La Caisse nationale des retraites (CNR) connaît d'énormes difficultés financières qui mettent en danger sa pérennité. Tous les voyants sont au rouge : le déficit de la Caisse devra se creuser encore et atteindre, selon un bilan remis à El Watan par Noureddine Bouderba, spécialiste des questions sociales, 300 milliards en 2017. La Caisse est «en déséquilibre et elle devra le rester», confirme Rachid Malaoui, président du Syndicat national des personnels de l'administration publique (Snapap). «Son argent est utilisé. Il faut toujours se rappeler le scandale Khalifa. Le gouvernement a affirmé avoir remboursé les dettes estimées à 4 milliards DA. Il n'y a pas eu d'expertise ni de contrôle chez la CNR. L'IGF n'a pas fait d'enquête», regrette le syndicaliste. Pour le secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef), Boualem Amoura, «si la situation financière actuelle de la CNR perdure, nous irons vers la faillite». Amoura s'étonne de la volte-face du DG de la CNR qui a tenu des «discours contradictoires» face aux syndicalistes mécontents. Le même DG qui a déclaré en juin 2016 que sa Caisse se porte bien, a prétendu le 10 octobre de la même année qu'elle est en difficulté. «Comment croire ses déclarations et admettre que la situation de la Caisse s'est dégradée en l'espace de quatre mois seulement ?», s'interroge Amoura. Amar Takdjout, secrétaire général de la fédération textiles et cuirs à l'UGTA, constate que «n'était la solidarité intercaisses, la CNR aurait été en faillite». «La CNR recourt à la solidarité des quatre autres caisses (CNAS, la CASNOS, la Cacobatph et la CNAC) pour la troisième année consécutive», insiste-t-il. Noureddine Bouderba, spécialiste des questions sociales, estime que le déséquilibre du système de retraite n'est ni structurel ni lié à l'âge de son départ ni au niveau des pensions, comme l'affirment ses responsables ou la tutelle (ministère du Travail). «Le déficit n'est pas dû non plus à la retraite proportionnelle et encore moins à la retraite sans condition d'âge. Les causes réelles se trouvent au niveau du faible emploi, du poids important de l'emploi informel, de l'évasion sociale, des importantes exonérations et abattements accordés aux entreprises qui viennent se greffer aux sous-déclarations des salaires», détaille-t-il dans une conférence, dont El Watan a obtenu une copie. Réformer le système ? Les autorités ont décidé de «réformer» le système de retraite. Les syndicats autonomes s'étaient mobilisés contre cette décision. La retraite sans condition d'âge après 32 ans de travail a finalement été maintenue sur une proposition du président Bouteflika. L'Algérie continuera donc à travailler avec le système de retraite anticipée jusqu'à 2019 : l'amendement prévoit notamment l'attribution pendant deux années lde a pension de retraite, avec jouissance immédiate au profit des travailleurs salariés, âgés de 58 ans en 2017 et 59 ans en 2018 et qui ont totalisé 32 années au moins de service effectif ayant donné lieu au versement de cotisations. Selon Bouderba, l'annulation de la retraite avant 60 ans ne va pas résoudre le problème de l'équilibre de la CNR puisque le déficit de 2017 va dépasser les 300 milliards de DA en dépit de l'abrogation des 2 retraites (sans condition d'âge après 32 ans d'activité et la retraite proportionnelle) et ce, malgré la déclaration du ministre Ghazi devant le Conseil de la nation le jour où il a défendu le projet de loi. (Il avait dit que la CNR, avec cette nouvelle loi retrouvera son équilibre en 2020-2021, Ndlr). «Les difficultés de la Caisse s'expliquent par le manque d'emploi permanent et leur précarité. Il s'explique aussi par l'importance du marché informel (48%). L'informel emploie 4 millions de travailleurs. Il n'y a pour ces cas ni payement d'impôt, ni fiscalité sociale», précise Takdjout en constatant que des entreprises ne s'affilient pas à la Chambre de commerce pour «être identifiées», et n'organisent pas «comme partout ailleurs» en secteurs d'activité bien identifiés. A cela s'ajoute, poursuit-t-il, un déficit en statistiques, puisque les agents de l'Office national des statistiques (ONS) ne peuvent pas accéder aux entreprises. Un débat sérieux sur la situation de la Caisse est exigé pour la faire sortir de l'ornière. «Il y a nécessité d'un bilan transparent sur les recettes et les dépenses. Nous sommes, nous travailleurs, prêts à accepter une augmentation des cotisations, de 9% actuellement à 11%», propose Amoura de la Satef. Pour le président de la fédération du textile, Takdjout, il y a lieu d'engager une réflexion sur l'organisation globale de notre économie, en commençant par faire obligation à toutes les entreprises de s'affilier à la Chambre de commerce et de mettre en place des organisations par secteur. Il doit être également fait obligation, selon le syndicaliste, aux entreprises de permettre à l'ONS d'avoir des informations sur le nombre des travailleurs, sur le type d'économie adopté par l'employeur, sur la production et le chiffre d'affaires, etc. «Le gouvernement doit agir s'il veut éviter au pays des conséquences sociales dommageables», met-il en garde. Bouderba détaille ses propositions acceptées par tous : «Il faut mobiliser et exploiter le formidable gisement des recettes de cotisations. Il faut prendre par l'Etat toutes les charges qui ont un caractère de solidarité nationale (moudjahidine) avec remboursement des sommes dépensées par la CNR et la CNAC depuis 2013. Il s'agit aussi d'optimiser le système de gestion des caisses par la dissolution de la CNAC, la fusion CNR-CNAS et la réduction des frais de gestion, etc.», suggère-t-il.