Ce sont les femmes de Lima couvertes d'une jupe longue et d'un châle cachant leur visage, d'abord en signe de vertu puis pour mieux se libérer d'un lourd carcan social. La saya, une jupe longue, et le manto, un voile-châle enveloppant le haut du corps, ont inspiré peintres et écrivains-voyageurs et furent presque considérés au début du XIXe siècle comme une tenue nationale, un signe distinctif de la société liménienne. L'ancêtre de la tenue arriva au Pérou au XVIe siècle, peu après la colonisation. Elle était alors portée par l'élite espagnole. Probable legs musulman de l'Espagne maure, elle avait « un clair objectif de recouvrement, de protection de la vertu de la femme, d'évitement de la tentation », explique un sociologue, auteur d'un livre sur Les voiles et les peaux. Peu à peu, les bourgeoises autochtones, puis la classe moyenne s'approprièrent la saya et le manto qui devinrent un moyen d'échapper à la vigilance des hommes, de dissimuler le visage, mais aussi le rang social ou la couleur de peau. Il s'agissait de vêtements « synonymes d'une liberté supérieure à celle de la femme ordinaire », dira le sociologue. « Au XVIIIe siècle, une femme qui sortait seule dans la rue était soit une femme qui y vivait et travaillait, soit une mauvaise femme », rappelle un historien. La tapada desserrait l'étau sans déshonorer. Très nombreuses à Lima au début du XIXe siècle, les tapadas impressionnèrent les observateurs européens, certains admiratifs, d'autres incommodés devant cette forme d'affirmation féminine. « Il n'est nul lieu sur terre où les femmes soient plus libres qu'à Lima », s'enflamma en 1837 la féministe et socialiste franco-péruvienne, Flora Tristan, enthousiaste de voir les femmes couvertes, certes, mais libres de déambuler aux arènes, en promenade, au Congrès même. La tapada pouvait ne laisser voir qu'un seul œil, une chaussure, parfois le talon, ou un bout de bras. Au final, c'est la mode qui sonna le glas des tapadas. Le boom économique du guano (un engrais) dans les années 1860 amena de nouvelles élites européennes férues de mode parisienne. L'histoire des tapadas montre que « la portée, la vie d'une tenue tient surtout à l'usage qu'en font les gens sur le long terme ». L'avenir du voile islamique tiendra « surtout à ce qu'en feront de futures générations, peut-être plus laïques, plutôt qu'à un acharnement à légiférer », estime-t-on. Similitude frappante avec le débat sur le voile, « les avis et prises de position, pour ou contre les tapadas, vinrent surtout de l'extérieur des autorités ou d'observateurs », relève-t-on. « La seule voix qu'on n'entend pas est celle de l'usagère du vêtement. »