L'universitaire Kaïs Saied affrontera demain le patron de Nessma TV, Nabil Karoui, lors de l'élection présidentielle de la Tunisie. La machine médiatique de Karoui essaie, depuis plusieurs semaines, de tacler l'imperturbable Saïed. Les urnes trancheront demain. Le marathon des élections générales se terminera demain en Tunisie, avec le deuxième tour de l'élection présidentielle, entre Kaïs Saied et Nabil Karoui. Saied est un universitaire indépendant, alors que Karoui est le patron de Qalb Tounes, arrivé 2e à l'Assemblée avec 38 sièges. Partis politiques et société civile sont divisés entre les deux candidats. Ce sera le troisième rendez-vous des Tunisiens avec les urnes, en moins d'un mois, après le 15 septembre et le dimanche dernier (6 octobre). Profils Kaïs Saied et Nabil Karoui présentent deux profils non symptomatiques pour les Tunisiens. Ils ne viennent pas, tous les deux, du fourneau de la classe politique, bien que Karoui ait flirté, à certains moments, avec Nidaa Tounes. Karoui faisait plutôt partie de la sphère des lobbyistes, qui ont soutenu la montée du défunt président Beji Caïd Essebsi. Le patron de Nessma n'a jamais été un activiste politique au sein de Nidaa Tounes. Dans des vidéos fuitées, Nabil Karoui se dit «faiseur de Président» et «aujourd'hui, c'est son tour». Le patron de Nessma a exploité, politiquement, le décès accidentel de son fils Khalil, il y a deux ans, pour créer l'association caritative Khalil Tounes, qui a vendu son image de «Robin des Bois», accourant au secours des populations démunies, que le pouvoir n'a pas assisté. «Mes caravanes médicales ont soigné plus de citoyens que l'hôpital public (sic !)», a-t-il dit, avant-hier, dans une interview sur la chaîne Al Hiwar Ettounsi. Il promet aux Tunisiens «un pacte contre la pauvreté, pour éliminer ce fléau de la société». Karoui se croyait en mesure de passer au 1er tour. Il a obtenu 15% des voix et il est passé au 2e tour. Kaïs Saied vient, quant à lui, de la sphère des universitaires. Il était assistant en droit constitutionnel. Il n'a jamais brillé par un quelconque activisme politique sous la dictature. Son nom commençait à monter lors des débats accompagnant la Constitution de 2014, étant un spécialiste de la matière, toujours disponible, n'ayant pas d'activités extra-professionnelles. Il a également brillé par son indépendance. Ses témoignages étaient régulièrement sollicités par la télé nationale. Le nom de Kaïs Saied montait dans les sondages depuis 2016 comme «personnalité présidentiable». Politiquement, il défend comme slogan de campagne «le Peuple veut» (Acchaabou yourid), voulant dire qu'il va travailler selon la volonté du peuple. Sa conception de l'action politique s'inspire des conseillistes, avec des élus dans chaque localité, auxquels les électeurs peuvent retirer la confiance. Kaïs Saied dit respecter la Constitution et essayer de la modifier, selon les règles d'usage. Il est arrivé en tête du 1er tour, avec 18% des voix. Soutiens Les partis Ennahdha, le Courant démocratique, Haraket Chaab et les Patriotes démocrates, ainsi que l'alliance Dignité et fidélité à la révolution ont exprimé leur plein soutien à Kaïs Saied. Cela lui donne déjà une majorité favorable au sein de l'ARP. Ces partis ont publié des communiqués appelant à voter pour Kaïs Saied, bien qu'il ait régulièrement déclaré qu'il n'appartient à aucun parti et il n'a apporté son soutien à aucune liste lors des législatives. «Comment voulez-vous que je soutienne des listes, alors que je suis contre ce mode de scrutin», a-t-il commenté à l'attention de ceux qui lui prêtent certains soutiens. Kaïs Saied est favorable à un scrutin uninominal, où les circonscriptions sont les 256 délégations du pays. Par contre, rares sont les soutiens déclarés à Nabil Karoui, à part Sami Fehri, le patron de la chaîne Al Hiwar. Les partis politiques évitent de porter soutien à Nabil Karoui, qui, comme Sami Fehri, traîne de lourds dossiers de contentieux fiscal avec l'Etat tunisien. En plus de son parti, Qalb Tounes, Karoui trouve soutien, dans ce deuxième tour, auprès de certains intellectuels de gauche, qui disent «avoir peur pour les acquis libéraux de la Tunisie». Il est à rappeler que Karoui a été libéré mercredi dernier par la Cour de cassation et pourra se présenter, enfin libre, à ce 2e tour, après avoir passé 45 jours derrière les barreaux pour une affaire de blanchiment d'argent qui traîne encore. Du côté des autres partis, Tahya Tounes a donné libre crédit à ses sympathisants pour voter Said, Karoui ou s'abstenir. Le Parti destourien libre de Abir Moussi a, lui aussi, laissé libre cours à ses militants, lors de ce scrutin, le Front populaire de Hamma Hammami a demandé à ses sympathisants de boycotter ce scrutin. De l'avis des observateurs et selon les sondages quotidiens, réalisés en privé pour le camp Karoui, Kaïs Saied demeure largement en tête.