Darren Tulett, qui est un journaliste sportif anglais, est l'un des meilleurs spécialistes du football de la Grande-Bretagne. Il analyse, depuis 8 ans, les résultats du championnat anglais dans la célèbre émission l'Equipe du Dimanche sur la chaîne de télévision française Canal+. Sur la même chaîne, il anime une émission « Ils se foot du monde ». Il est accompagné de Thomas Ngijol du « Jamel Comedy Club » et chroniqueur du « Grand Journal ». Il revient dans cet entretien sur l'évolution de l'équipe d'Angleterre en Coupe du monde et commente les prestations des Verts face à la Slovénie. Prudent, il donne quelques prévisions sur le match Algérie-Angleterre de demain. Quel commentaire faites-vous sur les déclarations de l'Allemand Franz Beckenbauer, qui a dit que l'équipe d'Angleterre a beaucoup régressé sur le plan du jeu, parlant même du vieux temps de « kick and rush » (coups de pied et de poing) ? Beckenbauer – on le sait – est un grand ami du football anglais. Il a évidemment gardé un mauvais souvenir de la finale de 1966. Je ne comprends pas pourquoi il s'en prend au jeu anglais après avoir vu un seul match de la Coupe du monde. Même si l'équipe de Capello n'a pas été fluide et flamboyante, comme je l'aurais aimé, je pense que c'est exagéré de dire qu'on est revenu au « kick and rush ». Il y avait mieux que cela dans le jeu face aux Etats-Unis. Ce genre de commentaire va peut-être nous booster un peu plus. Oui, que pensez-vous de ce match face aux Américains ? On avait l'impression que l'équipe aux Trois Lions n'était pas au meilleur de sa forme... Physiquement, nous n'étions pas bien. Je ne peux qu'espérer que cela est dû à une préparation de fond qui fait qu'on manque petit à petit de régime, mais qu'on sera bien à la fin. Il faut se ressaisir rapidement. J'espère que ce n'est pas un mauvais signe. Les Anglais étaient moins en jambes que les Américains. Ils n'étaient pas nombreux ceux qui faisaient la différence balle au pied, alors que nous avons vu dans le championnat des joueurs, tels que Aaron Lennon, au plus fort de leur jeu. Wayne Rooney est également capable d'éliminer des adversaires avec une petite accélération. Cela a manqué face aux Etats-Unis. Que s'est-il passé justement avec Wayne Rooney ? Il était comme effacé lors de ce match... J'étais surpris de le voir venir très loin chercher le ballon. C'est un peu le Rooney de la saison passée au Manchester United, lorsqu'il venait chercher le ballon dans le pied des milieux de terrain. Pourtant, lors de cette saison en Premier League, il a suivi les conseils d'Alex Ferguson (coach de Manchester United) qui lui a dit de conserver son énergie pour la surface de réparation. C'est exactement ce qu'il a fait durant toute la saison. Tous ses buts ont été marqués dans la surface de réparation. Face aux Américains, Rooney est retombé dans ses travers, alors qu'il devait être proche d'Emile Heskey. Souvent, ils étaient loin, l'un de l'autre, d'au moins 40 mètres. Ce n'était pas ce qu'on attendait de Rooney. Ashley Cole, lui aussi, ne semblait pas au top... Ashley Cole n'était pas au top. Pour moi, il est l'un des meilleurs arrières gauche du monde. Il est en pleine forme. Il a fait des matchs extraordinaires avec Chelsea, après être revenu de blessure. Mais là, nous n'avons pas vu le même Ashley Cole, qu'avec Chelsea, avec sa façon d'attaquer rapidement et avec aisance sur la gauche. Par contre, nous avons vu, sur le côté droit, Glen Johnson venir s'ajouter à l'attaque de manière efficace. De son côté, malheureusement, Ashley Cole était quelque peu absent. J'espère que le retour de Gareth Barry, qui sera normalement aligné contre l'Algérie, va permettre à Cole d'avoir plus de liberté. Il va peut-être montrer qu'il a toujours ces jambes de feu dont on a besoin en Coupe du monde. Y a-t-il des inquiétudes sur le forfait de Rio Ferdinand et le risque de retrait de Ledley King en défense ? Je suis inquiet par rapport à cette charnière centrale. Il est vrai que John Terry, qui n'est pas un débutant, est au top niveau depuis un moment, mais on a vu, depuis un an ou deux, qu'il n'a plus l'accélération d'avant. C'est un joueur qui utilise son expérience pour être bien placé. C'est un bon défenseur central. Cependant, il faut un player plus rapide à côté de lui. Rio Ferdinand, lui, va vite, mais on l'a perdu. Par qui le remplacer ? Probablement, Jamie Carragher sera appelé à jouer à sa place face à l'Algérie. Carragher a eu une bonne carrière à Liverpool. Il a 32 ans aujourd'hui. Il est lui aussi sur le déclin. Il va de moins en moins vite. Il se sert beaucoup de son corps pour assurer la défense et il a de l'expérience. Mais avec deux défenseurs lents, je ne sais pas comment on va s'en sortir. Si on veut aller plus loin, il va falloir plus de vitesse dans la défense. L'attaquant américain Josmer « Jozy » Altidore, qui est tout juste moyen, a réussi à bousculer Jamie Carragher, à le dépasser par la vitesse et a failli marquer un but. Pourtant, Altidore est loin de constituer une menace pour la défense. Je préfère voir Dorsan à la place de Carragher. Même si Dorsan manque d'expérience, il a au moins de la rapidité. Il peut rattraper un ballon perdu. Il ne sert à rien d'avoir deux arrières qui vont vite, alors qu'au milieu il y a deux joueurs qui ont du mal à bouger. Dans une analyse des 25 derniers matchs dirigés par Capello, on constate que l'équipe d'Angleterre a encaissé beaucoup de buts. Il y a donc faillite dans la défense... Cela est dû au manque de vitesse en défense et au changement en milieu de terrain. Nous n'avons pas toujours la protection devant la défense. J'espère que le retour de Gareth Barry va protéger cet axe charnière, car c'est le véritable numéro 6. Il est là devant la défense et balaie devant. Cela va donner plus d'équilibre et de sûreté au milieu de la défense. Il est vrai que nous n'avons pas été convaincants dans ce secteur-là. Cela doit être énervant pour Fabio Capello, lui qui aime bien marteler que le début du succès commence par une base défensive solide. Le coach italien qui aime la culture défensive du football doit s'arracher les cheveux, lorsqu'il voit évoluer l'équipe d'Angleterre. Ceci dit, il ne faut jamais juger à partir des premiers matchs de la Coupe du monde. Cela donne rarement une idée sur l'évolution de la compétition. Il est rare de voir le vainqueur du Mondial se montrer brillant dès le premier match. L'important est que les Anglais n'ont pas perdu. Dès le début, nous avons dit que l'équipe américaine était la véritable menace dans le groupe C. On a commencé par un nul, il faut donc gagner les prochains matchs. Fabio Cappelo doit son palmarès au club, pas à des sélections nationales. N'y a-t-il pas de craintes de ce côté-ci ? Effectivement, nous sommes dans une situation inédite. On ne sait pas comment va se comporter Capello en tant que sélectionneur en Coupe du monde. Il n'a jamais vécu cette expérience. On peut avoir vécu les meilleures compétitions avec les clubs, mais une Coupe du monde avec une équipe nationale, c'est complètement différent. Capello doit être aussi en train de découvrir certaines choses. Il serait un peu frustré de ne pouvoir adopter les mêmes stratégies que dans les clubs et faire tout ce qu'il aurait aimé faire avec les joueurs. C'est un entraîneur qui donne de l'importance aux détails. Il doit être angoissé en raison du manque de capacité des joueurs à suivre ses ordres. Face aux Américains, le jeu des Anglais était brouillon. On perdait des ballons. On était incapable de le garder plus de quelques secondes. L'équipe d'Angleterre, c'est aussi les gardiens de but. David James a presque 40 ans. Sera-t-il le sauveur du team dans le prochain tour ? Il serait intéressant de voir comment Capello répondra au résultat décevant face aux Américains. Capello est respecté en Angleterre. C'est un entraîneur de qualité. Mais, là on commence un peu à critiquer ses choix après le nul du premier match. Peu de journalistes critiquaient ses choix auparavant, en appelant par exemple à mettre Robert Green dans les buts à la place de David James ou à regretter l'absence de James Milner qui était malade. Aujourd'hui, les journaux anglais se demandent si Capello ne s'est pas trompé sur le choix des joueurs. Va-t-il changer quelque chose ? Il faut dire que Capello ne s'intéresse pas à ce qu'on peut dire ou écrire. Ce n'est pas le genre qui peut dire : « Je me suis trompé et je vais changer. » Pour lui, il y avait de bonnes raisons pour le choix de Robert Green dans les buts. L'éloigner des bois, cela signifie qu'il reconnaît une faute. Il ne veut pas ruiner la confiance de Robert Green en l'écartant après un match. Comme il refuse d'envoyer un message aux joueurs, du genre : « Tu fais une erreur, tu es dehors ! » Eloigner Green, c'est mettre une responsabilité lourde sur les épaules de celui qui va le remplacer. Donc, je pense que Capello va faire confiance à Robert Green et je croise les doigts en pensant qu'il aura raison. Les Algériens, qui pourraient adopter un football spontané, vont-ils constituer une menace pour la défense anglaise ? Pour déstabiliser les Anglais, il faut faire ce que vous savez bien faire. C'est-à-dire rester fidèle à cette qualité de jeu spontané. Là, il y a de la chance de faire quelque chose face aux Anglais. Si jamais, vous voulez faire comme nous, en adoptant un jeu engagé et musclé, vous allez droit dans le mur. Si l'équipe d'Algérie arrive à jouer avec un faux rythme en faisant de temps en temps des petites accélérations dans le jeu, qu'elle essaye de surprendre les Anglais, c'est là que les opportunités vont se présenter et c'est là qu'on peut croire à quelque chose de positif. Sur le plan technique, il y a des joueurs algériens de talent qui peuvent surprendre. C'est à eux de s'exprimer et de sortir du schéma de jeu strict. L'Algérie participe en Coupe du monde après 24 ans. Il serait absurde de rentrer au pays avec des regrets et avec des « et si, et si... ». Face à l'Angleterre, ce sera le match pour l'équipe algérienne en Coupe du monde. C'est même le match de la vie pour certains joueurs qui vont évoluer devant toute la planète. C'est une belle affiche. Lorsque l'Angleterre joue, des millions de téléspectateurs suivent la rencontre. C'est une occasion pour les joueurs algériens de briller, de s'amuser et de prendre du plaisir. Il ne faut pas oublier de tout donner sur le terrain. Quels seraient éventuellement les joueurs algériens qui pourraient menacer la défense anglaise ? Les Anglais ont des lions sur leurs maillots. Et le lion n'a peur de rien ! Pour déstabiliser notre défense et nous faire douter, c'est surtout les individualités. Des petits moments d'inspiration peuvent changer le cours d'un match évidemment. Ziani par exemple a le talent pour ouvrir les défenses avec ses passes et sa vision du jeu. je pense que Boudebouz a le talent, l'insouciance et plus de liberté. Avoir de l'expérience ajoute parfois une certaine pression sur le joueur. Boudebouz peut être la clef du match. L'équipe d'Algérie a besoin de talents de ce genre. Face à une défense centrale, comme la nôtre, lente, il serait intéressant de mettre un joueur capable de courir balle au pied pour essayer en profondeur derrière, car là, il y aura sûrement un coup à jouer. Je pense également au « vétéran » Saïfi que j'ai vu évoluer en France. Je sais de quoi il est capable. Saïfi, qui a appris le football dans la rue, a gardé les gestes de cette époque-là. Avec un geste, en une seconde, il peut ouvrir une brèche et créer une occasion. A ce niveau-là, c'est bien le genre de joueurs dont on a besoin. Que pensez-vous des joueurs qui évoluent en Grande- Bretagne, comme Nadir Belhadj, Hacen Yebda et Madjid Bougherra ? Il s'agit de joueurs assez connus chez nous. Belhadj et Yebda ont fait une belle saison. Arriver en finale de la Cup et jouer face à 90 000 personnes à Wembley, c'est extraordinaire. Même si en championnat, la saison a été quelque peu difficile. Je sais que Madjid Bougherra est apprécié en Ecosse. Les supporters des Rangers seront à 1000% derrière lui lors du match contre l'Angleterre. Les Ecossais, qui ne se sont pas qualifiés en Coupe du monde, aimeraient bien que l'Angleterre se fasse battre par l'Algérie. Vous avez sûrement suivi l'Algérie face à la Slovénie. L'équipe a dominé mais n'a pas gagné. Que manque-t-il au team algérien pour concrétiser ? Les Algériens n'étaient pas percutants devant. Dans les 30 derniers mètres, ils n'étaient pas convaincants. Il manque à l'équipe d'Algérie un joueur de type Wayne Rooney, lorsqu'il est en forme, il donne l'impression, qu'à lui seul, il peut changer le cours d'un match. Il y a des joueurs bons mais qui ne passent pas à l'action. Il y avait beaucoup de jeu approximatif. En quarante-quatre ans, l'Angleterre n'a pas gagné de Coupe du monde ! 2010 sera-t-elle la bonne ? Quarante-quatre ans de douleur ! Nous avons toujours la même reine, qui était au stade de Wembley en 1966, mais nous n'avions pas gagné une nouvelle Coupe du monde. Je regarde évoluer l'équipe d'Angleterre depuis un certain temps, je ne peux pas dire franchement que c'est une championne du monde. J'aimerais bien être convaincu. J'aimerais bien voir quelque chose qui me donnerait l'espoir que c'est possible. Sur le papier, l'équipe d'Angleterre est séduisante avec des joueurs de classe mondiale. Malheureusement, cela s'est rarement traduit en performance convaincante sur le terrain. Pour l'instant, nous restons sur notre faim. Je souhaite bien sûr que l'Angleterre aille loin (...) Avec un peu de chance, on peut se retrouver en demi-finale. Selon ce que j'ai vu jusque-là, les Allemands ont été les plus impressionnants. C'est une jeune équipe joueuse, qui est là et qui veut s'éclater sans complexe. C'est un football libre et fluide. L'Espagne est également une équipe à suivre. La Coupe du monde reste une compétition fermée, il n'y a que 7 vainqueurs depuis le début. Y aura-t-il un huitième cette année ? Si ce n'est pas l'Angleterre, cela me ferait plaisir de voir l'Espagne gagner le Mondial.
