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Tebboune: Une présidence difficile
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 19 - 12 - 2019

Elu ou mal élu, il est au four. La chaleur est torride, Le ciel d'Alger est nébuleux. Homme providentiel ou transitoire ? Saura-t-il mesurer le grand écart entre un discours de campagne et un autre officiel, responsable et es-qualité ? Aura t-il les quatre quarts présidentiels ?
Le 12 décembre 2019. Une aurore presque comme celle des autres jours. Le ciel d'Alger est brumeux. Un carrousel de convois policiers in cessant. C'est une journée qui va rester historique tant elle a segmenté le peuple pour mettre en porte-à-faux une ténacité contre une obstination. Ceux qui sont pour cette joute électorale et ceux qui la rejettent, la dénient, la réfutent.
Une guéguerre de nombre s'est instaurée pour faire dans la surenchère et la concurrence. La nuit, un calme ordinaire règne sous une pleine lune. Seule la circulation fait des vrombissements sans nul lien au scrutin. Les résultats préliminaires sont là. Deux candidats pour une présidence très difficile, puis au fil des heures le profil d'un seul candidat envahissait la toile, suscitait les émois.
...et l'élection eut lieu
Il y a à peine quelques temps les uns comme les autres pariaient qui sur la certitude que l'opération aura lieu à la date prévue, qui sur son annulation ou son report. C'était sans compter sur les confidences des palais. Chacun allait de son vœu, pas de son objectivité. Les medias et les réseaux sociaux ont été pour beaucoup de choses dans la fabrication des croyances quant à l'une ou l'autre version. Cependant la rue, les regroupements populaires qui se sont accrus ces derniers jours ont eu également leur part comme éléments objectifs d'analyse. Les marches nocturnes et la grève générale annoncée n'ont pu se faire escomptées dans la sarcelle de ceux qui y voyaient un assaut final. Le problème n'est pas le défaut de mobilisation ou d'absence de maturité politique le hirak étant noble à sa genèse quant il clamait le départ de Bedoui, de Bensalah, l'application des articles 7 et 8 il est dans le détournement de la substance revendicative. On lui a fait presque tout oublier, Bedoui, ses ministres résiduels de Bouteflika, les hydrocarbures, le découpage administratif et autres décisions hypothéquant l'avenir, pour le faire camper exclusivement sur le déroulement ou non de cette élection. Qui rappelons-le se poursuivra plus ardemment au-delà de cette date. L'on injecte en mode de pause momentanée une maladresse verbale par-ci d'un ministre de l'intérieur malhabile, une décision par-là d'un parlement européen le voyant au seuil de nos portes. Du simple avis du simple observateur ; l'on verra mal qu'un pouvoir de fait ayant tout à portée de main, puissance, loi, medias, institutions puisse faire marche arrière et remettre en cause une cause réfléchie et adoptée il y a plus de 9 mois. La conviction dans ce cas là n'est plus une dévotion plus qu'elle ne représente un challenge, un défi, pas envers les autres mais parfois envers soi, envers son propre amour. De l'autre coté, le même syndrome existe, l'on verra mal toute une partie du peuple mobilisée depuis plus de trois saisons, avec sacrifice, arrestations, interdictions et tant de déni de droits puisse tout aussi se déjuger et abandonner naïvement un mouvement salutaire qui a fait soulever toute un peuple provoquant du coup la révolution d'une génération.
Ce dernier mois n'était rempli que d'une actualité purement électorale au même moment où un procès inédit n'envahissait que la salle d'audience le temps de ses audiences. Tous les piliers politiques et financiers de l'ancien régime étaient au box des accusés. Au même moment où la loi de finances était promulguée sans coup férir. Au même moment où 2020 prépare ses griffes dévoreuses.
Un deuxième tour raté
De l'histoire du pays jamais une élection n'ait pu faire accéder les candidats à un second tour. Sans commenter les dessous ou les visibles de tous les taux annoncés officiels par-ci et rejetés par-là, le premier tour dans le contexte actuel de la dialectique électorale ne peut à lui seul enfanter un élu franc et indemne. Comment un candidat se disant libre et indépendant, sans attache partisane, âgé, enfant du régime puisse-t-il battre au premier round 4 candidats représentants 5 partis du même régime ?
L'espoir peu chenu y était pourtant pour cette fois-ci. Rien n'en fut. Ce second tour aurait fait gagner beaucoup plus d'authenticité de l'opération et lui aurait permis par ailleurs de sauver au moins les apparences quant à leur transparence, propreté et honnêteté profusément jurées. Sans dire que qu'il aurait été un élément quasi irréfragable quant à toute suspicion frauduleuse. Ce deuxième tour aurait tempéré également -dans une logique d'apaisement- un peu la chaleur rageuse qui secoue la frange qui s'y oppose. Il aurait été le cas échéant une autre complexité à gérer une prolongation de la crise vécue avec quelques longs jours, avec leurs lots d'indignations, de surenchères, d'escalades. Ainsi avec ce premier tour croit-on fermer du moins se rapprocher de la fermeture du Hirak. Rien n'est probant.
Tebboune, homme providentiel ou mal élu ?
Ce qui est maintenant fait est fait. Par quel subterfuge propagandiste Tebboune est arrivé aux dépends du «candidat du pouvoir» Mihoubi et les divers revirements et faux panneaux indicateurs de tendances; l'histoire s'en chargera. Son élection est certainement, outre un résultat de dépouillement de bulletins de vote pas seulement - mais une combinaison à plusieurs inconnues. Tournons nous vers l'avenir.
Depuis l'escroquerie de Bouteflika nulle personne n'est apte à se faire couronné d'une auréole providentielle. Il n'y a plus de messie ni de gourous, le dernier a été crucifié le 02 avril, les autres sont en prison. Il y a un peuple. On a vu, comment il fut charmeur de foules, bon orateur, promettant bonheur, progrès, salubrité, assainissement, concorde et réconciliation. Vingt après, il n'y a rien de tout cela. Le peuple est divisé, non pas sur des programmes ou des idéologies mais sur des personnes, leurs amours et leurs passions. Des régions mises sous séquestre, une crise politique des plus vicieuses, un peuple déboussolé, une société désossée, des conduites dépravées, une culture de rapine et d'esbroufe.
Alors, si Tebboune compte emprunter cette voie, qui en fait a fait durer la longévité de son innovateur avec en bout final une tragédie personnelle, familiale, sociétale et nationale ; il n'ira pas loin. Etre sincère et dire toute la vérité, sans chercher à endormir quiconque reste la voie royale au moins pour légitimer quelque peu son sacre.
Aura -t-il les quatre quarts présidentiels ?
On le connaît aguerri et bien cossu dans les terribles arcanes du pouvoir. Il passe pour connaître presque tout le monde, passant par ceux qui trainent entre la cellule et le prétoire que par ceux qui officient toujours au niveau de certains étages. Il lui serait donc plus aisé de pouvoir constituer son staff, à contrario de tout le vœu du moment. A la carte et au profil de son ex-entourage. Il se dit ne pas faire dans l'esprit de revanche, ni dans l'exclusion de quiconque. À l'euphorie de toute victoire on oublie vite le nouvel agenda et l'on zappe ce que l'on a dit et redit.
Il a joué à merveille la carte de l'anti français. Un atout fortement porteur. Il sait comme l'école qu'il a tout le temps fréquentée, faire dans l'émerveillement et l'ensorcellement des masses. Un Bouteflika au début de ses oraisons enivrantes. L'on dirait que le peuple a encore besoin d'un charisme, de quelqu'un qui sait tout, d'un va-t-on en guerre.
L'avenir va nous prouver s'il sera un président entier ou lui manquera t-il quelques pièces pour s'accomplir. Il est attendu d'abord dans la composition de son directoire, ses conseillers, assistants, consultants, puis de son gouvernement. Va-t-il agir dans le recyclage, dans son ancien répertoire ou dans son propre réseau intuitu-personae ? L'on se fait croire avoir les coudées franches lorsqu'on fait briser un tabou, casser un mythe, l'on déboulonne les orgueils et les biceps et l'on ose empêcher les volontés impopulaires actuelles.
Plus de fakhamatouhou, plus de cadre ni de longs applaudissements en posture debout !
On a beau a changer des constitutions par des constitutions, mais si le reflexe de l'accomplissement de la mission étatique reste toujours empreint d'entorses que l'on justifie par tout moyen le nouvel Etat promis n'émergera jamais. Un état normal est celui qui fonctionne naturellement et conformément aux lois et règlement. Ces 10 mois nous ont fait voir un gouvernement qui a piétiné toute légalité. Parti pour être un exécutif de gestion d'affaires courantes, il s'est instauré vaille que vaille dans le noyau et l'âme de l'Etat, rien ne lui résistait, des nominations suspectes aux prises de positions subjectives.
Comment expliquer la présence du ministre de la communication porte parole du gouvernement, ce jour le 16 décembre en visite à Batna ? Soit 3 jours après la proclamation des résultats d'une présidence toute fraiche. La règle normale aurait été que l'activité gouvernementale soit totalement figée, stoppée, gelée. Un gouvernement qui par là force du droit, d'une certaine légitimité va et doit partir. Alors que dire de ces probables décisions prises éventuellement lors du silence électorale ou en cette creuse période, entre l'élection et sa validation officielle ? Un regard est à jeter pour les invalider. D'emblée il n'en sera rien. Juré.
Il est tenu de s'accrocher à tout un autre vocabulaire. Plus de fakhamatouhou qu'il doit interdire explicitement, plus de cadre ni de longs applaudissements en posture debout, plus de ces termes que tout politicien rabâche depuis des années, le langage flniste. Il est dans l'obligation pour cette nouvelle république qu'il pense bâtir d'avoir lui aussi un nouveau dictionnaire à même d'être reçu par les jeunes au nom de qui il croit être venu.
Sa vision des choses publiques est elle aussi appelée a être reconfigurée, recadrée et éloignée de ces années là qui l'ont façonnée. Une démarche sincère, sans nulle insinuation, sans clin d'œil, sans ces drôles mimiques symptômes de vieux grincheux.
Ses premières actions
Une fois investi, il aura à mesurer le grand écart entre un discours de campagne et un autre officiel, responsable et es-qualité. Entre la facilité du verbe électoraliste et la lourdeur de l'acte présidentiel, il existe ou un homme ou un charlatan, une conscience ou une complaisance. A ce niveau-là, on ne parle plus, on agit, on décide.
L'on s'attend qu'il fasse arrêter les arrestations, interpellations ou réprimandes des manifestants pour un cri ou un autre. Valoriser la substance du Hirak tel qu'il est né en février. Silmiya, khawa et fin d'un système sous un 5 eme mandat. Le dialogue avec ce grand et inédit mouvement citoyen n'est pas chose facile. Il le serait si l'on arrêtait de le diaboliser, de lui injecter des matières virales pour croire le résilier ou le faire médire. Bien au contraire, le contenir à bras ouverts - pas seulement lui tendre une main - serait un accomplissement extraordinaire. Il n'y a qu'à écouter ce qui se dit pour en faire, en esprit de management une feuille vraie et véritable des revendications soulevées. Les étudier et décider. Le départ de tous les symboles de l'ancien système, c'est aussi simple la première fournée est déjà en justice ; il en reste ailleurs, faites-en le nécessaire. Créez la nette rupture en évitant de remettre en scelle les noms connus et reproduits. C'est cela la force responsable d'un président de la république « élu » par le peuple. C'est là où campe solennellement et légitimement toute l'essence des articles 7 et 8 d'une constitution jamais d'aplomb.
Si jamais il est envisagé quelque part de vouloir bloquer l'élan de ce mouvement par des intermèdes répressifs, contraignants, coercitifs, il ne faut pas se fier alors de dire qu'il est réduit ou a tendance à s'essouffler encore à mourir et s'éteindre. Il renaitra, un jour plus consistant, plus sournois.
Libérer définitivement la justice de la peur, du deux poids deux mesures, de l'orientation et rendre le magistrat ou «le juge l'homme le plus fort de la république» comme l'aurait dit un grand général français honni. Ainsi la perspective rendue impérative et inéluctable de faire libérer les détenus d'opinion saura se mesurer en gage de bonne foi et d'apaisement.
Enfin tout est urgent, tout est important. Reste cette image idyllique d'une Algérie tant rêvée où sur tous les plateaux de télévisions il y aura l'avis et son contraire, à la place Audin des fleurs et pas des fourgons de police, à l'université de la recherche et pas des clameurs ou des bastonnades, au Palais du gouvernement des ministres jeunes et sérieux et non pas des carriéristes et honteux , à l'Assemblée nationale des élus par compétence et non pas par allégeance, au Palais Zighoud un musée et non pas un Sénat moribond et clientéliste.
Es-ce-là mission impossible ? «Si on ne s'estime pas investi d'une mission, exister est difficile ; agir, impossible» disait Emil Cioran.


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