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Les enfants de chouhada : Droits légaux confisqués
Publié dans El Watan le 11 - 07 - 2010

Les veuves de chahids ont dû se contenter d'une pension de compensation (article 24 de la loi 99-07), à une fois et demie le SNMG (salaire national minimum garanti). Celle du moudjahid est de deux fois et demie le SNMG (article 14 de l' ordonnance présidentielle 96-18 du 6 juillet 1996). Pourquoi cette discrimination ? Faut-il croire que le moudjahid est plus dans le besoin que la veuve de chahid ?
Il les aura spoliés d'un manque à gagner financier de neuf années de leur travail. Un déni de leurs droits. Pour autant, la loi 99-07, dans son article 3 (titre l, principes généraux) reconnaît que « les droits des moudjahidine et des ayants droit des chouhada constituent une dette pour la société... et qu'il incombe à l'Etat de l'honorer et d'assumer les charges et obligations qui en découlent ». De plus, dans son article 50, (chapitre II, titre IV, cette loi exhorte l'Etat à « protéger les moudjahidine et les ayants droit de tout abus susceptible de les priver de leurs droits légaux ». A l'évidence, nous ne serons pas dans ce cas de figure. Les pouvoirs publics algériens auront commis l'abus. La loi 99-07 doit entrer en application à partir de la date de sa parution au JO, quand bien même l'Etat a tardé à mettre en place le dispositif réglementaire nécessaire à sa mise en œuvre. Ce n'est pas là un effet de rétroactivité, et aucune entorse aux principes juridiques n'est commise.
Le lecteur doit se souvenir que les pouvoirs publics ne se sont pas encombrés de scrupules quand il a fallu attribuer un effet de rétroactivité à des lois ou ordonnances. Il aura suffi d'introduire l'article qui lève la contrainte légale. Ce qui a été fait, notamment concernant l'ordonnance 08-03 du premier septembre 2008. Un texte, dont la presse nationale a fait un large écho, qui modifie le montant de l'indemnité de base du parlementaire et fixe le point indiciaire à 15505. Une modification qui a multiplié par trois le salaire du député et du sénateur et qui prend naturellement effet, par la grâce de son article 2, à partir du mois de janvier de la même année.
Un effet rétroactif et un gain (financier bien sûr) de 8 mois pour la législature en cours mais avec également — le lecteur doit en prendre connaissance — un nouveau calcul des retraites pour toutes les législatures précédentes. Bien sûr, chacun s'en souvient, ce cadeau est venu en contrepartie du vote de l'amendement de la Constitution par les parlementaires de l'actuel mandat. Il n'est pas inintéressant de rappeler que les précédentes législatures étaient peuplées de députés et sénateurs provenant du parti unique.
Filles et fils de chouhada n'ont, pour la plupart, pas connu leurs pères ou n'en gardent qu'un vague souvenir. Ils ne leur connaissent pas, non plus, de sépulture. Ils ne sauront jamais si leurs corps ont été ensevelis ou abandonnés, compte tenu des circonstances, à la merci des animaux sauvages. Veuves et enfants ont été nombreux, dans les jours qui ont suivi l'indépendance, à battre les campagnes pour aller à la recherche d'une hypothétique tombe... en vain. Puis, il a fallu se résigner et abandonner les recherches. Le plus dur était de faire le deuil sans dépouille, sans tombeau. L'ont-ils fait, ce deuil ? Sans doute, ils auront essayé. Ils ont été, dans tous les cas, forcés d'aller de l'avant. Le plus urgent était de continuer à vivre. C'est ce qu'ils ont fait. Le lecteur, notamment le plus jeune, doit savoir que les autorités algériennes nouvellement installées au pouvoir, à la libération du pays, n'ont pas apporté aux familles l'aide attendue dans les recherches qu'elles ont entreprises pour retrouver les corps de leurs martyrs. Ces autorités étaient, sans doute, plus préoccupées par leur maintien au sommet de l'Etat. Il faut souligner que la lutte pour y parvenir était impitoyable.
Aujourd'hui, les veuves de chouhada commencent à disparaître, du fait de leur âge avancé. Les plus jeunes des enfants ont celui (l'âge) de l'indépendance de notre pays, 50 ans. Certains sont grands-pères ou grands-mères et ceux qui sont déjà à la retraite sont sûrement très nombreux. Pour autant, il leur est interdit, au crépuscule de leur vie, de jouir tranquillement de leurs droits légaux. Ils sont contraints de se battre pour les arracher. Si les pouvoirs publics ne se sont guère souciés du devenir des veuves et des orphelins de chouhada, on peut en dire autant des compagnons de lutte, les moudjahidine. Ces derniers qui ont, pour une grande majorité, choisi d'être à la périphérie du pouvoir se sont exclusivement inquiétés de leur destin personnel, des intérêts énormes sur lesquels a veillé sans faillir la puissante Organisation nationale des moudjahidine (ONM). Est-il besoin de rappeler que cette dernière est un solide allié (c'est un euphémisme) du régime au pouvoir depuis 1962 ?
Des pensions de compensation et des pensions d'invalidité — les attributaires sont naturellement tous de grands invalides, handicapés permanents assistés par une tierce personne... (article 22, loi 99-07, relative au moudjahid et au chahid)— sont versées à des personnes qui ont souvent continué à occuper des postes de travail et à percevoir des salaires. Les bénéficiaires de ces largesses sont fonctionnaires et occupent des postes de responsabilité, des commis de l'Etat, quelquefois des ministres, des walis, des magistrats, etc. Parce que, pour accéder à de tels postes, toutes ces personnes doivent se confectionner un cv et celui-ci doit bien sûr (obligatoirement) comporter la mention « ancien moudjahid ». Voilà pourquoi le budget du ministère des Moudjahidine est toujours colossal. Pour l'année 2010, il est de 145 milliards 405 millions de dinars, le sixième budget de l'Etat.
Le double des budgets réunis des ministères de la Jeunesse et des Sports, de la Culture, de la Formation professionnelle, de la Petite et Moyenne entreprise et de l'Environnement, Tourisme et Aménagement du territoire. Tous des ministères en charge des préoccupations de la jeunesse et pourvoyeurs d'emplois, des départements ministériels qui devraient garantir la paix et la stabilité sociales, et l'avenir du pays. 109 milliards 400 millions de dinars — plus des deux tiers du budget global du ministère — sont réservés aux seules pensions. Une somme considérable et une rente servie généreusement à une population qui subit une constante inflation de son nombre, au gré des nécessités et des rapports de force qui agitent le sommet de l'Etat, une population particulièrement convoitée pour les besoins des échéances électorales, une course au recrutement que se partagent, chacun le sait, les partis politiques qui se revendiquent de la « famille révolutionnaire ».
Les revendications des moudjahidine sont difficiles à satisfaire. C'est pourquoi, en plus des pensions et salaires, ils veulent encore obtenir des avantages en nature, des licences de cafés et de bars, de vente d'alcool à emporter, d'importation de voitures ... Une gloutonnerie qui n'a d'égale que l'avidité qui la motive, un devoir envers la patrie qui s'échoue dans un lamentable marchandage et un engagement pour la libération de la nation qui se négocie et se monnaye, un déshonneur, à moins que la richesse à tout prix ne donne l'illusion, « quoi qu'on fasse, on ne peut se déshonorer quand on est riche... ». Les anciens maquisards, les authentiques moudjahidine comprendront que cette allusion ne leur est pas destinée. Ceux-là se reconnaitront car ils savent qu'ils ont, comme leurs compagnons tombés au champ d'honneur, simplement accompli leur devoir de patriote. Ils ont libéré leur pays du colonialisme français et sont, sans rien demander, rentrés chez eux. Leur honneur est sauf.
A la fin des hostilités de la Deuxième Guerre mondiale, le président Tito a demandé aux combattants qui n'ont pas été blessés durant le conflit de se mettre au travail pour reconstruire la nation. « Vous avez fait votre devoir pour la patrie », leur a-t-il simplement dit. Les personnes handicapées, du fait des blessures graves occasionnées par le conflit, sont rentrées chez elles avec une pension d'invalidité et les honneurs qui leur étaient dus. Assurément, c'est ce que l'Etat algérien aurait dû faire après le recouvrement de notre liberté. Mais les objectifs des dirigeants de l'Algérie nouvellement indépendante n'étaient pas identiques à ceux de Tito. Ceux-là avaient déjà mis en place les conditions pour garder le pouvoir. Les moudjahidine dont le nombre a, depuis l'indépendance, considérablement augmenté, et leur organisation, l'ONM, étaient déjà des éléments importants de la stratégie que le régime avait mise en place pour durer.
La veuve du chahid ne faisait pas partie du système. C'est pourquoi, dès l'indépendance, il ne lui a été manifesté que très peu d'intérêt. Les objectifs assignés aux « maisons d'enfants de chouhada » n'ont pas abouti, non plus. CQFD... Les veuves de chahids ont dû se contenter d'une pension de compensation (article 24 de la loi 99-07), à une fois et demie le SNMG (salaire national minimum garanti). Celle du moudjahid est de deux fois et demie le SNMG (article 14 de l' ordonnance présidentielle 96-18 du 6 juillet 1996). Pourquoi cette discrimination ? Faut-il croire que le moudjahid est plus dans le besoin que la veuve de chahid ? Pour autant, c'est à la veuve que la pension complémentaire n'est pas versée quand celle-ci travaille, ce qui n'est généralement pas le cas pour le moudjahid, même si la loi le prévoit (article 26 de la loi 99-07).
L'enfant de chahid, quant à lui, n'ouvre droit à aucune pension sauf s'il est invalide ou handicapé, mariée sans emploi, veuve ou divorcée, s'il s'agit d'une la fille (article 28). Le fils du moudjahid, il est opportun de le souligner, accède au même droit. Quant aux enfants de chouhada chômeurs, ils n'ont aucun soutien de l'Etat. La licence de taxi est quelquefois octroyée à la veuve et une autorisation d'importation de voiture lui a été, à l'instar des moudjahidine, attribuée, mais durant une très brève durée. Elle a été vite retirée parce que « source de conflits dans les familles », m'a-t-on dit. Les enfants de chouhada se seraient entretués pour accaparer la licence de leur mère ( !).
Un argument fallacieux, irrecevable
La thèse du conflit dans les familles a bon dos. Un argument qui a été avancé par le ministre des Moudjahidine pour justifier sa réponse à mon interpellation sur les droits d'héritage des enfants de chouhada. Beaucoup de filles et fils de chouhada ont été privés, par leurs oncles, de l'héritage du grand-père quand ce dernier vient à décéder sans léguer par testament au petit-fils la part d'héritage qui aurait dû revenir au père, mort durant la guerre. Une injustice qui a été réparée par l'article 169 (héritage par substitution) de la loi 84-11 (juin 1984) portant code de la famille. Une disposition qui ne concerne pas les enfants de chouhada, du fait de la non-rétroactivité de la loi. Le chahid étant réputé être décédé durant la guerre de libération, donc avant 1984. Dans ma correspondance du 27 avril 2010, j'avais demandé au ministre de plaider, au sein du gouvernement, pour une application rétroactive exceptionnelle de l'article 169 en faveur des enfants de chouhada du fait, notamment, de l'exceptionnalité de la guerre de Libération nationale.
Après m'avoir fait remarquer que j'amplifiais quelque chose qui est sans importance — et qui n'a, de toute évidence, pas d'intérêt à ses yeux — le ministre des Moudjahidine m'accuse de vouloir créer la discorde dans les familles, sous le prétexte que je veux mettre au débat un problème marginal. Des cas isolés, selon lui. Alors, pourquoi faut-il aller remuer tout cela ? Demander à réparer une injustice commise sur les enfants de ceux qui ont libéré le pays du colonialisme n'est pas important pour le ministre des Moudjahidine et pourtant également ministre des ayants droit. Attitude d'autant plus affligeante qu'il est dans l'erreur absolue.
D'abord, parce qu'il y a beaucoup d'enfants de chouhada dans ce cas. Ensuite, quand bien même il n'y aurait qu'un seul cas, justice doit lui être rendue. Je crois que notre ministre ne l'a pas compris. C'est un grand dommage. Les enfants de chouhada ont essayé de mettre sur pied une association, l'ancêtre de l'actuelle FFC (Fédération des fils de chouhada). A contrepied de la stratégie mise en place par le pouvoir pour empêcher l'émergence de toute voix discordante. C'était à Tizi Ouzou au début des années 80. Une association qui a voulu défendre les intérêts des enfants de chouhada, mais — et il est très, important de le souligner — qui avait aussi pour objectif de protéger la mémoire des martyrs et l'histoire de la révolution des manipulations, de remettre en cause l'hégémonie de l'ONM, de faire sauter le verrou de l'article 120 et enfin de revendiquer la liberté d'association. Ce qui était, en ce temps, audacieux. Les enfants de chouhada initiateurs de cet « outrage » au régime avaient été arrêtés, emprisonnés puis jugés et libérés au bout de quelques semaines.
Le pouvoir n'avait pas reculé, loin s'en faut. Il avait juste changé le fusil d'épaule. Pour réduire les ambitions de cette organisation indocile des enfants de chouhada de Tizi Ouzou, il lui a été fait plusieurs clones, la CNEC (Coordination nationale des enfants de chouhada), l'ONEC (Organisation nationale des enfants de chouhada) et même une Organisation nationale des enfants de moudjahidine (ONEM). Une parade infaillible. Des sigles nombreux et une rivalité féroce qui a ruiné les objectifs premiers de l'association. Aujourd'hui, des sigles au service du pouvoir contre, en retour, des privilèges servis avec prodigalité à ceux qui ont fait main basse sur des organisations, désormais devenues, elles aussi, courtisanes. Ceux-là sont assurément des enfants gâtés de la République. Quand aux filles et fils de chouhada « ordinaires », ils devront, pour obtenir leurs droits légaux, continuer à se battre.
Dr B. M. : Psychiatre, Député du RCD


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