Coincée entre les toutes dernières nouvelles du « front » en provenance de Nuremberg où les Verts fourbissent leurs armes, l'annonce de la formation d'un « gouvernement provisoire kabyle » à l'initiative de Ferhat Mehenni, le président du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) est passée pratiquement inaperçue du grand public. Et pour cause, plongée dans une torpeur due à une arrivée brutale de l'été, la rue kabyle, du moins jusqu'à hier après-midi, n'avait pas encore réagi à cette information qui circulait sur la Toile comme une traînée de poudre suscitant au passage une avalanche de réactions enflammées entre supporters passionnés et détracteurs acharnés. Loin de l'agitation virtuelle d'une blogosphère à l'affût du moindre scoop, la plupart de ceux que nous avons interrogés semblaient tomber des nues à l'annonce d'un GPK en exil à Paris. L'homme de la rue, comme à son habitude, est plus attentif à la circulation automobile qu'à celle des idées et des informations. La preuve, les traditionnelles discussions byzantines autour d'un café bien serré ou d'une eau fruitée persistent à ne prendre pour thème que les futurs schémas tactiques de Saâdane ou le potentiel technique de ses poulains. Toutefois, dans les milieux des activistes qui font et défont les mouvements politiques ou sociaux de la Kabylie, l'information circulait depuis déjà un bon bout de temps. A ce sujet, l'un des militants autonomistes que nous avons interrogés a eu des propos peu amènes envers l'initiative de Ferhat, évoquant une « décision personnelle choquante car prise à la légère, sans consultation des militants et des cadres qui composent le mouvement ». Ce cadre, bien connu dans les milieux de la mouvance berbère et qui a tenu à garder l'anonymat, estime qu'il n'y a pas eu de véritable réflexion autour de ce projet de gouvernement provisoire composé pour sa majorité d'illustres inconnus. « Il n'a consulté personne pour faire son gouvernement », dira-t-il à propos du leader du MAK.0 Partition en solo En fait, dans les milieux autonomistes qui ont fini par prendre leurs distances avec le vieux maquisard de la chanson kabyle, on reproche souvent à Ferhat de n'en faire qu'à sa tête. Une rencontre informelle regroupant des militants et des sympathisants autonomistes a eu dernièrement lieu quelque part en Kabylie. Elle devait déboucher sur une déclaration publique dénonçant un GPK jugé immature et irréfléchi. Les initiateurs de la rencontre ont préféré, finalement, s'abstenir de toute prise de position publique pour ne pas en rajouter une louche sur un sujet kabyle déjà stigmatisé par la récente sortie du livre de Saïd Sadi sur le colonel Amirouche. Dans le contexte actuel, beaucoup de militants chevronnés doutent du bien-fondé de cette initiative. Tout le monde ne voit pas pour autant la création du GPK d'un mauvais œil. Pour cet autre militant que nous avons joint par téléphone et qui a pourtant quitté le bateau du MAK depuis deux ans, l'annonce du GPK est une « excellente chose qui aurait due se faire il y a longtemps pour bousculer un peu les choses ». En fait, depuis quelques années, les cercles de réflexion autour de l'autonomie se font plus nombreux en dehors qu'en dedans du cadre historique du MAK. Pour notre militant en rupture de ban, des centaines de militants ont divorcé avec le mouvement mais pas avec l'idée de l'autonomie de la Kabylie. « En fait, le MAK est devenu une école de formation de l'autonomie », dit-il. Cette saignée de militants qui rend exsangue le MAK serait due à la suspicion maladive de son leader toujours prompt à coller l'anathème d'appartenance aux « services » à ses militants. Pour compenser cette hémorragie qui le vide de son éminence grise, le MAK s'appuie désormais de plus en plus sur les étudiants. Les universités situées en région kabylophone connaissent en effet les seules vraies structures organisées du MAK. Il va de soi que pour l'opinion publique, c'est Ferhat Mehenni qui personnifie, en bien ou en mal, l'idée de l'autonomie de la Kabylie. C'est précisément ce que lui reprochent ses détracteurs tout autant qu'une propension à jouer en solo une partition qui ne doit s'écrire qu'en groupe puisqu'elle concerne le devenir de toute une région. C'est probablement pour ces raisons que l'autonomie en est aujourd'hui à se chercher une voie et une voix en dehors de celles de Ferhat.