Mourad Merdaci. Psychopathologue, universitaire, chercheur : Un travail de dépossession Les mesures restrictives du ministère de l'Enseignement supérieur contre la communauté des enseignants chercheurs algériens marquent vraisemblablement un travail de dépossession. Cette situation est particulièrement inquiétante dans une conjoncture d'enlisement circulaire des arguments sociopolitiques. Car comment lire cette résolution paradoxale autrement que comme l'expression symptomatique du dérèglement des libertés, pas seulement académiques, mais sociétales. Aussi, toute dépréciation de la capacité de penser et de dire est une fermeture de l'information, des réciprocités et des communications horizontales. Une conflictualisation de la vie et des charges qui s'y attachent. Les procédures d'empêchement ou de filtrage de la participation des universitaires aux colloques et aux divers forums de pensée dans le monde s'assimilent nécessairement à une forme d'immaturation des acteurs de l'université, de la société civile et politique et, consubstantiellement, de tous les producteurs de proposition critique. La dimension de risque me paraît importante, car elle affecte la régénération implicite des systèmes d'argumentation intellectuelle et, prosaïquement, l'acquisition de nouveaux savoirs qui font cruellement défaut à l'université algérienne. Pour toutes les nations du monde, l'accélération des changements sociétaux, économiques et politiques s'accompagne du renouvellement des gisements d'idées, des ressources prospectives et des schémas opératoires de fonctionnement à travers la recherche fondamentale, les découvertes technologiques, la simulation critique, la mobilité des échanges et des parcours et les inventaires de risques. Je veux citer deux exemples de l'histoire immédiate. 1. La volonté de l'Etat français de réformer son université, que la communauté universitaire considérait vieillie, décadente et à la traîne des universités américaines, notamment. Déterminé par ce constat de stagnation, le président Sarkozy avait alors promis et projeté dans ses échéances politiques la propulsion de l'université française vers un meilleur score dans le classement de Shangai. Pourtant, la France du savoir, forte des plus importantes structures de recherche au monde, ne figure pas parmi les 100 premiers. 2. Un autre exemple saisissant me semble être la compulsion à la créativité des communautés de savoirs issues de sociétés émergentes (Inde, Mexique, Brésil, Iran, Pakistan, Turquie, Egypte et, plus proche de nous, la Tunisie). Le développement de compétences informées aux protocoles de recherches, aux outils de production et aux modalités didactiques s'attachent à des champs d'intérêt multiples : enseignement, santé, production agricole, énergies, transformations de matières premières, génétique, communication, alimentation, technologies modernes, etc. Peut-on réellement, en Algérie, faire l'économie de la remise en cause de nos certitudes, envisager nos fragilités et admettre l'insuffisance de nos propositions sur les nombreuses situations d'urgence du pays ? Toute forme d'isolement du travail de la pensée, particulièrement dans la situation actuelle de délitement de la vie universitaire, serait préjudiciable au développement de la capacité de reconnaître et de nommer les dimensions de crise, les souffrances et les aspirations à la dignité. Pour un ordre d'idée : un universitaire peut consacrer deux tiers de son existence à forger un esprit de synthèse qui ne sera pertinent que par les diverses passerelles de l'actualisation de l'information générale et scientifique, du développement de nouveaux a priori dans la confrontation avec d'autres communautés universitaires dans un contexte toujours reformulé, recherché et valorisé de compétition, d'échange et de partage. Car la qualification au savoir est, certes, une élaboration de solitude, mais excentrée et médiatique ; elle est consacrée par une éthique impartiale, celle des pairs, sans référence à la volonté des régnants. Ahmed Rouadjia. Docteur d'Etat en histoire, en sociologie politique, enseignant et chercheur associé au Centre national de la recherche scientifique (France) : Le clivage entre le politique et le scientifique n'a pas de raison d'être Difficile de décrypter d'emblée les intentions réelles, manifestes ou cachées que sous-tendent ces mesures. Mais ce qui transparaît cependant en filigrane dans la notice ministérielle, c'est la volonté de mettre sous coupe réglée, de domestiquer pour je ne sais quelle raison d'Etat les chercheurs et la recherche scientifique qui, déjà, se trouvent à l'intérieur même du pays soumis de manière drastique au contrôle administratif dont la logique s'inscrit en porte à faux avec l'« esprit critique » et la « liberté académique » dont parle la Charte déontologique universitaire conçue et mise en circulation par ces mêmes fonctionnaires du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Restreindre la liberté de circulation et de participation des chercheurs aux rencontres internationales ressort, de mon point de vue, d'une politique qui va à l'encontre des intérêts même de l'Etat algérien. Car on ne peut pas, à partir d'un point de vue contraire à celui de l'Etat, émis par un chercheur dans un pays étranger et qui n'engage que sa personne, chambouler toute une politique nationale de recherche en la soumettant au contrôle et à la censure du politique et de l'administratif. Ces mesures sont illogiques. Elles ne servent pas les intérêts stratégiques de l'Etat. Elles sont bêtes et scélérates. La raison en est simple et claire comme l'eau de roche : en restreignant la liberté de penser des chercheurs, fussent-ils fautifs et faillibles, et en limitant leur participation aux colloques internationaux, aux échanges scientifiques de toute nature (science « dure » et science « molle » confondues) l'Etat se prive des ressources d'information et d'analyse dont il a besoin pour conduire une bonne politique, interne et étrangère, conforme à ses intérêts. L'Etat ne peut se fier et baser sa politique sur les colportages et les commérages de certains de ses agents aussi inconscients qu'intéressés, mais sur les rapports de ses agents compétents et fiables pour qu'il puisse limiter au strict minimum ses marges d'erreur en matière de conduite politique. En quoi, par exemple, l'intervention d'un chercheur national sur un sujet aussi passionné que « sensible » comme celui de l'intégrisme ravageur ou sur le Sahara occidental soumis au diktat marocain peut-il constituer une atteinte à la sécurité nationale et à l'image de la politique extérieure du pays ? Dans les deux cas, un chercheur pourrait bien exprimer un point de vue différent de la ligne officielle de son Etat sans que ce point de vue ne puisse en rien influer sur cette dernière. Au contraire, un tel point de vue « iconoclaste » pourrait donner à l'Etat une photographie plus large et plus nette de son paysage politique et de la pluralité, d'ailleurs enrichissante, qui s'y manifeste. Ce que la notice ministérielle citée oublie, c'est que la plupart des Etats « civilisés » et modernes fondent, en grande partie, leur politique étrangère sur les informations et les analyses que leurs fournissent leurs chercheurs envoyés aux quatre coins du monde. En apportant la contradiction à la ligne officielle de leur Etat, les chercheurs aident souvent les décideurs à conduire une politique interne et étrangère mieux adaptée aux conjonctures changeantes, d'ordres politique, économique, social et aussi sécuritaire. Nous savons que la politique étrangère des USA, tout comme d'ailleurs celle de l'Europe et d'ailleurs, s'inspire et s'éclaire non pas uniquement par le seul travail des divers services secrets et des diplomates chevronnés, mais aussi et souvent par les investigations de tous ordres conduites par les institutions de recherche scientifique dont les chercheurs essaiment partout dans le monde en quête « d'indices » susceptibles d'éclairer les politiques de leur pays. La mobilité des chercheurs et, partant, leur liberté d'agir et de penser n'est subordonnée à nul « accord préalable » et n'obéit pas, comme c'est le cas chez les diplomates, aux règles de prudence et de réserve. L'impact de ces nouvelles conditions sur les secteurs de l'université et de la recherche scientifique en Algérie aura, d'après moi, pour conséquence inévitable de couper encore plus la communauté des chercheurs nationaux des échanges avec l'extérieur et de les tenir à l'écart des évolutions se produisant au niveau des innovations technologiques et scientifiques. Scélérates, ces mesures condamnent à l'autarcie notre communauté, déjà végétante, fragilisée, marginalisée et méprisée par la bêtise parlante, pourrait-on dire, d'une administration aux horizons bornés aux seuls désirs d'imposer et d'en imposer. En créant de toutes pièces entre le politique, l'administratif et le scientifique un clivage, une sorte d'opposition qui n'a point de raison d'être et en subordonnant la recherche scientifique à la logique administrative, rigide et « technique », notre gouvernement a fini par susciter entre les divers niveaux, non pas une solidarité complémentaire, mais une césure qui fait perdre à l'Etat la possibilité d'exploiter les ressources matérielles et d'intelligence dont il dispose de manière efficiente. Cette césure lui ôte crédibilité et cohérence et l'expose à agir de manière hâtive et improvisée, quelquefois. Prenons encore un exemple intelligent : aux USA (je pourrais citer la Chine comme exemple) on mise autant sur les chercheurs que sur les services de renseignement pour éclairer la politique de la Maison-Blanche et du Pentagone et renforcer la capacité de l'Etat fédéral à faire face aux défis des conjonctures politiques internes et internationales. D'ailleurs, les services secrets de ce pays puisent l'essentiel de leurs informations des chercheurs qu'ils sollicitent, écoutent et respectent. Dans ce pays, comme dans bien d'autres, les scientifiques sont étroitement associés à la conduite des affaires politiques de l'Etat, et ne sont pas regardés, comme chez nous, avec mépris hautain, mais vus et respectés comme des partenaires, non comme ennemis « potentiels », mais comme des égaux et à qui on demande aide et conseil. Pourquoi n'agit-on pas de la sorte, chez nous ? Et je conclus par deux questions : comment un bureaucrate ou un groupe restreint de bureaucrates au MESRS peut-il s'arroger le droit de dire aux chercheurs ce qu'ils doivent ou ne doivent pas faire ? Est-il normal qu'une seule note rédigée de la main d'un fonctionnaire, fut-il haut et grand, scelle le destin de toute une communauté et la condamne ainsi au rebut de l'histoire ? Daho Djerbal. Maître de conférences en histoire contemporaine (université de Bouzaréah) : Les universités ne sont pas là pour servir au pouvoir et à ses potentats La question des atteintes aux libertés académiques qui défraye la chronique depuis la publication par le MESRS de la circulaire du 18 mai 2010 n'est pas un fait nouveau en Algérie ; elle n'est pas non plus propre à notre seul pays. Un auteur vient de publier un long article sur le débat qui agite les universités et la recherche scientifique en France depuis la promulgation de la loi Savary et celle dite LRU. Dans ce débat, il apparaît avec évidence que sans garanties institutionnelles portant sur l'autonomie des universités, la liberté académique serait menacée. Aux Etats-Unis également, des auteurs se sont penchés sur le rapport particulier entre l'extrémisme politique, le pouvoir des corporations, et l'université . En substance, ces auteurs considèrent que « le point de départ pour comprendre la justification de la liberté académique est la nature spéciale d'une université, une institution singulière » . Il faut comprendre par là qu'une université n'est pas et ne peut pas être un appareil d'Etat au sens strict du terme au même titre qu'un ministère de l'Intérieur, par exemple, ni l'organe d'expression d'un parti quel qu'il soit. Pour eux, la liberté académique est la structure fondamentale de l'université qui permet aux universitaires d'exercer correctement leur métier, non pas pour leur bien-être particulier, mais pour le bien commun. Tout le problème de l'autonomie de l'université, de l'enseignement et de la recherche scientifique est ainsi posé. En effet, pour Olivier Beaud, « la liberté académique n'est pas un privilège inventé par les universitaires pour jouir d'une situation exorbitante du droit commun. Elle est un moyen qui permet à l'université de réaliser ses propres fins en disposant d'un corps professoral jouissant de la liberté nécessaire pour accomplir correctement son travail. Elle doit donc servir l'ensemble de la communauté universitaire et par là-même l'ensemble de la société » . Dans une Algérie qui n'a pas encore atteint le stade de la séparation des pouvoirs dans un Etat qui a du mal à se poser comme tiers arbitre, c'est-à-dire comme régulateur central logique représentant l'ensemble des intérêts de la nation et non un intérêt particulier parmi d'autres. Dans une Algérie où l'Etat accapare le bien public et le transforme en propriété privée patrimonialisée. Dans cette Algérie-là, il est d'une nécessité vitale pour la nation non pas de favoriser l'existence d'un contre-pouvoir, mais de défendre l'université comme institution autonome. Dans des pays où la démocratie a été instituée au cours de longues luttes sociales et politiques, la loi établit que « les universités [...] ont pour mission fondamentale l'élaboration et la transmission de la connaissance, le développement de la recherche et la formation des hommes » ; elles ne sont pas là pour servir au pouvoir exécutif et à ses différents potentats. Il est bon de rappeler, comme le fait Karl Jaspers, que « la tâche de l'université est de permettre la recherche de la vérité à la communauté des chercheurs et des étudiants (s) ». Et tous les commentateurs de s'accorder que « la recherche gratuite de la vérité, en tant que finalité, s'appuie sur le moyen d'une institution qui est justement l'université ». La raison d'être de celle-ci est « l'accroissement de la somme du savoir humain » ou encore « la création d'un nouveau savoir (12) ». Ce lien entre le savoir et l'université est précisément le propre de l'université moderne. Nous pourrions ajouter d'une université et d'une société libres. C'est pour ces raisons qu'il faut chercher à construire l'université pour qu'elle continue à produire du savoir et un savoir qui se renouvelle constamment pour le bien de la nation et non pour celui d'un gouvernement, d'un parti ou d'une alliance de partis. Pour cela, Olivier Beaud rappelle qu'il faut que « les producteurs de ce savoir jouissent d'une grande liberté pour se consacrer exclusivement à ce travail difficile de création d'un nouveau savoi, et qu'ils enseignent librement à des individus libres, les étudiants. Dès lors, l'enseignement universitaire n'a pas seulement pour but de délivrer des diplômes ayant une valeur marchande sur le marché du travail, mais aussi celui de former des esprits disposant d'« indépendance d'esprit », des hommes qui ne reçoivent pas passivement des connaissances, mais qui contribueront ensuite à améliorer le savoir en le remettant en cause ». Nous pensons, avec l'auteur de ces passages, que notre rôle est de former des femmes et des hommes libres dotés d'un savoir à même de les aider à s'émanciper et émanciper leur société de toutes les formes d'assujettissement. 1. Olivier Beaud, Les libertés universitaires I & II, Commentaire, n° 129-130 2010 2. Robert O'Neil, Academic Freedom in the wired World, Political Extremism, Corporate Power, and the Universities, Cambridge, Mass., Harvard university Press, 2008. 3. Id. Farid Cherbal. Enseignant-chercheur à la faculté des sciences biologiques (USTHB) : Cette circulaire prépare l'installation de la police de la pensée Par quels mécanismes et voies impénétrables des universitaires qui ont juste participé à des colloques à l'étranger, parlant en leur nom et ne représentant que leur propre personne, ont pu fragiliser la position de notre pays et de notre diplomatie sur des sujets sensibles de politique internationale ? Ces universitaires ne sont ni des diplomates, ni des représentants officiels de l'Etat algérien, ni des élus du peuple algérien ; tout ce qu'ils ont dit/disent/diront dans les colloques/congrès à l'étranger n'engagent que leur personne. De plus, un universitaire, comme n'importe quel citoyen algérien, a le droit d'avoir ses propres opinions sur les sujets de politique internationale. Et même si ses opinions sont contraires à celles du pouvoir, cela s'appelle la liberté de pensée et d'opinion garantie par la Constitution. Des milliers d'universitaires et d'intellectuels à travers le monde ont des positions politiques et des opinions radicalement différentes de celles de leur gouvernement et pouvoir politique sur des sujets de politique internationale, d'économie et d'environnement – comme le dossier nucléaire iranien, la crise financière, le réchauffement de la planète –sans que leur gouvernement ne remette en cause, dans leurs pays respectifs, les libertés de pensée, de circulation et les libertés académiques dans leurs universités. Les positions politiques de ces intellectuels et universitaires n'ont jamais causé de dommage à l'action internationale de leurs pays respectifs. Pour revenir à la circulaire du 18 mai, une question mérite d'être posée : quels objectifs stratégiques vise-t-elle ? Cette circulaire remet en cause des libertés fondamentales (d'opinion, de pensée et de circulation) consacrées par la Constitution. Elle remet aussi en cause les libertés académiques et la liberté de recherche consacrées par la Charte et les textes de l'Unesco qui régissent l'activité académique des établissements de l'enseignement supérieur. La circulaire du 18 mai prépare aussi l'installation, dans un futur proche, de la police de la pensée dans les campus algériens en vue d'éradiquer les libertés académiques et la liberté de recherche dans les sciences sociales, dans un premier temps, puis dans les sciences et technologie dans une deuxième étape. Si cela arrivait, les conséquences seraient terribles pour l'université algérienne et pour le programme national de recherche scientifique (2010-2014). L'université et la recherche scientifique en Algérie rejoindraient alors les dinosaures dans le musée de l'histoire. C'est pour cela qu'il est urgent que les universitaires se mobilisent pour exiger l'abrogation de cette circulaire et rappeler avec force aux pouvoirs publics que la seule et unique autorité capable de juger leurs travaux est l'autorité académique et scientifique, conformément à l'éthique universitaire et aux textes de l'Unesco. Réda Djebbar. Enseignant-chercheur à la faculté des sciences biologiques (USTHB) : Non, l'enseignant-chercheur algérien n'est pas un faussaire Ces derniers jours, par voie de presse nous parviennent des échos concernant « des restrictions » dans la formation et les rencontres scientifiques organisées à l'étranger. Rien que des échos, pour vous dire le degré de transparence et le niveau de communication qui caractérisent l'université algérienne. J'entends dire que des enseignants-chercheurs vont faire du tourisme, que les stages et rencontres scientifiques ne seront pas autorisés en été et en fin d'année parce que les universités sont fermées et que les rencontres scientifiques n'ont pas lieu durant ces périodes. C'est tout ce qu'il y a de plus faux ! Les laboratoires européens (par exemple) sont ouverts en été et même durant les fêtes de fin d'année ! Les rencontres scientifiques, tout ce qu'il y a de plus sérieux, ont lieu en été et, d'ailleurs, c'est la période idéale pour certains puisqu'ils se libèrent de leurs tâches. Moi-même j'ai passé les mois de juillet et août de l'année 2006 au laboratoire et j'ai même « fêté » le nouvel an 2007 au laboratoire puisque j'y étais à minuit ! J'ai manipulé les samedis et les dimanches, jour et nuit, jusqu'à des heures pas possibles. Mon exemple n'est pas unique ni anecdotique. Beaucoup de mes collègues en font de même. Non, nous ne faisons pas du tourisme ni du shopping. Cela coûte très cher et ce n'est pas notre maigre pécule qui nous permet de le faire. Pour les plus chanceux, le moindre lieu d'hébergement revient à plus de 50% de la somme allouée. Ensuite, il faut manger, il faut payer son transport, etc. Ainsi, certains puisent dans leurs propres deniers pour prolonger leur séjour afin d'achever le travail entamé. Faut-il rappeler aussi que le stagiaire n'est pas « en congé » ? Lors de son absence, il doit se faire remplacer par un collègue qu'il doit « rembourser » à son retour en le remplaçant à son tour. Concernant les rencontres scientifiques, j'entends dire que pour les « sujets sensibles », les enseignants-chercheurs seront soumis à un « imprimatur ». Faut-il penser, alors, que les chercheurs sont des représentants officiels de l'Etat algérien ? Représentants « moraux » de l'Algérie, oui, j'en conviens dans la mesure où l'enseignant-chercheur (et pas que lui) doit être exemplaire et digne dans son comportement. Ainsi, l'enseignant-chercheur présente ses propres thèses, mais n'est pas censé défendre le point de vue de l'Etat algérien. Les ambassadeurs, dont c'est la fonction, s'en occupent plus ou moins bien. Maintenant concernant les dérives (et il y en a, malheureusement), faut-il rappeler que des mécanismes de contrôle existent a priori et a posteriori ? Ces mécanismes sont assurés par les conseils scientifiques qui ont pour prérogatives de veiller à ce que l'enseignant-chercheur mérite bien la formation (lettre d'accueil, plan de travail, pertinence…) ou la participation à une rencontre scientifique (lettre d'acceptation, niveau de la rencontre scientifique, contenu de la communication, pertinence…). A posteriori, le bénéficiaire doit justifier d'un rapport de stage ou d'une attestation dûment visés par la structure d'accueil. La seule question qui se pose alors est la suivante : certains conseils scientifiques jouent-ils vraiment leur rôle ? Non, tous les enseignants-chercheurs ne sont pas des tricheurs ni des malhonnêtes. Des tricheurs et des malhonnêtes, il doit en exister comme il en existe dans tous les corps. Il s'agit de les débusquer sans jeter l'opprobre sur toute une corporation qui n'aspire qu'à élever la recherche algérienne au niveau international, avec des moyens qui ne sont pas toujours disponibles. Les enseignants-chercheurs algériens n'ont pas besoin d'une telle polémique. Ils demandent seulement une meilleure rémunération par la promulgation du régime indemnitaire qui tarde à venir. Ils demandent plus de considération et plus de moyens pour mener à bien leurs travaux. Faut-il alors pousser la paranoïa jusqu'à penser que cette diversion tend à cacher les vrais problèmes que rencontre quotidiennement l'enseignant-chercheur algérien ? Aujourd'hui, le défi est scientifique et technologique. A nous de le relever en y mettant tous les moyens.