion des feux de forêts. Pourriez-vous revenir sur cette nouvelle expérience de la protection des forêts ? Les défis et les nouveaux scénarios que vont poser à terme les changements climatiques dans la région justifient logiquement de chercher à renforcer les capacités de la direction générale des forêts (DGF) à gérer les causes et les conséquences des incendies de forêts. Des moyens importants de prévention et de lutte ont déjà été mis en place, mais des difficultés persistent dans certains domaines, à l'image de : l'absence d'une stratégie intersectorielle moderne de gestion des incendies de forêts définissant les orientations prioritaires au niveau national ; la méconnaissance des causes d'incendies qui empêche d'avoir une action ciblée efficace en direction des populations concernées ; l'absence de normes techniques en matière d'équipements de DFCI (Défense des forêts contre les incendies). C'est dans ce contexte qu'une convention a été signée le 9 juin 2019 avec l'ambassade du Japon, en collaboration avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), portant «assistance technique à la gestion des feux de forêts», Le projet en question, qui consacre l'essentiel de son contenu dans une démarche d'atténuation de la problématique des feux de forêts, vise à mettre en place un processus permettant de dégager les voies et moyens afin de réduire sensiblement la pression liée aux incendies de forêts. A ce titre, trois activités sont retenues pour le renforcement des capacités, à savoir : – Former des équipes de formateurs pluridisciplinaires composées de forestiers, de sapeurs-pompiers et de gendarmes, capables de former à leur tour d'autres équipes aptes à mener des investigations sur la recherche des causes de déclaration des feux de forêts. Il est à noter que la première session de formation s'est déroulée du 17 au 20 juin 2019 au niveau de l'Ecole nationale des forêts de Batna, une deuxième session est prévue avant la fin de l'année en cours. – Développer les techniques de retour d'expérience impliquant les principaux acteurs dans la lutte active, afin de mettre en place des normes techniques en matière d'équipements DFCI (défense des forêts contre les incendies) et prendre des mesures adéquates en matière d'actions de prévention. – Réaliser une stratégie nationale et un plan de lutte contre les incendies de forêt, définissant les orientations prioritaires au niveau national et de planifier les actions à entreprendre à moyen terme. La réalisation d'un tel document interservices nécessite un comité de pilotage interservices et interdisciplinaire et l'animation de groupes de travail thématiques. Djedjiga Rahmani – Bioexpress Ali Mahmoudi a été nommé directeur général des forêts en juin 2018. Ingénieur forestier, il est également diplômé d'un magistère en sciences agronomiques de l'université de Montpellier. Il a débuté sa carrière dans les montagnes du Djurdjura, au Parc national, pour réaliser les inventaires de la faune et de la flore et assurer la gestion forestière dans le secteur de Tikjda. Il a par la suite occupé les postes de chef de département et de secrétaire général. Il a été nommé en 1996 au poste de directeur du Parc national du Gouraya, dans la wilaya de Béjaïa. En 2010, M. Mahmoudi s'est vu confier la gestion de la Conservation des forêts dans la même wilaya. Un secteur dont il devient le premier responsable.