Dans l'absolu, le programme du nouveau président de la République décliné officiellement jeudi dans son discours à la nation à l'occasion de la cérémonie de son investiture en allant parfois même dans le menu détail, comme le poids du cartable des écoliers, rejoint dans les fondamentaux les revendications du hirak d'une Algérie nouvelle restituant le pouvoir au peuple à travers l'instauration d'un nouveau système de gouvernance, basé sur la démocratie participative. La «main tendue» au hirak pour un «dialogue sincère dans l'intérêt de l'Algérie et de l'Algérie seulement», engagement renouvelé avec force au Palais des nations, trouvera-t-elle un écho favorable auprès du mouvement populaire ? Joignant l'acte à la parole, le nouveau locataire du palais d' El Mouradia a abattu quelques cartes maîtresses lors de son premier discours à la nation, rompant avec le style de communication virtuelle qui avait marqué le 4e mandat de Bouteflika. Il s'invite dans le débat en tant que premier magistrat du pays avec dans les bras des offrandes alléchantes que le mouvement populaire n'a pu obtenir tout au long de ses 9 mois de manifestations ininterrompues, à savoir le départ de Bensalah et de Bedoui considérés comme des symboles du système bouteflikien. Si le départ du chef de l'Etat par intérim s'inscrit dans l'ordre naturel de la passation du pouvoir présidentiel à la suite de l'élection du nouveau Président, qui met fin à une situation de vacance prolongée du pouvoir à la tête de l'Etat après la démission de Bouteflika, le retrait de l'ancien chef de gouvernement se veut, en revanche, un geste politique fort de la part du nouveau président de la République en direction du hirak. Bedoui a été prié de démissionner selon les usages bien établis du sérail pour ne pas devoir souffrir de l'humiliation d'un lâchage-lynchage comme ce fut le cas pour d'autres anciens responsables à ce même poste. L'ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement Bedoui, qui n'a laissé de son passage au gouvernement que sa «prose» de caniveau en qualifiant les manifestants de «mercenaires, de pervers et d'homosexuels», a été dézingué par Tebboune qui lui a infligé la peine maximale, celle d'être le seul ministre du gouvernement en place chargé de gérer les affaires courantes jusqu'à la nomination du nouveau gouvernement à perdre son poste. Les activistes et les sympathisants du hirak ne manqueront certainement pas d'apprécier ce geste, même s'il est tardif. L'outrage ne devrait pas rester impuni ou bénéficier d'une quelconque prescription pour réparer le préjudice moral commis à l'encontre d'une large frange de la population. Par ailleurs, la sobriété de l'organisation de la cérémonie d'investiture, où l'on n'a relevé ni portraits géants de Tebboune ni d'autres signes renvoyant au culte de la personnalité cher au règne de Bouteflika, s'inscrivait également dans le même engagement du nouveau Président de rompre avec les pratiques de son prédécesseur. Mais pour gagner la confiance du peuple sorti massivement dans les rues à travers l'ensemble du pays depuis plusieurs mois pour réclamer le changement radical du système, il en faut plus que des assurances qui tiennent au paraître, comme cette décision de Tebboune de refuser le titre glorifiant de «fakhamatouhou» imposé par Bouteflika dans l'usage protocolaire présidentiel. C'est bon pour la modestie et l'humilité dans lesquelles le nouveau Président tient la fonction présidentielle, mais demeurer à l'écoute permanente des attentes populaires en sublimant le poste et la mission noble au service de la nation plus que l'homme qui l'incarne reste la démarche la plus appropriée et la plus valorisante pour s'attacher l'estime et le respect du peuple. Entre le candidat à la présidentielle qu'il était et le Président qu'il est devenu, la perception du hirak à son endroit a manifestement changé, passant du rejet unanime à des positions plurielles qui font apparaître au sein d'une faction du mouvement une disponibilité au dialogue auquel a invité Tebboune sous réserve de la réunion de certains préalables politiques, tels que la libération des détenus d'opinion, l'ouverture des champs politique et médiatique… Contraint de donner des gages à la fois au hirak et au pouvoir réel, comme cette distinction de l'ordre du mérite «Sadr» décerné au chef d'état-major, Gaïd Salah, qui ne manquera pas d'être politiquement interprétée, la marge de manœuvre du président Tebboune ne sera pas des plus aisées pour imprimer son empreinte à la tête de l'Exécutif.