Le déficit de la Caisse nationale des retraites n'est pas en relation avec les départs en retraite sans condition d'âge, mais plutôt avec les décisions de l'Etat depuis les années 1980 impliquant la Sécurité sociale dans des charges qui ne sont pas les siennes. La Caisse nationale des retraites (CNR) agonise depuis plusieurs années. Elle n'est maintenue que grâce aux aides de l'Etat, inclues dans les différentes lois de finances, et les contributions de la CNAS. Ciblant directement la poche des employés et des retraités, le plan d'action proposé par le directeur général de cette caisse est non seulement critiqué, mais crée une nouvelle polémique. En effet, les propositions du directeur de la CNR quant à la réforme du système de retraite ne sont pas passées inaperçues. Les experts sont unanimes : ce qui est proposé n'est pas la solution mais plutôt le point de création de nouveaux problèmes. «Ces mesures d'ajustement sont du copier-coller par rappport à ceux déjà donnés lors du Conseil des ministres présidé par Ahmed Ouyahia en décembre 1997. En cette période, les caisses de la CNR et de la CNAS étaient vides. Pour les renflouer, la solution était de piocher dans les poches des retraités. C'est encore le cas aujourd'hui et une nouvelle preuve de l'incompétence caractérisée de ce gouvernement qui, normalement, est censé gérer les affaires courantes et non pas débattre des questions qui impactent l'avenir socioéconomique et politique de tout un pays», dénonce Noureddine Bouderba, militant syndicaliste et expert dans le domaine de la Sécurité sociale. Pour lui, le déficit de la Caisse des retraites n'est pas en relation avec les départs en retraite sans condition d'âge, mais plutôt avec les décisions de l'Etat depuis les années 1980 impliquant la Sécurité sociale dans des charges qui ne sont pas les siennes. Il donne l'exemple du classement des victimes du 5 Octobre 1988 comme victimes d'accidents de travail et commander ainsi à la CNAS de prendre en charge toutes les indemnités. Il cite également les 20 milliards de dinars, soit l'équivalent de 400 milliards de dinars aujourd'hui, pris des caisses de la Sécurité sociale pour financer tous les investissements de 1986 à 1989. «Tout cela a impacté directement sur les réserves des caisses, et ce, sur plusieurs années. A chaque fois qu'il y a un problème, on cherche la solution facile en s'attaquant aux pauvres retraités et aux travailleurs. L'argument avancé est d'assurer la pérennité des caisses. Une pérennité impossible à garantir tant que des solutions de fond n'ont pas été engagées», ajoute notre interlocuteur. La preuve, selon lui, est l'échec de la concrétisation des promesses de l'ex-ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, qui avait assuré, à l'époque, que les caisses de la Sécurité sociale retrouveraient leur équilibre dès 2019-2020. Un problème d'état Pour ce syndicaliste, il n'y a que la bonne gouvernance qui permettra à la question de la Sécurité sociale et de la retraite d'être résolue sans toucher aux acquis des travailleurs et des retraités. «Seuls 9% de la population algérienne ont atteint l'âge de la retraite de 60 ans. Sur cette population, seuls 50% ont une pension de retraite. Sur ce taux, plus de 60% de ces retraités ont une pension inférieure au SNMG. Avec une population aussi jeune et une faible catégorie de retraités, comment expliquer cette crise si ce n'est par la mauvaise gouvernance», souligne M. Bouderba qui considère que la Sécurité sociale n'est pas une affaire d'épicerie pour qu'elle soit confiée à un comptable. Pour lui, il faut toute une politique sociale et des stratégies à mettre en place pour sauver ces caisses et surtout des millions de personnes qui n'ont que cette ressource pour subvenir à leurs besoins. Pour notre expert, la situation actuelle des caisses de la Sécurité sociale relèvet de la responsabilité de l'Etat étant donné qu'il est le premier responsable de cette situation de crise. En plus de «dépouiller» les caisses de leurs réserves durant les années 1990, Noureddine Bouderba cite également les différentes politiques de l'Etat qui n'encouragent pas à avoir un marché de l'emploi stable et productif. De plus, il insiste sur l'absence de véritable volonté politique à collecter la ressource. Il cite, dans ce sens, les chiffres de l'ONS quant au marché informel de l'emploi. Ces chiffres font état d'un taux de 45% des travailleurs salariés tous secteurs confondus non affiliés à la Sécurité sociale et 70% des salariés dans le secteur privé qui travaillent sans être déclarés. «Pour la catégorie des jeunes de 16 à 25 ans, 88% d'entre eux travaillent au noir, soit 9 sur 10 employés. Ce qui est énorme ! Cela s'ajoute à l'évasion fiscale et à l'exonération des nouveaux créateurs d'entreprise, via les dispositifs mis en place, de toutes déclarations à la CNAS pour des durées qui vont jusqu'à 3 années, voire plus. Toutes ces ressources peuvent vraiment redonner vie à ces caisses vides», continue notre expert. Pour la CNR, il cite les nouvelles charges qui lui sont indues reportées en 2000 et 2018. Parmi ces charges, les pensions de retraite accordées par anticipation aux enfants de chouhada en contrepartie desquelles l'Etat ne paie que le rachat de la cotisation et la contribution d'ouverture de droit imputant à la CNR les coûts des pensions sur la période d'anticipation. S'y ajoutent les pensions de retraite accordées par anticipation aux membres de la garde communale (5 ans d'anticipation Une question de volonté La solution ? Noureddine Bouderba préconise une série de mesures, dont essentiellement la lutte contre la non-déclaration des travailleurs et la sous-déclaration des salaires permettant un gain potentiel de 200 milliards de dinars, et l'augmentation de 50% du SNMG sur 2 ans avec en contrepartie la hausse du taux de cotisation de la Sécurité sociale de 03%, dont 2% seront à la charge de l'employeur et 1% à celle du travailleur, avec minoration de l'IRG pour ce dernier dans le souci de protéger le pouvoir d'achat. Dans son plan de sauvetage des caisses, il prévoit l'instauration d'une taxe contre la pollution et la protection de l'environnement, avec l'affectation d'une part aux caisses de Sécurité sociale au vu des dépenses engendrées à cause de ces phénomènes et l'affectation à la Sécurité sociale d'une partie des taxes douanières et à la consommation. Il préconise également de réindexer la taxation, instaurée au profit des caisses de Sécurité sociale, des importateurs-distributeurs du médicament sur le chiffre d'affaires, au lieu de la marge bénéficiaire. Dans un souci de réduire les charges, il propose de dissoudre la Caisse nationale d'assurance chômage (CNAC) et de transférer le risque assurance chômage à la CNAS, tout en supprimant tout financement en appui à l'emploi, estimé annuellement à 42 milliards de dinars, et qui ne devrait pas reposer sur les cotisations des salariés mais sur le Trésor public, ainsi que la création d'un organe de coordination entre la CNR et la CNAS en attendant leur fusion. Contrairement aux propositions du directeur général de la CNR quant à l'augmentation de l'âge du départ à la retraite à 65 ans, notre expert va carrément à contre-courant en appelant à rétablir la retraite sans condition d'âge qui, finalement, n'a pas d'effet important sur l'équilibre de la CNR. Par contre, il appelle à la lutte contre les formes de discriminations caractérisées essentiellement par les salaires à vie aux cadres supérieurs de l'Etat, assurés par le Fonds de réserve des retraites (FSR) et financés essentiellement par le contribuable.