Entre la longue marche du peuple vers le changement et la démarche présidentielle décidée par le pouvoir, l'opposition grandit. Le clivage semble indépassable. Il va en s'exacerbant et rend laborieux la possibilité d'un rapprochement de positions. La stratégie de tension mise en branle a renforcé la défiance. Après huit mois de soulèvement populaire continu et de tergiversations politiques, la perspective d'une solution acceptable par tous s'éloigne. La confrontation politique qui s'exprime pacifiquement occupe toute la place. Les mobilisations du vendredi qui re-prennent de l'ampleur fonctionnent comme des tornades politiques. Elles balayent aisément les arguments favorables à la tenue d'une élection présidentielle. Boycotté par la quasi-totalité de la classe politique dans ses diverses tendances, décrié par les figures nationales influentes, le scrutin fixé pour le 12 décembre prochain apparaît de plus en plus comme un rendez-vous incertain. Le doute s'installe. Les Algériens, au-delà de l'arithmétique, continuent de marcher pour le changement du système politique, ayant la conviction que le scrutin tel qu'il se décline ne constitue pas une réponse à la hauteur du défi. Pas seulement. Le «peuple du vendredi» s'oppose à la présidentielle, parce qu'il voit aussi le risque d'une restauration autoritaire et dans laquelle les clientèles du régime se recyclent. Moins enthousiastes et peu empressés, les partisans de la présidentielle avancent timidement. Les prétendants à la magistrature suprême semblent hésitants. Ils sont comme dans la gêne. Discrets, ils savent que l'ambiance nationale dominante n'offre nullement les conditions essentielles pour un débat sérieux et serein sur une question aussi fondamentale que représente l'élection présidentielle. D'évidence, l'offre présidentielle est inaudible, malgré le matraquage médiatique bidonné. Pas si simple de faire une pré-campagne électorale pendant que les Algériens en marche dans presque toutes les villes du pays s'y opposent avec vigueur. Ça l'est encore plus difficile, quand des leaders politiques, des militants associatifs et des citoyens se font arrêter et sont systématiquement emprisonnés. Impossible de convaincre de l'utilité d'une consultation électorale dans un climat chargé de pression et de peur. De ce fait, certains candidats à la candidature sont confrontés à une problématique plus que politique. Elle d'ordre éthique et moral. Comment foncer droit vers une présidentielle contre la volonté d'une partie importante des Algériens ? Un sérieux dilemme. Tenir une élection dans ce climat hostile, la présidentielle se présente comme une complication de la crise et non pas une étape en mesure de sortir le pays de l'impasse. Il faut dire que ce n'est pas le principe d'une présidentielle en elle-même qui est rejeté, mais ce sont les conditions qui l'entourent et la méthode avec laquelle est imposée qui sont contestées. C'est aussi la capacité du futur Président à engager des réformes profondes pouvant changer la nature du système politique. La récente déclaration de l'ancien chef de gouvernement réformateur, Mouloud Hamrouche, ne laisse aucun doute sur l'inefficacité de l'élection d'un Président dans le contexte actuel. «Même si je suis élu Président, je ne pourrai rien faire», avait-il lancé à ses partisans venus le supplier de se porter candidat. Il est vrai que pour les héritiers du pouvoir de Abdelaziz Bouteflika, l'urgence est d'en finir avec la situation actuelle et doter le pays d'une direction politique légale. D'un point de vue institutionnel, l'absence d'un président de la République démocratiquement élu impacte considérablement le fonctionnement et les engagements de l'Etat. Cela enlève le caractère légal et légitime à toute décision d'importance nationale. La contestation de l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures est à ce titre emblématique. Mais l'impératif d'un retour à la légalité constitutionnelle ne doit pas évacuer du débat national la nécessité de tenir compte de la demande formulée par les Algériens depuis le 22 février. Le changement du système de gouvernance national tel qu'il a fonctionné depuis l'indépendance. Il s'agit alors de concilier l'urgence de revenir à la légalité qui se traduirait par le suffrage universel libre et la légitimation d'un processus politique qui ambitionne d'instaurer le nouvel ordre démocratique. Dans le fond, les deux visions ne sont pas en opposition. Elles peuvent converger, pour peu que les acteurs politiques fassent preuve de clairvoyance et d'ingéniosité. Cette option aura un effet d'entraînement certain que la démarche de passage en force. Mais pour y parvenir, il faut une offre politique forte et sérieuse.