Le nouveau président de la République ira-t-il au bout de ses engagements ou se suffira-t-il de quelques réaménagements de façade ? Difficile de prévoir, mais la rue, elle, campe sur ses positions, et cela est une donne qu'il ne pourra en aucun cas éluder. Abdelmadjid Tebboune est officiellement président de la République. Son élection à la magistrature suprême confirmée par le Conseil constitutionnel a été officialisée, jeudi. En effet, le nouveau locataire d'El-Mouradia a prêté serment et a entamé sa mission à la tête de l'Etat. Avec cette ultime procédure protocolaire, c'est le pouvoir qui va au bout de sa logique de la "légalité constitutionnelle". Lors de la prestation de serment, Abdelmadjid Tebboune a réitéré ses engagements dont il fait un programme en complète rupture avec le système Bouteflika. La mission de "débouteflikisation" de l'Etat et des pratiques, selon le nouveau président, est un ensemble d'engagements pris avec les Algériens pour ce faire. Ainsi, il a souligné que l'expression "fakhamatouhou" (Son Excellence) doit être bannie du vocabulaire des Algériens. Tebboune lui préfère la formule "Monsieur le président". Les chantiers politiques que compte engager M. Tebboune se résument à la révision de la Constitution, perçue comme une urgence. "Je m'engage à un amendement de la Constitution, qui sera la pierre angulaire de la nouvelle République. Cet amendement se fera dans les mois à venir, sinon dans les semaines à venir, afin de répondre aux exigences exprimées par le peuple dans la rue. Il réduira les pouvoirs du président de la République, protégera le pays contre le pouvoir d'un seul homme, garantira la séparation et l'équilibre des pouvoirs et intensifiera la lutte contre la corruption." Ce premier chantier, que lancera incessamment M. Tebboune, se veut "un gage" de bonne volonté pour "accéder aux revendications du peuple". "(...) Les revendications du hirak, les voici réalisées. Pour celles qui restent, je renouvelle mon engagement de tendre la main à tout le monde, pour les satisfaire dans le cadre d'un consensus national et des lois de la République", a-t-il dit, mettant l'accent sur le fait que l'Etat serait "à l'écoute des aspirations profondes et légitimes de notre peuple au changement radical du mode de gouvernance et à l'avènement d'une nouvelle ère, fondée sur le respect des principes de la démocratie, de l'Etat de droit, de la justice sociale et des droits de l'Homme". "La situation que traverse le pays nous appelle, plus que jamais, à parfaire notre gouvernance pour corriger les points faibles de notre pays, réunir les conditions nécessaires à la relance de la croissance économique, au développement de notre pays", a-t-il encore souligné, ajoutant qu'il est urgent de "restaurer l'autorité de l'Etat, à travers la poursuite de la lutte contre la corruption, la politique d'impunité et les pratiques relatives à la distribution anarchique des recettes pétrolières". M. Tebboune a évoqué plusieurs autres sujets lors de son discours. Il a parlé de l'école et des programmes scolaires, de la situation économique et de la nécessité de la relancer, de la situation sociale, du logement, des libertés... Le choix du discours du nouveau locataire d'El-Mouradia n'est surtout pas fortuit. Son discours était plutôt destiné à la rue qui conteste toujours son élection et rejette la feuille de route du pouvoir. Même s'il est encore tôt pour porter un quelconque jugement sur la sincérité de ses engagements et sa capacité à les tenir, il n'en demeure pas moins que la mission est très ardue. Face à cette mission, l'ancien ministre de l'Habitat sous Bouteflika part avec un handicap, à savoir un manque de légitimité populaire. Elu à l'issue d'une élection largement boudée et fortement contestée, Abdelmadjid Tebboune est devant une situation très difficile, tant ses engagements exigent un soutien et une adhésion populaires. La constance de la rue et sa fidélité à ses exigences ne peuvent être bouleversées par un discours de circonstance. Les promesses faites par M. Tebboune, en deçà ou au-delà des exigences de la rue, relèvent d'un discours d'investiture. Des signes forts de sa bonne volonté à accéder aux revendications de la rue à travers des gestes d'apaisement, comme la libération des détenus d'opinion, étaient absents dans son discours. D'aucuns ont estimé que le nouveau président pouvait évoquer ce volet au lieu de détailler son projet quinquennal. Abdelmadjid Tebboune ira-t-il au bout de ses engagements ou se suffira-t-il de quelques rafistolages et de quelques réaménagements de façade ? Difficile de prévoir, mais la rue, elle, campe sur ses positions, et cela est une donne que M. Tebboune ne pourra en aucun cas éluder.