Dimanche 4 juillet, 11h30. La Côte, sur les hauteurs de Bir Mourad Raïs. C'est le point de départ officiel de notre trajet. Objectif : tester la nouvelle autoroute Ouest. Il faut signaler que jusqu'à El Affroun, vous êtes toujours sur l'ancienne autoroute. D'ailleurs, celle-ci est « rapiécée » par endroits. La nouvelle infrastructure commence véritablement par le tronçon El Affroun-Hoceïnia et vous emmène jusqu'à Oran. Un impressionnant viaduc sinueux enjambant la vallée de Oued Djer annonce la couleur. Bientôt, les somptueux monts du Zaccar nous introduisent à Khemis Miliana. Il n'y a pas grand monde sur la route en ce début de semaine. Il nous faut atteindre Boumedfaâ pour rencontrer la première aire de repos. C'est l'unique espace du genre sur tout le trajet (lire encadré). Comme l'avait constaté notre collègue Ghania Lassal dans son reportage sur le versant Est du « projet du siècle » (lire : « Déroutante autoroute Est-Ouest » dans El Watan du 4 juillet 2010), ici non plus, la nouvelle route n'offre aucune commodité. Pas de relais aménagé ni de station-service, encore moins de gare de péage. Il faut reconnaître, toutefois, que le travail du consortium chinois Citic-CRCC qui a hérité du lot Ouest (et dont le nom a été éclaboussé par le scandale de l'autoroute Est-Ouest) est globalement clean. Tout un détour pour un café 13h20. Pause-déjeuner à Oued Fodda. Pour cela, il nous aura fallu un détour de plus de 7 km avant de recouper la RN4. Même manœuvre fastidieuse pour ravitailler son réservoir d'essence. A intervalles réguliers, des bretelles permettent de pénétrer dans l'une ou l'autre des petites villes qui ponctuent la RN4. Sauf que ce n'est pas très pratique pour ceux qui ont la flemme de « casser la route » pour se sustenter. La température est caniculaire : 44 à 47° dans les wilayas de Chlef et de Relizane, prévient un bulletin météo spécial. Nous y sommes justement et c'est réellement suffoquant. La clim' devient obligatoire. Des vapeurs ondulantes s'échappent de l'asphalte fumant. Cela devrait expliquer en partie le peu d'empressement des automobilistes à prendre la route. On est loin des départs massifs en vacances propres à la saison. L'invite au voyage jure avec la morosité ambiante et la torpeur des villes égrenées. Pause-paysage à hauteur du magnifique lac de Merdja Sidi Abed. Et de nous demander pour la énième fois : comment un pays aussi gâté par la nature a-t-il pu se fâcher avec le mot « tourisme » ? Plus loin, des vallons aux moutonnements mordorés donnent envie d'un éternel pique-nique. Une flopée de bottes de foin surgit ça et là au milieu d'étendues agricoles vouées aux fourrages et autres cultures saisonnières. La terre exhale un air revigorant, conférant à l'autoroute un caractère « écolo ». Des bergers solitaires musardent avec leur cheptel le long de pâturages tronqués. On sent leur détresse de ne pouvoir gambader à leur guise, comme avant. En vérité, tout le réseau autoroutier qui va de Hoceïnia à El Khemis et de Aïn Defla à Relizane a été taillé au milieu de plaines jadis complètement vierges. En témoignent les paysages tout neufs révélés par la bande bitumeuse coupant à travers champs. « La nuit, les gens préfèrent l'ancienne route » A un moment donné, la route présente une côte de 6% que les gros camions abordent poussivement. Certains se mettent sur le bas-côté après que leur moteur eut chauffé. Les pannes mécaniques ont gâché le trajet de nombre de véhicules, avons-nous noté. Des bobos aggravés par la fournaise qui fait chauffer au quart de tour les moteurs les plus stoïques. Des capots levés, des automobilistes qui pestent après leur quincaillerie, des transporteurs de marchandises lâchés par une crevaison et déchargeant leur cargaison sous un soleil insolent, des usagers accrochés à leur portable et essayant de faire accourir quelque âme charitable, des véhicules de dépannage remorquant une guimbarde essoufflée… Autant de scènes qui relativisent le confort offert par la nouvelle infrastructure, laissant planer le spectre de l'insécurité des routes en cas de pépin, surtout la nuit. Au chapitre sécurité toujours, le thème des agressions, potentielles ou avérées, qui pourraient survenir en pleine autoroute, alimente quelques craintes. « Sur certains tronçons, on n'hésite pas à jeter des pierres sur la chaussée à partir des ponts qui surplombent l'autoroute pour obliger les gens à s'arrêter avant de les délester de leurs biens, voire de leur véhicule », croient savoir des jeunes commerçants rencontrés à Boumedfaâ. « D'ailleurs, la nuit, les gens préfèrent rouler sur l'ancienne route », ajoutent-ils. Le quotidien Liberté rapportait dans sa livraison du 10 mai 2010 qu'« un groupe d'agresseurs qui sévissait sur le tronçon de l'autoroute Aïn Defla-Relizane a été démantelé par les éléments de la Gendarmerie nationale relevant de Zemmourah », et ce, « suite à des plaintes de citoyens et d'automobilistes signalant la présence d'individus munis d'armes blanches », poursuit notre confrère qui précise, par ailleurs, qu'« une section de sécurité et d'intervention (SSI) a été déployée pour surveiller cet axe et tenter d'identifier les auteurs de ces agressions ». D'où la hantise des pannes nocturnes. Une angoisse exacerbée par le fait que l'autoroute est dénuée d'éclairage. Autre « accessoire » de taille qui fait défaut : les passerelles. Il convient de noter que la route reliant Alger à Oran est parcourue de zones agglomérées et autres hameaux en rase campagne, et le tracé de l'autoroute frayant au milieu de ces zones habitées présente fatalement un danger pour les piétons qui n'ont de cesse de sautiller d'un flanc à l'autre du bitume pour rejoindre l'autre rive. Sur l'ensemble du parcours, une seule passerelle était en chantier, du côté de Aïn Defla. Deux petits accidents et zéro mort Et les accidents dans tout cela ? Ils étaient la plaie des RN4 et RN5. Eh bien, en tout et pour tout, nous n'en avons enregistré que deux, qui étaient, du reste, largement évitables : un léger accident du côté de Yellel à l'aller et un autre, encore plus « anecdotique », à hauteur de Oued Sly, au retour. Car le dernier était le fait d'un… 4x4 de la Gendarmerie nationale qui avait dérapé en empruntant une bretelle et percuté de plein fouet la rambarde de sécurité. Un comble ! Du reste, nous aurons rencontré fort peu d'uniformes au long de notre balade. Passé le barrage de gendarmerie de Beni Mered, près de Blida, plus de « houkouma » jusqu'à Aïn Defla, puis plus rien jusqu'à Oran. Une liberté diversement appréciée… Ainsi, les traumatisés des barrages de Reghaïa et autres check-points harassants diraient tant mieux ! En dépassant Relizane et en longeant Yellel, on peut apercevoir des enfants juchés sur des parapets de béton à la bordure de l'autoroute et proposant des paniers de pommes. Ailleurs, d'autres mômes ayant squatté la bande d'arrêt d'urgence proposent des galettes chaudes. Les uns comme les autres ont valeur de pionniers. Les voitures, elles, fusent à vive allure sans les gratifier d'un sourire. Alors que sur l'ancienne route, les automobilistes devaient bifurquer à hauteur du barrage de gendarmerie de H'madna pour gagner Oran via Sidi Khettab et Mostaganem, dans le nouveau tracé, la route continue jusqu'à Oued Tlelat avant de rejoindre, par une pénétrante, la rocade qui débouche sur Oran-Es Senia. L'autoroute principale, elle, continue jusqu'à Sidi Bel Abbès et Tlemcen. Si à l'aller, nous dûmes observer plusieurs haltes pour les besoins de notre sujet, au retour, nous résolûmes de faire le trajet d'un trait, chrono en main, dans le respect de la signalisation qui limite la vitesse à 120 km/h, pour une évaluation exacte du temps consommé. Eh bien, nous avons mis un peu moins de 4 heures TTC (toutes tracasseries comprises) contre 6 à 7 heures sous « l'ancien régime ». Et avec zéro mort surtout, ce qui, pour nous, est le plus important. Le souvenir des embouteillages infernaux qui ne vous lâchent pas depuis Blida, Mouzaïa, El Affroun, le temps fou passé à traverser les agglomérations saturées de Khemis Miliana, Aïn Defla, Chlef, l'axe El Attaf - Boukadir - Oued Rhiou à griller sous le soleil, tous ces bouchons cauchemardesques sur une route étriquée, tout cela est désormais dans le rétroviseur…