Les Kurdes de Syrie ont annoncé, dimanche soir, avoir conclu un accord avec Damas pour le déploiement de l'armée syrienne près de la frontière turque, au 5e jour de l'offensive d'Ankara contre les forces kurdes dans le nord-est du pays. Les Kurdes ont accepté le déploiement de l'armée syrienne à Manbij et Aïn Arab pour faire face à l'offensive terrestre engagée par la Turquie contre leurs forces depuis le 9 octobre. Si l'option de faire appel à l'intervention de Damas n'était pas du goût des Kurdes désireux de préserver leurs gains territoriaux et politiques, ces derniers semblent avoir revu leurs ambitions initiales à la baisse pour revenir à une posture plus réaliste face au risque de l'élargissement des opérations militaires. En effet, l'armée turque poursuit l'exécution d'un plan en trois phases : après la conquête de la zone frontalière qui s'étend de Ras El Aïn à Tel Abyad, l'armée turque s'est enfoncée à 30 km de profondeur au sud pour se déployer dans une zone de 480 km de longueur couvrant les villages et les villes kurdes. Enfin, l'ultime étape consistera, après avoir vidé les lieux de leurs occupants, à transférer les réfugiés syriens dans cette zone. L'objectif, au-delà de la volonté d'infliger une défaite militaire aux Kurdes, serait donc de transformer la démographie locale sur le modèle de la ville syrienne de Afrin qui, au lendemain de sa prise par les Turcs en mars 2018, a accueilli les déplacés originaires de la Ghouta. Confrontés à une offensive militaire turque d'ampleur, préparée depuis six mois et qui a mobilisé deux brigades blindées, deux de l'armée de terre, une brigade de commando, deux de la gendarmerie antiterroriste ainsi que 10 000 hommes, dont la moitié issue des différentes sections des forces spéciales et l'autre de l'opposition syrienne réunie dans l'armée nationale syrienne, les Kurdes ont donc finalement appelé l'armée syrienne à la rescousse. Plusieurs considérations semblent présider à cette décision : d'une part, la configuration urbaine des villes kurdes à l'instar de Raqqa (ville étendue avec une faible densité et une faible hauteur des habitats) limite l'efficacité de la guérilla urbaine ; d'autre part, dans certaines zones majoritairement arabes, les Kurdes recueillent peu de sympathie parmi les populations, ce qui les prive d'une base sociale importante. Enfin, il semble inéluctable qu'à mesure du durcissement des opérations militaires turques, la défection des tribus arabes qui ont rallié les FDS s'accentue. Au final, les forces kurdes étaient confrontées à deux choix : négocier avec Damas en acceptant le retour de l'armée syrienne pour assurer leur protection, scénario qui impliquera nécessairement de lourdes concessions ; ou parier sur le soutien pour l'instant «rhétorique» des Européens et des Américains, ces derniers étant à l'origine du lâchage qui a rendu possible l'offensive. En effet, la raison ayant poussé jusqu'alors les Turcs à la retenue a disparu avec l'annonce du retrait des troupes américaines stationnées dans le nord de la Syrie, suivi du départ effectif d'un petit nombre de militaires. Cette annonce a fourni à Ankara l'occasion, cette fois, d'envoyer son armée. Jusque-là, la volonté de retrait américain annoncée par Trump une première fois en mars 2018, puis réitérée en décembre 2018, s'était heurtée aux réticences affichées de plusieurs personnalités influentes au sein de l'administration et des institutions américaines. L'ex-secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, l'ex-conseiller à la Sécurité nationale, Herbert Raymond H. R. McMaster, l'envoyé spécial de Donald Trump auprès de la coalition internationale, Brett Mac Gurk, et le chef d'état-major des armées, Joseph Votel, qui auparavant dirigeait le JSOC (Joint Special Operations Command) et a lui-même supervisé la création des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition arabo-kurde sous commandement kurde), se sont tous élevés contre cette démarche. Pour cette équipe, le maintien d'une présence américaine en Syrie était motivé par l'endiguement de la progression de l'influence iranienne et le rôle important que pourraient jouer les Etats-Unis dans le processus politique en Syrie. Trump avait fini par céder à leurs pressions très insistantes conjuguées à celles de ses alliés israélien et saoudien, mais dans la mesure où ces objectifs n'ont pas été atteints, la surestimation des intérêts américains en Syrie conduit, du point de vue du président américain, au maintien d'un engagement sans objet auquel il semble nécessaire de mettre un terme, d'autant que les voix dissidentes ont été étouffées. – L'armée syrienne entre dans la localité de Tal Tamer Les forces de l'armée syriennes se sont déployées hier dans la localité Tal Tamer (Hassaké), située près de la frontière avec la Turquie, où les troupes d'Ankara mènent des combats meurtriers contre les Unités de la protection du peuple (milice kurde), ont indiqué des médias locaux. Les unités de l'armée arabe syrienne étaient entrées tôt hier dans la localité de Tal Tamer, dans la banlieue nord-ouest de Hassaké, près de la frontière turque, au milieu d'un accueil chaleureux de la part des habitants, a indiqué l'agence Sana. L'agence syrienne a précisé, également, que l'arrivée des unités de l'armée syrienne à la localité de Tal Tamer, située à une trentaine de kilomètres de Ras El Aïn, vise à protéger les populations locales des attaques meurtrières de l'armée turque, qui avait entamé son intervention mercredi dernier. Plusieurs unités de l'armée sont même arrivées lundi tôt le matin jusqu'à près de six kilomètres de la frontière, a poursuivi la même source. Face à l'agression de l'armée turque, les Unités de protection du peuple ont annoncé, dimanche soir, avoir conclu un accord avec le gouvernement syrien pour le déploiement de l'armée syrienne près de la frontière en soutien aux Forces démocratiques syriennes (FDS), constituant la principale alliance de combattants de la province. L'accord en question prévoit l'entrée de l'armée syrienne dans les villes de Minbej et Aïn Al Arab, situées dans le nord de la Syrie. A. Z.