«Israël vs Turquie», c'est l'affiche qui anime désormais la carte géopolitique du Proche-Orient. Naguère, unique puissance pouvant se permettre de tuer des innocents au Proche-Orient sans aucune inquiétude, Israël se retrouve aujourd'hui confronté au réveil de la nation turque qui défend bec et ongles la cause palestinienne. Après l'attaque barbare, un énième crime contre l'humanité, perpétré par des militaires israéliens contre des civils, militants pacifistes, de la flottille Liberté, Israël a perdu, une fois encore, la bataille de la communication. Avec cette autre agression sauvage, commise dans les eaux territoriales internationales contre un navire turc, le Mavi Marmara, transportant des aides humanitaires pour les enfants et les femmes de Ghaza qui se meurent sous le blocus sioniste, le monde entier a ouvert ses yeux et ne pourra, d'ailleurs, plus jamais les fermer pour ne pas dénoncer ces crimes abominables. La Turquie, ce géant musulman à la Constitution laïque, n'est certainement pas aussi armé qu'Israël, fort de son soutien occidental. Mais la Turquie d'Erdogan dont l'influence régionale au Proche-Orient est grandissante a réussi, tout de même, à ébranler Israël dans ses certitudes. Celles qui lui font croire que personne ne pourra un jour lui tenir la dragée haute. Eh bien, ce dogme israélien n'est plus d'actualité. Preuve en est, la Turquie a réussi cette fois-ci à mettre l'Etat sioniste dans une situation des plus inextricables. Et pour cause, toute la communauté internationale s'est mobilisée depuis hier pour dénoncer ce crime. Israël sali, son nom n'est dès lors scandé que pour l'associer au déshonneur et à la barbarie. C'est là déjà une victoire de la flottille turque qui a réussi à remettre sous les feux des projecteurs la cause palestinienne. En effet, avec cette initiative de la flottille Liberté pour rompre le blocus de Ghaza, les Turcs ont repris à leur compte le combat pour la liberté de la Palestine, une cause abandonnée depuis des années par un monde arabe moribond et entièrement soumis au diktat américain. Les Turcs ont ainsi capitalisé toute la sympathie de la rue arabe qui voue, notamment depuis la célèbre joute verbale d'Erdogan avec Shimon Perez au forum de Davos, à présent un profond respect au pays d'Atatürk. Mais au-delà de ces manœuvres politiciennes, la Turquie s'est distinguée depuis plusieurs mois par un forcing diplomatique des plus remarquables pour débloquer la crise au Proche-Orient. Médiateur dans les pourparlers secrets israélo-syriens, Ankara a pesé de tout son poids pour qu'aucune concession ne soit faite à l'establishment sioniste si ce dernier ne se retire pas du Golan. Par ailleurs, liée à Israël par de nombreux partenariats stratégiques conclus par le passé, la Turquie a décidé récemment de changer de politique à l'égard de ce pays colonisateur qui a tué des milliers de Palestiniens dans sa dernière offensive contre Ghaza. Aujourd'hui, une réelle tension règne entre les deux pays. Certains même n'hésitent pas à parler d'une atmosphère de guerre. En tout cas, la Turquie n'st pas restée muette après la mort de 19 victimes innocentes, la plupart sont de nationalité turque, sous les balles israéliennes à bord de l'un des navires de la flottille Liberté. Quelques heures seulement après cette lâche attaque, Ankara a décidé de rappeler son ambassadeur en Israël, et demandé une réunion d'urgence de l'ONU. «Notre ambassadeur en Israël a été rappelé à Ankara», a déclaré hier à ce propos le vice-Premier ministre turc, Bulent Arinc, qui a annoncé aussi que les préparatifs pour trois manœuvres militaires conjointes avec Israël avaient été annulés. D'autre part, cette opération meurtrière «peut entraîner des conséquences irréparables sur nos relations bilatérales», avait averti plus tôt le ministère des Affaires étrangères, où l'ambassadeur israélien, Gabby Levy, avait été convoqué pour un entretien d'une vingtaine de minutes. Il est à souligner également que Bulent Arinc a tenu dans la matinée une réunion d'urgence avec de hauts responsables, dont le ministre de l'Intérieur, le chef de la marine et le chef des opérations militaires. Même le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a écourté sa visite au Chili pour rentrer au pays. Quant à la rue turque, elle bouillonne de colère. Plus de 10 000 manifestants se sont rassemblés au cours de la journée devant l'ambassade israélienne pour crier «Mort à Israël !». Rappelons enfin que les relations entre la Turquie et Israël, marquées par la signature en 1996 d'un accord de coopération militaire, n'ont cessé de se dégrader depuis l'opération israélienne à Ghaza fin 2008, et les vigoureuses déclarations anti-israéliennes de M. Erdogan. En janvier, l'ambassadeur de Turquie en Israël a été humilié en public au ministère des Affaires étrangères et, en avril, Erdogan a vivement attaqué Israël, qualifié de «principale menace pour la paix» au Proche-Orient. La tension entre les deux pays s'est accentuée davantage lorsque la Turquie et le Brésil ont signé un accord sur le nucléaire avec l'Iran, pays soupçonné par les Occidentaux de vouloir se doter de l'arme nucléaire. Cet accord signé le 17 mai a été qualifié d'«imposture» par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Plus généralement, Israël voit d'un très mauvais œil le réchauffement spectaculaire des relations entre la Turquie et les pays arabes ou musulmans, Iran, Irak, pays du Golfe et surtout Syrie. C'est dire si le match Turquie-Israël ne vient que de commencer… A. S.