En 1995, les springboks sud-africains remportèrent la Coupe du monde des nations de rugby. L'exploit mémorable, le premier dans l'histoire du pays, était inimaginable une année auparavant. Derrière ce succès, il y avait les sociétaires Vert et Or, 47 millions de Sud-Africains, et surtout leur président légendaire : Nelson Mandela. Madiba, libéré par le régime raciste de Pretoria et élu chef de l'Etat après l'abolition de l'apartheid, trouvait dans cette occasion sportive la clé politique pour soulager les esprits de son peuple des stigmates d'une longue nuit d'oppression et de ségrégation raciale. Personne ne voulait miser un kopek sur le pari « fou » de Mandela, mais l'homme a pesé de tout son charisme pour insuffler le sens de la victoire à son équipe et gagner, par ricochet, un pari politique : fonder la nation Arc-en-ciel. Dans cette belle histoire, si bien racontée par Clint Eastwood dans son film Invictus, le couple sport et politique cohabite et se partage les tâches pour un objectif qui se révélera souvent supra sportif. Depuis que le sport a été hissé par l'olympisme au rang de creuset international et de terrain de rencontre des peuples pour se mesurer, la politique se tient toujours près des joutes, et pas seulement sur les gradins. Toute une dialectique se dégage aujourd'hui autour du sujet. Le sport appartient-il aux sportifs et seulement à eux, comme l'affirment les puristes ? Ou alors fait-il partie des rapports sociaux, économiques, politiques, idéologiques et symboliques ? En parfait connaisseur des enjeux, le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, H. Adefope, exprimait son point de vue ainsi : « La philosophie qui veut que sport et politique ne se mélangent pas est spécieuse et hypocrite. Les exploits sportifs sont aujourd'hui utilisés comme étalon de la grandeur d'un pays. » Dans les idéologies totalitaires, comme dans de nombreux pays du tiers-monde, le sport est un levier qui sert à pérenniser le système en place en détournant les esprits vers des représentations symboliques au service des intérêts des classes dominantes. Instrumentalisation Le football, sport le plus populaire dans le monde, est sans doute le vecteur de choix pour des foules en mal d'expression et les calculateurs politiques de tout acabit. D'où sa réputation d'opium des peuples, étiquette rejetée par certains spécialistes, à l'instar de Pascal Boniface, selon lequel « les stades de football ont toujours été des lieux où les opposants aux régimes totalitaires expriment librement leurs pensées ». Les rendez-vous footballistiques, à l'instar des autres messes sportives, se défendent bien face aux Spindoctors. L'auteur de Football et Mondialisation en veut pour preuve la tentative avortée de la junte militaire argentine qui, à l'occasion de la tenue de la Coupe du monde en 1978, voulait tirer un profit politique du rendez-vous planétaire organisé par le pays de Mario Kempes. Comme l'arroseur arrosé, la junte qui sera délogée du pouvoir quelque temps après a été conspuée dans les tribunes des stades par des milliers de supporters en phase avec leur équipe mais pas avec le pouvoir politique. Contrairement aux apparences, les foules sont incontrôlables à l'intérieur des stades et qui s'y frotte risque de se piquer aux politiques tentés par la manipulation des foules. L'attaque du bus de l'équipe du Togo avant l'ouverture de la Coupe d'Afrique des Nations en janvier 2010 fournit, toujours selon Pascal Boniface, l'exemple de l'importance géopolitique du sport. Les agresseurs, issus du Front de libération de l'enclave de Cabinda, ont profité du rendez-vous continental pour plaider leur cause politique. Un cas classique ? Tout récemment, et dans la fébrilité de la course pour l'organisation de l'Euro 2016, Nicolas Sarkozy confiait à Michel Platini qu'une victoire turque serait « politiquement dommageable ». La petite phrase du chef de l'Etat français est lourde de sens pour ceux au courant de l'opposition française à l'accès de la Turquie à l'Union européenne, sachant qu'accueillir un événement européen de telle envergure aurait permis au pays du Bosphore de franchir un grand pas dans son projet européen. En dépit de l'hostilité de l'UEFA à toute intervention politique dans leurs affaires, l'instance sportive a plié devant le poids de Sarkozy, contrairement au Comité international olympique (CIO) qui, lui, nonobstant le charisme d'Obama, a préféré Rio de Janeiro à Chicago pour accueillir les Jeux olympiques de 2016. JO : La cour des grands et… des spindoctors Les poings vers le ciel, tête baissée, les athlètes noirs américains, Tommie Smith et John Carlos, réussirent à braquer sur eux les projecteurs du monde entier, et pas seulement, en raison de leur montée sur le podium. C'était lors des JO de Mexico en 1968. Par leur posture inédite, les deux hommes exprimèrent leur adhésion au sursaut des Noirs face à la ségrégation raciste aux Etats-Unis et marquèrent l'histoire des JO par une attitude éminemment politique. Cette même histoire sera émaillée, plus d'un siècle durant, de faits qui vont sceller une alliance entre les Jeux et l'actualité politique. En 1972, les Jeux de Munich se terminèrent dans un bain de sang après l'irruption d'un commando palestinien qui prit en otages des athlètes israéliens. Par cette action désespérée, les militants affiliés au groupe Septembre noir entendirent obtenir la libération par l'Etat sioniste d'un nombre d'activistes de la cause palestinienne. Les exemples sont légion. En concentrant l'attention du monde entier, les Jeux olympiques se sont souvent attiré des invités-surprise. Faisant fi de l'esprit olympique, certains Etats ont fait des JO une arme de politique étrangère, voire un instrument de propagande. « Que ce soit l'Allemagne hitlérienne, avec les Jeux de Berlin en 1936, l'Union soviétique avec les Jeux de Moscou en 1980, ou la Chine avec ceux de Pékin, ces Etats perçoivent l'octroi et l'organisation des Jeux comme le moyen de sublimer et de légitimer leur régime au regard du monde entier », affirme Boniface. Le palmarès des médailles est souvent utilisé à des fins de glorification du régime, poursuit-il. Ainsi, le journal soviétique La Pravda commentait les JO de Munich de 1972, en affirmant que « les grandes victoires sportives de l'URSS sont la preuve que le socialisme est le système le mieux adapté à l'accomplissement physique et spirituel de l'homme ». Pour les politiques, la fin justifie les moyens, et le Comité international olympique ne peut rien contre cela. Au contraire, le comité en profite pour jouer le rôle d'acteur géopolitique majeur. Face aux autres finalistes, Tokyo, Madrid et Chicago, Rio n'avait rien de plus, techniquement. Elle a fini pourtant par décrocher l'organisation des Jeux de 2016, lors d'une cérémonie organisée à Copenhague, en présence de Lula Da Silva. Le président brésilien est allé jusqu'au bout pour obtenir pour son pays ce privilège. Son argument : les Jeux devaient se tenir dans un pays du Sud ; n'est-ce pas que les puissances mondiales prônent une ouverture vers le Sud au moment où le G20 se substitue au G8 ? Le CIO a fait son choix sur cette base, les arguments sportifs étaient loin derrière. « Malgré certaines désillusions qui ont ruiné, en un instant, mes plus belles espérances, je crois encore aux vertus pacifiques et moralisatrices du sport. Sur le terrain de jeu, il n'y a plus ni amis ni ennemis politiques ou sociaux, seuls des hommes qui pratiquent un sport restent en présence », notait Pierre de Coubertin. Le père du CIO ne pouvait pas savoir que le XXe siècle allait apporter des changements profonds, scellant pour longtemps le destin de l'esprit olympique qui va avoir le boulet politique attaché à ses ailes. Boycottage dans L'Histoire du sport |Dans leur ouvrage cosigné, Les Premiers boycottages de l'histoire du sport, Lionel et Pierre Arnaud estiment que « l'intrusion soudaine du sport dans les stratégies politiques des gouvernements est un phénomène entièrement nouveau dans l'histoire des relations internationales à partir de 1919 ». Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Etats sont tentés d'utiliser le sport à des fins extra-sportives. L'organisation des Jeux inter-Alliés à Paris, en juillet 1919, donne l'occasion aux Alliés d'ouvrir le registre des boycottages en écartant les vaincus. L'année suivante, les Jeux olympiques d'Anvers confirment la volonté des Alliés. Des années durant, les Allemands seront mis en quarantaine par la communauté internationale, du moins jusqu'à leur retour à la Société des nations (SDN). Ainsi, l'idéal olympique fondé sur le pacifisme, se voit relégué au second plan derrière l'impératif politique par le CIO qui cède sous la pression des puissances en guerre. L'Union soviétique, créée par la révolution bolchévique, fait peur aussi aux pays « démocratiques » et subit, par conséquent, leur boycottage. Les Soviétiques rendront la pareille à leurs adversaires politiques en boycottant le sport « bourgeois et capitaliste ». Ainsi, l'ordre sportif international s'aligne-t-il un moment sur l'ordre politique international et la fracture sportive épouse les contours des conflits politico-idéologiques, dessinés par les deux Guerres mondiales. La guerre froide va prolonger « les échanges de courtoisie ». Ainsi, les Jeux olympiques de Moscou en 1980, ceux de Los Angeles en 1984, vont être entachés de boycottage. A Melbourne, en 1956, les pays arabes participant, l'Egypte, l'Irak et le Liban décidèrent de boycotter les Jeux en signe de protestation contre l'agression militaire menée par la France, le Royaume-Uni et Israël dans le canal de Suez.|