L'attaque d'hier contre la flottille de la paix, dont les ressortissants turcs constituent le gros des victimes, risque de sonner la fin d'une alliance stratégique entre Ankara et Tel-Aviv. La Turquie qui faisait exception dans le monde musulman par ses rapports plutôt cordiaux avec Israël va sans doute revoir sa copie. Depuis quelques mois déjà, Ankara a amorcé un recentrage diplomatique en se rapprochant davantage des pays arabes et musulmans dans une sorte de retour aux sources. Et la signature de l'accord sur le nucléaire iranien avec le Brésil aura été la consécration de cette nouvelle doctrine diplomatique de la Turquie sous l'impulsion de l'AKP du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, résolument tournée vers l'Orient arabo-musulman. Ce changement de cap ne plaît évidemment pas en Israël. Et cela se comprend, quand on sait que l'Etat hébreu fait tout pour empêcher que les dirigeants des pays arabes et musulmans qui ne le reconnaissent pas, ne deviennent fréquentables. La tension entre Tel-Aviv et Ankara était déjà dans l'air. Puis vint la guerre contre Ghaza fin 2008, durant laquelle la Turquie est montée aux avant- postes des pays qui ont violemment dénoncé l'agression israélienne. L'ambassadeur de Turquie en Israël a été humilié en public au ministère des Affaires étrangères. Il a fallu que Netanyahu s'en excuse pour clore l'incident. Pas pour longtemps, puisque Erdogan a sonné la charge en avril dernier contre Israël qu'il a qualifié de « principale menace pour la paix » au Proche-Orient. De fait, le fameux accord de coopération militaire signé en 1996 entre les deux pays s'empoussière… A plusieurs reprises, des manœuvres militaires conjointes ont été annulées de manière unilatérale par la Turquie en signe de protestation contre la politique israélienne au Proche-Orient. Mais le coup de grâce à ce mariage de raison aura été l'accord sur le nucléaire iranien signé le 17 mai dernier et qui a été une « imposture », a commenté le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Puis vint l'attaque meurtrière d'hier… Pour l'analyste turc, Sedat Laciner, du centre d'études USAK, le raid israélien « constitue un acte délibéré de vengeance contre la Turquie, pour son attitude vis-à-vis de Ghaza et de l'Iran ». Plus généralement, Israël voit d'un très mauvais œil le réchauffement spectaculaire des relations entre la Turquie et les pays arabes ou musulmans.Recep Tayyip Erdogan devient de fait l'ennemi intime d'Israël dans la région. Le dirigeant turc, tout islamiste qu'il est, incarne cette image d'un Atatürk des temps modernes. Mais pas dans le sens voulu par les Occidentaux et l'allié Israël. La preuve ? Sarkozy refuse obstinément que la Turquie obtienne son ticket d'entrée au sein de l'Union européenne dont elle fait pourtant géographiquement partie. Eh oui, la géopolitique a ses raisons que la géographie n'a pas ! Pour certains pays arabes, également, le retour de la Turquie d'Erdogan à de meilleurs sentiments n'est pas non plus une bonne nouvelle. Mais pour la rue arabe et musulmane, ça fait du bien là où ça fait mal…