Les pouvoirs publics sont-ils en train de verrouiller les libertés académiques ? La liberté des universitaires et des chercheurs est-elle menacée ? Ce sont autant d'inquiétudes que les enseignants universitaires expriment, après que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique eut introduit des mesures restrictives sur la participation des enseignants chercheurs en sciences sociales aux congrès et colloques à l'étranger. Il est laissé à l'appréciation des recteurs de décider si un enseignant doit participer à un colloque ou à un séminaire à l'étranger. Un tour de vis et un bâillonnement de la pensée libre, voire un retour à « l'ignoble autorisation de sortie imposée aux citoyens dans les années 1970 ». Des universitaires, scandalisés par une directive « policière », affirment ne pas « se laisser faire » et se disent décidés à « riposter » à ce qui s'apparente à une police de la pensée qui s'installe au sein de l'université. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui s'est saisi d'un cas d'enseignants « accusés » d'avoir pris des positions « allant à l'encontre de celles de l'Etat algérien au sujet du Sahara occidental » lors d'un colloque organisé au Maroc, a décidé de « priver » des chercheurs algériens de prendre part aux manifestations scientifiques à l'étranger. Ce sont la libre circulation et le droit à l'expression – pourtant garantis par la Constitution algérienne – qui sont menacés. La chercheuse universitaire Khaoula Taleb-Ibrahim dénonce une « tentative d'enfermement ». « Il y a un risque d'atteinte aux libertés académiques », s'est plaint pour sa part Hassan Remaoun, historien de l'université d'Oran et chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc). Il a estimé que la décision du ministère est « une mauvaise chose et ce n'est pas une bonne méthode. Elle est autoritaire. Il ne faut pas que le ministère de l'Enseignement supérieur devienne une annexe des services de sécurité ou du ministère de l'Intérieur », a indiqué M. Remaoun. Ce dernier a estimé, par ailleurs, que l'Etat « peut intervenir, mais il ne faut pas que l'universitaire fonctionne sous injonction ». Evoquant, le cas des enseignants ayant participé au colloque au Maroc, M. Remaoun a précisé que les chercheurs « ne sont pas des diplomates » et, de ce fait, ils ont le droit d'avoir une opinion en toute liberté. La police de la pensée s'installe à l'université Mais « cela dit, ils doivent être responsables », estimant qu'il y a toujours « des tentatives de manipulation et que le politique instrumentalise souvent la recherche ». C'est pour cette raison que le chercheur du Crasc préconise qu'il y ait « un minimum d'autonomie de l'université algérienne », en rappelant que « même lorsque l'Algérie vivait dans l'isolement durant les années 1990, Le CNRS (France) n'a jamais interdit à ses chercheurs de venir en Algérie ». Même sentiment de révolte et d'indignation chez Zoubir Arous, chercheur en sociologie à l'université d'Alger : « La situation est grave. Il s'agit là d'une velléité de restreindre les libertés académiques et une grave atteinte à la fonction de l'enseignant. Le chercheur est un producteur et diffuseur du savoir, et brider ses déplacements équivaudrait à limiter la diffusion du savoir dans la société », a-t-il mis en garde. L'oukase des autorités politiques exprime « une situation politique caractérisée par un recul tragique des libertés. L'enseignant n'est pas un homme politique pour qu'on lui applique des lois du ministère de l'Intérieur », avertit Z. Arous, qui fait le parallèle avec les années 1970 lorsque « les autorités politiques décidaient du contenu du sermon que devaient lire les imams ». De son côté, Abderezak Dourari, professeur en sciences du langage à l'université d'Alger, a considéré que « s'il y a un incident, ce n'est pas une raison pour limiter la liberté d'opinion des chercheurs, même s'il s'agit de questions sensibles ». Le CNES, dans une déclaration rendue publique hier, dit regretter « l'intronisation de la mesure restrictive de participation aux congrès à l'étranger qui ne peut être considérée que comme "pénalisante" qui porte atteinte à toute la communauté universitaire » et « n'arrange guère la promotion de la recherche scientifique en Algérie ». « Ce serait vraiment malhonnête de qualifier tous les enseignants chercheurs partant à l'étranger dans ce cadre de faire du tourisme ou autres activités. Certes, il y a peut-être une minorité qui altère l'image de marque de l'université algérienne par des participations qui suscitent des interrogations, mais en contrepartie, il y a une majorité qui honore dignement ses engagements. » S'il y a des dérapages, « ils sont en grande majorité dus à la complicité de l'administration qui tolère des participations nébuleuses », fait savoir le syndicat du supérieur. En somme, la position des autorités politiques à travers de telles mesures traduit une suspicion à l'égard des chercheurs et enseignants significative d'un pouvoir qui verrouille tous les espaces démocratiques.