Incarné depuis 2012 par Nidaa Tounes, parti progressiste d'inspiration bourguibiste, et Ennahdha, parti islamiste proche de la confrérie des Frères musulmans, le paysage politique en Tunisie a été ébranlé à la faveur d'un scrutin qui n'a pas fini de surprendre. Le second tour de la présidentielle en Tunisie opposera l'universitaire indépendant Kaïs Saïed et l'homme d'affaires actuellement en prison Nabil Karoui, a annoncé l'Instance de surveillance indépendante des élections (Isie), lors d'un point de presse. Selon des résultats officiels, M. Saïed a obtenu 18,4% des voix et M. Karoui 15,58%, a déclaré le président de l'Isie Nabil Baffoun, lors d'une conférence de presse. Le taux de participation final s'est situé à 49%, a-t-il ajouté. Le candidat du parti d'inspiration islamiste Ennahdha, Abdelfattah Mourou, est arrivé en 3e position avec 12,88%. L'élection présidentielle anticipée en Tunisie, dont les candidats Kaïs Saïed et Nabil Karoui en sont sortis grands vainqueurs, préfigure d'ores et déjà un chamboulement profond de la cartographie politique dans un pays qui cherche encore sa propre voie démocratique. Kaïs Saïed est un constitutionnaliste de 61 ans, qui n'a ni parti ni structure électorale. Il a fait campagne uniquement en faisant du porte à porte et en prônant une démocratie décentralisée et participative. Il a fait le plein de voix chez les jeunes diplômés au chômage, selon les analystes. Nabil Karoui, bien qu'issu de l'establishment tunisien, se présente lui aussi comme un candidat "anti-système". Fondateur de Nessma, l'une des principales chaînes privées tunisiennes, cet homme d'affaires controversé est sous le coup d'une enquête pour blanchiment et fraude fiscale, et est en détention préventive depuis le 23 août. Il est très populaire dans les régions défavorisées du centre de la Tunisie où il a organisé ces dernières années des opérations caritatives abondamment relayées par Nessma. Premier enseignement au lendemain du résultat final du premier tour : le taux de participation à cette échéance si particulière a laborieusement atteint les 45 %. Ce qui peut être interprété comme un désaveu à la classe politique et un désenchantement. L'urne a parlé dimanche et le rejet par les Tunisiens de la pratique politique, incarnée depuis 2011 par Nidaa Tounes, pour les modernistes, et Ennahda, pour les islamistes, s'est bel et bien confirmé. La bataille s'annonce toutefois rude pour les deux candidats et les Tunisiens seront amenés à se prononcer sur la suite de démocratisation du pays, qui a commencé au lendemain de la chute de l'ancien régime de Zine al-Abidine Ben Ali début 2011. Reste aussi à trancher la question concernant M. Karoui, toujours en détention, dans le cas où il sera élu au second tour la présidentielle. Le constitutionnaliste tunisien, Iyadh Ben Achour, a estimé que seul le juge d'instruction en charge de l'affaire du candidat à la présidentielle anticipée, Nabil Karoui, placé en détention, est habilité juridiquement à ordonner la libération du candidat dont la situation "crée une impasse juridique". Cité par l'agence de presse TAP, M. Ben Achour a également rappelé qu'"aucun jugement définitif n'a été rendu pour Nabil Karoui, placé en détention sur la base d'un mandat de dépôt provisoire". Le constitutionnaliste a en outre considéré que la situation de Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounès (Cœur de Tunisie), "n'a aucune solution juridique", ajoutant que la libération du candidat à la présidentielle "serait animée par des motifs moraux et non juridiques".