La dislocation de Nidaa Tounes en petits partis n'a servi que partiellement les islamistes d'Ennahdha. Qalb Tounes, le parti de Nabil Karoui, risque de gagner les législatives. Dur pour Rached Ghannouchi, tête de liste sur Tunis 1 et postulant à la présidence de l'Assemblée. Le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a attendu les troisièmes élections libres de la IIe République tunisienne pour lâcher son statut de «parrain spirituel», au-dessus de la mêlée, au profit d'un élu «humain», aspirant à occuper la présidence de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), la plus haute autorité législative, selon la Constitution. Toutefois, la concurrence est rude avec Qalb Tounes, le parti de Nabil Karoui, le candidat au 2e tour de la présidentielle, arrêté pour blanchiment d'argent. En voyant l'effritement de Nidaa Tounes, depuis 2016, les dirigeants d'Ennahdha se frottaient déjà les mains et se promettaient de reprendre, en 2019, le contrôle sur l'ARP et le gouvernement, les deux piliers du régime en Tunisie, plutôt parlementaire. Les islamistes ne s'attendaient pas à subir, eux aussi, la sanction des urnes. Ils croyaient préserver un contingent de fidèles, suffisant pour rester en tête, comme ce fut le cas lors des municipales de mai 2018. Mais surgissant des profondeurs de la Tunisie, qui n'a pas vu se réaliser les objectifs de sa révolution, la sanction électorale a laminé les chances de l'islamiste Abdelfattah Mourou, éliminé lors du 1er tour de la présidentielle du 15 septembre dernier. Mourou n'a réuni que 12% des suffrages. Les législatives de demain s'annoncent tout aussi dures pour les islamistes. Les sondages les donnent derrière Qalb Tounes. Il est vrai que deux autres formations conservatrices, la Coordination de la dignité, composée des mécontents d'Ennahdha, et l'Union populaire républicaine (UPR) du Dr Mraihi, ont soutiré une partie de l'électorat d'Ennahdha. Concurrence Comme la Constitution tunisienne de 2014 donne au 1er parti, sorti des urnes, la latitude de désigner le chef du gouvernement, Qalb Tounes a déjà annoncé que s'il remporte les élections législatives, il désignera Fadhel Abdelkafi, un expert financier du secteur privé, promu en 2015/16 «super ministre économique». Qalb Tounes a été formé au printemps 2019 par Nabil Karoui. Il puise sa force dans la chaîne Nessma TV et les activités caritatives de l'association Khalil Tounes, passées en direct. La chaîne Nessma passe son temps à montrer les difficultés des citoyens, la faiblesse de l'action gouvernementale et l'élan de charité, créé autour de Nabil Karoui. «C'est anti-déontologique, cela enfreint les lignes rouges de la loi électorale. Mais, la faiblesse de l'instance des élections (ISIE) et de l'autorité de l'audiovisuel (Haica) ne leur permet pas de sanctionner», regrette Sami Ben Slama, ancien membre de l'ISIE de 2011. Qalb Tounes est un mélange de personnalités de Nidaa Tounes, comme Soufiane Toubal, le président du bloc électoral, Ridha Charfeddine, le député président de l'Etoile du Sahel, d'hommes d'affaires et de lobbyistes, comme Taoufik Ben Brik, l'ancien opposant à Ben Ali. Le parti de Karoui se dirige vers la victoire dans les législatives. Dispersion L'émiettement caractérise les prochaines législatives, à l'image du scrutin du 15 septembre dernier. Les deux premiers partis n'auraient que des blocs inférieurs à 50 sièges, sur les 217 de l'ARP. Ensemble, ils ne réunissent pas les 109 voix requises pour la majorité. Que dire lorsqu'ils se disent ennemis jurés. En 2014, Nidaa Tounes a obtenu 86 sièges et Ennahdha 69, soit 155 sièges, plus que les deux tiers. Nidaa pouvait réunir 23 voix et obtenir la majorité. Mais le défunt président Beji a préféré la stabilité. Le prochain scrutin annonce une équation plus complexe, avec des éléments manquant de flexibilité, à l'image des trois partis qui viennent derrière les deux premiers attendus. Ainsi, le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi est annoncé 3e avec 16 à 18 sièges. Ce parti se réclame dans la continuité du régime de Ben Ali. Il a déclaré son opposition radicale à Ennahdha et l'islam politique qu'il accuse d'être à l'origine de la ruine du pays. Abir ne s'est pas exprimé sur une éventuelle alliance avec Qalb Tounes. Dans le sillage du PDL, il y a le parti Tayar (Courant démocrate) de Mohamed Abbou, crédité, lui aussi, de 16 à 18 sièges. Tayar est foncièrement anticorruption. Le parti a porté plainte, avant-hier, contre une personne ayant signé un contrat de lobbying d'un million de dollars, en faveur de Nabil Karoui. Tayar ne s'allierait pas avec Qalb Tounes. Il pourrait, par contre, s'allier avec Ennahdha. La mouvance Coalition pour la dignité est donnée dans ce paquet avec 15 à 17 sièges. Cette coalition de mécontents d'Ennahdha pourrait bien sûr s'allier à Ennahdha pour former le gouvernement si l'occasion se présente. Les partis modernistes, possibles alliés de Qalb Tounes, viennent après. Il y a les listes Aich Tounsi d'Olfa Terras (10 à 11 sièges), Tahya Tounes (9 à 10 sièges), Nidaa Tounes (4 à 5 sièges) et Al Badil Ettounsi (3 à 4 sièges). Il y aurait également une quarantaine de listes indépendantes ou d'alliances de petits partis. Pareille mosaïque rendrait difficile de réunir une majorité de 109 sièges, voire de 140 ou 150 sièges, afin de compléter les tâches constitutionnelles, nécessitant les deux tiers. Ennahdha et Qalb Tounes seraient appelés à s'entendre. Mais les Tunisiens passent d'abord aux urnes. Les politiques décideront après.